L ' A R T D E R E C E V O I R U N I N V I T É D E M A R Q U E.
Ciel d'été
Ciel apaisé
Ciel sans secrets.
Le soir du vernissage arriva.
«kees vanobbergen: a selection of skies»; voir son nom imprimé et affiché ne manquait jamais de le bouleverser et cette fois-ci ne fit pas exception. Cette exposition et la résidence qu’elle officialisait étaient en préparation depuis des mois, plus d’une fois il avait cru ne jamais en voir le bout. Sans le soutien de sa famille, de ses amis, d’Andrea, de la fondation Boratav, il se serait laissé aller plus d’une fois au découragement face à la lenteur et la complexité des machines administratives, face aux voies impénétrables des services douaniers et au coût affolant de chaque chose, face à ses propres doutes qui serpentaient dans son ventre. Mais il avait tenu bon, tout le monde avait tenu bon et ce soir-là, pour la première fois de sa vie, Kees Vanobbergen exposait à l’étranger.
– Alors, Kees? Comment vous sentez-vous?
– Pour être honnête, je ne sais pas, monsieur. Nerveux, impatient, heureux, soulagé et un tout petit peu terrifié?
– Vous savez , moi aussi. Cela fait des années que j’expose l’art des autres, mais les soirs de vernissage sont toujours aussi terribles et terriblement excitants. Ne vous en faites pas, tout se passe toujours bien. Bon, il est l’heure. C’est parti?
– C’est parti.
– Luís? Vous pouvez ouvrir les portes, s’il-vous-plaît!
Sur cette scène aux décors qu’il avait peint lui-même, tout le monde joua son rôle à la perfection. Le personnel de la fondation fut discret et efficace, le traiteur somptueux, les visiteurs émerveillés, les tableaux séduisants et Emil Boratav d’un professionnalisme exquis. Quant à Kees, il parla. Il parla énormément, de tout, de rien et surtout des même choses, de qui il était, d’où il venait, où il allait et comment il tenait son pinceau. Mais Kees adorait ce rôle, il adorait être le centre de l’attention, rencontrer des gens et serrer des mains, raconter des histoires, recevoir leurs compliments, leurs critiques, leur émotion. Il se sentait brillant, rayonnant, irrésistible – il le fut véritablement, ce soir-là.
Dehors les ombres s’étiraient à n’en plus finir et les heures avec elles, le ciel ronronnait en rose et ambre. Le va-et-vient s’était ralenti, les remous se lissaient, le temps prenait plus d’épaisseur. Il y avait moins de monde dans la galerie vivement éclairée, petit phare au milieu du crépuscule, des habitués pour la plupart qui traînaient en faisant un sort au buffet. Voyant que l’on n’avait plus besoin de lui, Kees s’excusa. Il avait besoin d’un entracte.
Avec un petit soupir de soulagement il sortit, s’adossa contre le mur et porta sa flûte de champagne à ses lèvres. Enveloppé par le brouhaha qui se faufilait par la porte entr’ouverte, rires et tintements de verres, il sortit son portable pour envoyer un message et quelques photos à Andrea qui attendait de ses nouvelles à des kilomètres de là. Loin de la climatisation de la galerie, la soirée estivale se révélait encore claire et étouffante, l’asphalte exhalant la chaleur bue pendant la journée. Mais Kees n’était pas mécontent de pouvoir souffler un peu. En silence, un peu – oh, si peu! – ivre, il savourait son succès, un goût de triomphe sur ses lèvres souriantes qui maintenait la bête à distance. Cette année sur Astéria s’annonçait bien.
Alors elle bouscule l'épaule de quelqu'un avec son sac de course, qui s'écrase au sol. Au revoir les oeufs frais, au revoir la bouteille de lait. Elle reste quelques instants à fixer la marre blanche avant de relever des yeux pleins de larmes vers l'intéressé. Est-ce qu'Atalante la déteste vraiment ? Est-ce qu'elle les déteste tous ?
* P-pardon je ... Je me ...
