L'herbe est encore mouillé d'une averse survenue dans la nuit, l'air est froid. Le ciel est désormais totalement dégagé, d'un bleu pur, et le soleil est éclatant.
Milan a marché lentement jusqu'à ce parc, s'assoit sur un banc d'où il peut observer les fleurs d'automne.
Il sent
Il a évité cette situation pendant si longtemps. Si au départ c'était qu'une idée vague, des lieux qui attiraient son attention alors qu'il n'avait rien à y faire, cela n'avait fait qu'empirer avec le temps. Un murmure dans le fond de sa tête, agaçant. Il l'avait mis dans une petite boîte, puis rangé dans un recoin, pour l'oublier. Quand ça se rapprochait, il fuyait à toute jambe, jusqu'à être hors d'atteinte. Mais cela revenait, inéluctablement, et la boîte était toujours plus grosse, jusqu'à occuper une part si grande de son esprit que c'était impossible de l'ignorer.
Ses mains sont frigorifiées, il les cache dans les poches de son manteau.
Il attend.
Elle demande, à mi-mots, alors qu'elle se penche un peu au dessus de lui, depuis le dos du banc. Le retrouver n'a pas été spécialement difficile, et la marque posée sur Milan est d'autant plus facile à reconnaître que quelque chose de familier s'en dégage. Peut-être que Cursa perd la tête, elle n'en sait rien, mais toujours est-il qu'elle enfonce sa main libre dans la poche de son grand manteau sombre avant de contourner le banc pour venir à ses côtés, sans pour autant s'asseoir. Elle trouvera ça particulièrement impoli, finalement.
* J'ai mis beaucoup de temps à te trouver.
Un sourire sincère, franc. Il ne sait sûrement rien sur cette situation, et peut-être se mettra-t-elle à l'effrayer, elle n'en sait rien, mais ne semble pas se décontenancer pour autant. Elle lui tend le gobelet de café qu'elle gardait dans sa main.
* Tiens.
Son oreille se tend, lorsque son nom est prononcé, comme celle d'un chien qui se sent interpellé. Il relève la tête pour
Milan tend la main pour attraper le gobelet en
Il baisse les yeux, un peu honteux. Ce n'est pas
Un soupir. Il fait évidemment références à ce ciel étrange et les tremblements de terre qui ont bouleversé toute la capitale, mais aussi à ces sentiments déchirants qui l'ont habité, deux fois. Un sentiment de perte si grand et douloureux, terrifiant.
* Tu avais peur. J'avais peur aussi. J'étais terrifiée.
Il lui parle de drames, et même s'il évoque le ciel embrasé de lumière et les coeurs qui se serrent, inévitablement elle pense à Riley. Elle pense à Riley comme on pense à son