L ' A R T D E R E C E V O I R U N I N V I T É D E M A R Q U E.
Ciel d'été:
soleil couchant comme un œuf brisé,
une traînée de voie lactée.
– Jasses! Mes excuses, je ne vous avais pas vu! Vous allez bien?
– P-pardon je… Je me…
Non, visiblement, elle n’allait pas bien. La jeune femme avait l’air au bord des larmes et la chute de son sac semblait être la goutte d’eau qui ferait déborder le vase. Il n’avait pas vu sa frêle silhouette se diriger vers lui, s’était retourné en entendant qu’on l’appelait à l’intérieur, un peu trop vite, et leurs épaules s’éteint heurtées, assez fort pour qu’elle laisse échapper les anses et que ses provisions viennent s’écraser au sol avec un bruit mou. À leurs pieds, une flaque de lait s’étendait paresseusement. «Adieu veau, vache, cochon, couvée…»
– Oh non, votre sac! Godverdomme…
Sans vraiment réfléchir, Kees se précipita à l’intérieur de la galerie pour prendre une poignée de serviettes en papier au buffet. Revenu auprès de la blonde, il entreprit de faire l’inventaire des dégâts. La brique de lait s’était fendue sous l’impact, quelques œufs s’étaient cassés également, formant une mare gluante au fond et autour du sac. Le reste des courses, conditionné dans des emballages hermétiques, semblait un peu cabossé mais globalement intact.
– Kees, tout va bien?
– Euh… J’ai bousculé mademoiselle et elle a fait tomber son sac… Désolé…
Ces excuses s’adressaient autant à M. Boratav, pour l’absurde de la situation et le spectacle qu’il donnait aux invités, qu’à la jeune femme qui était restée prostrée là. Il termina d’essuyer ce qui pouvait l’être; Luís-de-la-réception, qui était allé remplir un seau d’eau aux toilettes, envoya le mélange de lait et d’œufs dans le caniveau.
– Toutes mes excuses, encore une fois. Je vais vous rembourser, bien sûr… Euh… Vous voulez peut-être vous asseoir un moment à l’intérieur, au frais? Vous avez l’air très pâle…
* Je ... Je veux bien m'asseoir.
Pas pleurer. Pas craquer. Pas devant des inconnus. Elle ravale ses larmes et resserre le sac. Il est dégoûtant maintenant, mais bon, tant pis. Elle fera avec ce qu'elle a. Elle ira faire des courses à l'aube, avant que les autres n'arrivent, s'ils viennent.
* Non ! Non, pas la peine de me rembourser... Ce n'était vraiment rien, et c'était surtout ma faute.
Grand sourire rayonnant, qui se veut rassurant. Y parvient-elle ?
L ' A R T D E R E C E V O I R U N I N V I T É D E M A R Q U E.
Ciel blanc, ripoliné,
éclairé aux néons
(c’est un plafond).
– Bon… Euh… Et bien, bienvenue à mon vernissage!
L’incident passé, tout le monde était retourné dans la galerie, y compris la jeune femme qui avait accepté son invitation à venir s’asseoir à l’intérieur. Sous l’éclairage d’exposition qui illuminait comme en plein jour, cramponnée à son sac toujours souillé d’œufs et de lait, elle semblait encore plus frêle, comme rapetissée.
– Je pense que nous avons des sacs pour remplacer le vôtre, n’est-ce pas Luís? Ceux qu’on donne pour les catalogues… Euh… Bien sûr n’hésitez pas à profiter du buffet, si vous voulez un verre, quelque chose à manger… Ou à regarder les tableaux, si ça vous intéresse…
Kees faisait de son mieux pour ne pas laisser paraître la panique qui grandissait en lui. Il se sentait mal, mal d’avoir bousculé la jeune femme et d’avoir ruiné ses courses mais mal aussi qu’elle soit là, de sa présence qui faisait tâche dans cette soirée parfaite. Certes, il était celui qui avait proposé qu’elle entre, il s’y était senti obligé, mais pourvu qu’elle ne reste pas longtemps… Tout se passait si bien et il avait fallu qu’elle surgisse, au mauvais endroit au mauvais moment, et que lui soit si maladroit! Il lui en voulait, s’en voulait de lui en vouloir, s’en prenait à lui-même, priait enfin pour que ce petit accroc n’entache ni sa réputation ni celle de la galerie – sans réaliser à quel point plus personne déjà ne se souciait de l’affaire, oubliée dès le lendemain tant elle était insignifiante et banale, on avait vu bien pire en vernissage. Mais l’angoisse, goutte à goutte, lui infusait son venin.
– Je m’appelle Kees, au fait. Kees Vanobbergen.
- Petites précisions sur l’exposition:
Les sept tableaux exposés par Kees sont ceux décrits dans sa fiche de présentation pour raconter son histoire.
Belgische Luchten #1: Sint-Pieters-Leeuw, een ochtend in november.
Ciels belges #1: Leeuw-Saint-Pierre, un matin en novembre.
«La maison de mon enfance. Un ciel brumeux, gris, uniforme. Mon père et ma mère dorment encore à l’étage derrière les volets fermés. J’ai vécu ici pendant dix-huit années heureuses, monotones et un peu solitaires. De cette période je ne sais pas quoi dire tant elle était quelconque. Le quotidien interchangeable de tout Belge qui a grandi dans une famille aisée d’une petite ville calme.»
Belgische Luchten #2: Antwerpen, een avond in januari.
Ciels belges #2: Anvers, un soir en janvier.
«Le cimetière où repose mon grand-père. Le soleil couchant est rouge, orange, jaune d’or. Opa Martijn était un passionné d’art qui pratiquait la photographie en amateur, que ce soit pour immortaliser les souvenirs de famille ou les roses éphémères du château Coloma. Il a tenu à me transmettre son savoir et sa passion, à m’emmener aux musées anversois et bruxellois. Je n’aurais sûrement pas été artiste sans lui.»
Belgische Luchten #5: Oostende, een ochtend in juni.
Ciels belges #5: Ostende, un matin en juin.
«La côte belge. On ne sait pas dire où commence le ciel et où se termine l’eau. C’est dans les dunes d’Ostende que j’ai connu ma première crise de panique, quand j’ai réalisé que j’avais perdu mes parents; elle non plus, je ne savais pas où elle commençait ni où elle finissait. Les séquelles de cette terreur pure qui m’a mangé le cœur, je continue à les porter. Je la sens, attendant l’occasion de surgir de nouveau pour me laisser pâle et suffocant.»
Belgische Luchten #7: Gent, een nacht in augustus.
Ciels belges #7: Gand, une nuit en août.
«La vue depuis mon kot d’étudiant, de retour de soirée. Un ciel d’un bleu si sombre qu’il en paraît noir, les étoiles effacées par la lumière de la ville, une Lune presque ronde. La sensation exhilarante d’être libre, loin du cocon familial, les basses qui continuent à pulser dans mes veines, l’ivresse, l’odeur d’un corps étranger sur mes doigts, dans mon cou, dans mes draps. L’impression que ma vie, pure, sauvage, farouche, a enfin commencée.»
Belgische Luchten #8: Gent, een namiddag in april.
Ciels belges #8: Gand, un après-midi en avril.
«Un carré de ciel très bleu par la fenêtre de l’atelier de peinture de la KASK. Le parfum de la térébenthine et de l’huile de lin, ma chemise maculée, le mauvais éclairage jaunâtre, la voix grave d’un de mes professeurs. La peinture, crémeuse, épaisse, qui s’étale sur la toile. Un nuage passe. L’impression d’avoir trouvé ma place.»
Europese Luchten #3: Napels, een nacht in maart.
Ciels européens #3: Naples, une nuit en mars.
«Un autre ciel, une autre fenêtre, un autre atelier. Je suis à Naples pour mon Erasmus, c'est la première fois que je quitte le territoire belge, ce ne sera pas la dernière, j'en ai fait le serment: j'ai trop faim du monde. Je veux voyager, parcourir le globe, admirer ses paysages et ses ciels, rencontrer ses habitants et vibrer à ses nuits trop courtes.»
Licht/Lucht
Lumière/Ciel
«Ce tableau est pour Andrea, en souvenir de notre rencontre.»
Licht/Lucht est le tableau que Kees change de place pendant son RP avec Arden, pour lui donner la place centrale. C’est une œuvre purement abstraite, inhabituelle dans sa production et qui détonne un peu au milieu de l’exposition, peinte dans des coloris très lumineux de bleu et de jaune avec de grands gestes qui laissent voir les coups de pinceau.
* Cursa.
Il ne la reverra jamais. Elle ne veut pas mentir. Elle ne veut pas encore mentir, pas à un inconnu, pas s'il n'y aucun intérêt. Désolée, Madison. Elle pense. Elle se dit qu'elle l'aurait peut-être détestée, pour ça. Ou au contraire, qu'elle aurait apprécié qu'elle ne parle pas en son nom. Elle n'en sait rien. Elle ne sait rien d'elle, c'est d'autant plus dur de maintenir le masque.
* Excusez moi, j'ai été troublée par ce tableau.
Elle désigne l'un des tableaux, Belgische Luchten #5: Oostende, een ochtend in juni, puis relève les yeux vers l'intéressé. Elle ne doit pas rester longtemps. Elle ne doit pas s'imposer.
* Je n'ai jamais ressenti autant de choses devant un tableau.
Silence, elle sent un trouble désagréable, peut-être qu'il émane du dénommé Kees, peut-être qu'il ne fait qu'émaner d'elle même.
* Je m'en irai dès que j'aurais changé de sac, je ne veux pas m'imposer.
L ' A R T D E R E C E V O I R U N I N V I T É D E M A R Q U E.
Ciel gris
mer grise
infini
– Curse?
Comme een vloek, une malédiction? Kees se dit qu'il avait mal compris, assurément, on n'appelait pas sa fille ainsi… mais il se retint de poser une question, craignant d'être maladroit, et enchaîna sur des banalités d'usage.
– C'est un joli prénom, inhabituel. Typique d'Astéria, je suppose!
Mais elle ne l'écoutait plus, elle regardait autour d'elle, silencieuse et intense, intense parce que silencieuse. Alors Kees se tut aussi, autant pour respecter ce moment que pour museler son émotion. Il y avait deux catégories de personnes dans le monde: celles qui voyaient les tableaux et celles qui les regardaient. La jeune femme, peu importe son nom, regardait. Et Kees en eut un soudain vertige.
– Excusez-moi, j'ai été troublée par ce tableau. Je n'ai jamais ressenti autant de choses devant un tableau.
– … Je le déteste.
Il sursauta à sa propre audace, rougit instantanément. Il s'attendait à tout sauf à ça, à son doigt qui pointait vers la toile pâle, le gouffre gris qui béait sur ce mur éclairé trop vivement, devant laquelle il ressentait l'appel de l'abîme, devant laquelle la chose se réveillait toujours. Kees, prudemment, détourna le regard. L'alcool lui faisait un peu tourner la tête, assurément…
– Pardon! Je veux dire… Il me ramène à des choses… douloureuses. Mais je suis content qu'il vous plaise. C'est… rare. Il passe souvent inaperçu, la plupart des gens n'y voient qu'une marine, un monochrome gris, alors que pour moi, c'est… C'est…
Il n'eut pas le temps de finir, Dieu merci, il n'aurait pas pu, pas su.
– Je m'en irai dès que j'aurais changé de sac, je ne veux pas m'imposer.
– Un sac, oui, bien sûr! Mes excuses, où avais-je la tête… Tenez, j'espère que ça ira.
Voilà que tout à coup il était pressé, agité, il voulait qu'elle parte, qu'elle reste, qu'elle disparaisse de sa vue et qu'elle s'attarde encore, il voulait lui parler de son art, à elle qui savait regarder et écouter, il voulait ne plus jamais la croiser et oublier jusqu'à sa présence à cette soirée dont elle avait été, tout à la fois, l'anomalie et l'acmé, la convive importune et l'invitée de marque.
– Vous êtes certaine que vous ne voulez pas de remboursement? Si ce ne sont que des œufs et du lait que vous avez perdu, je peux vous les remplacer tout de suite, j'ai ce qu'il faut. J'insiste.
* Non ! Ce n'est rien. Oh, vous pourriez venir m'aider à préparer le gâteau que je prévoyais de faire demain matin, en dédomagement.
Silence. La proposition est absolument stupide. Idiote. Elle se le hurle dans la tête. La vie n'est pas une de ces fictions qu'elle passait des heures à regarder à l'hôpital. Elle oublie parfois. La voilà écarlate alors qu'elle bredouille quelque chose d'incompréhensible pour se rattraper. Évidemment elle n'y parvient pas. Évidemment qu'elle ne peut pas rattraper ça, il aura entendu chaque mot, comprit le sens de chacun d'entre eux.
* Désolée. C'était complétement idiot. Je dois être fatiguée... Ce n'est rien, vraiment.
Puis, plus bas :
* Vous exposez encore après ce soir ? J'aimerai revenir voir ces tableaux, lorsqu'il y aura un peu moins de monde...
L ' A R T D E R E C E V O I R U N I N V I T É D E M A R Q U E.
Ciel doux
noir comme de l'asphalte
fondue
Kees resta interdit, prit de court devant cette invitation qui tombait du ciel. Venir l’aider à faire un gâteau, chez elle, le lendemain matin? Qu’est-ce qu’elle racontait? Cette histoire de dédommagement commençait à aller un peu loin, il avait proposé de l’argent, des œufs et du lait, il n’allait pas se rendre chez une inconnue pour jouer les commis tout de même… Avant qu’il ne puisse dire quoi que ce soit cependant, la jeune femme s’empourpra, comme si elle venait seulement de réaliser ce qu’elle avait dit, et se mit à bafouiller de confusion. Kees se fit la réflexion qu’elle était jolie ainsi, avec quelques couleurs dans son visage blanc. Les joues rouges et le regard brillant, elle avait tout de suite l’air moins maladive, plus vivante. Elle avait vraiment un très beau sourire… et des yeux magnifiques, bleu ciel comme il aimait le peindre.
– Désolée. C'était complètement idiot. Je dois être fatiguée... Ce n'est rien, vraiment.
Il laissa échapper un petit rire et se passa une main dans la nuque comme pour dissiper la gêne.
– Ah, ne vous en faites pas… Vous savez, de toutes façons je suis moins bon pâtissier que peintre! Je ne suis pas certain de pouvoir être utile à quoi que ce soit en cuisine.
C’était un demi-mensonge. Kees ne se débrouillait pas trop mal, bien qu’il préfère le salé au sucré. Les gâteaux, il n’en raffolait pas, contrairement au fromage par exemple, ce qui lui avait valu nombre de jeux de mots plus ou moins inspirés: en néerlandais, fromage se disait kaas, ce qui n’était pas très éloigné de son prénom.
– Vous exposez encore après ce soir? J'aimerai revenir voir ces tableaux, lorsqu'il y aura un peu moins de monde…
– Bien sûr! Cette exposition dure jusqu’à la mi-juillet, elle est ouverte tous les jours sauf le mardi. Nocturne le jeudi soir. Moi je ne serai plus là je pense, je commence ma résidence, ça veut dire beaucoup de rencontres, de visites d’Astéria, de travail dans mon studio… Et dans un an, pendant l’été 2022, j’exposerai les œuvres réalisées pendant mon séjour ici. N’hésitez pas à prendre un programme en partant, tout est renseigné dessus.
Il joignit le geste à la parole, glissa un prospectus dans le sac flanqué du logo de la fondation, gonflé et déformé par les courses transfuges.
– Je vous raccompagne?
* Oui ! S'il vous plait.
La sortie n'était pas bien loin, mais elle aurait bien aimé rester un peu plus. Cependant, elle comprenait sans mal que la situation était trop cocasse pour être pleinement supportable, autant par lui que par elle-même. Et pourtant elle reste silencieuse sur les quelques pas jusqu'à la sortie. Kees. La sensation qu'il lui laisse est étrange, elle n'arrive pas à la définir pleinement, mais lorsqu'une petite angoisse lui serre le cœur, elle sait que cette rencontre ne sera sûrement pas la dernière.
* Merci infiniment pour votre patience et votre gentillesse.
Elle lui lance, sur le bord du trottoir, alors qu'elle se plie en deux pour le saluer, agitant un peu le sac qui tinte joyeusement.
* Je suis encore désolée pour l'incident. Mais heureuse d'avoir pu découvrir vos tableaux.
Elle relève les yeux, le détaille quelques instants avant de lui désigner les personnes à l'intérieur.
* Allez-y, vous êtes la star de la soirée, non ?
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Ciel qui s'étend
sans début
et sans fin
Elle s’en allait. Il le savait, il le sentait, il en était soulagé. Ça n’était pas très gracieux de sa part mais depuis le début de l’incident il n’était pas parvenu à se détendre. Ça n’était pas sa faute, sa compagnie et sa discussion avaient été très agréables. Plutôt celle de tout ce qui s’était cristallisé autour d’elle, le stress, la peur du ridicule et de lui avoir fait mal, la culpabilité et la perte de contrôle. Le lendemain matin il en rirait, cela ne faisait aucun doute; en attendant il avait besoin que tout cela se termine, besoin d’avaler une dernière flûte de champagne, d’aller se coucher et de savourer son succès tandis que Morphée l’emportait.
Il fit avec elle les quelques pas qui les séparaient de la porte, plus par politesse qu’autre chose. De l’autre côté, la nuit avait fait son nid. Il eut une vague inquiétude à l’idée de laisser la jeune femme maladive partir seule dans l’obscurité: certes, il s’agissait du quartier de l’Octant, mais il n’ignorait pas que les rues n’étaient jamais sûres. Cela étant dit, quand elle se tourna vers lui pour lui faire ses adieux, elle avait l’air en bien meilleure forme. Nul doute qu’un peu de repos, un verre d’eau et de l’air conditionné lui avaient fait le plus grand bien.
– Merci infiniment pour votre patience et votre gentillesse. Je suis encore désolée pour l'incident. Mais heureuse d'avoir pu découvrir vos tableaux.
– Écoutez… Ce n’est rien. Je suis juste stressé par la situation et ce… «petit couac» m’a totalement déstabilisé. Encore une fois, c’est moi qui suis désolé de vous avoir bousculé. Disons que c’est de la faute à pas de chance et comme ça, on n’en parle plus!
Un clin d’œil scella le pacte. C’était derrière eux désormais, enterré et oublié.
– Allez-y, vous êtes la star de la soirée, non?
Cette dernière remarque le fit rire, un rire sincère et frais comme un ruisseau dégringolant un flanc de montagne.
– Vous savez, j’ai été suffisamment au centre de l’attention pour une journée! La soirée touche à sa fin de toutes façons, il est l’heure pour les «stars» d’aller se coucher et de laisser la scène aux professionnelles.
Il tourna son visage vers le haut. On ne voyait pas grand-chose, la lumière de la ville éclipsait celle qui tombait du ciel, mais il savait qu’elles étaient là. C’étaient leurs heures, celles du grand bal des étoiles.
– Bonne fin de soirée, mademoiselle. Merci de votre visite et bonne cuisine demain. Faites attention à vous.
Elle avait rougit, un peu. Puis s'était contenté d'un hochement de tête suivit de près d'un geste de main poli, et finalement elle avait disparu au coin d'une rue où quelques passants faisaient leur vie malgré l'heure avancée de la soirée.
tu peux archiver !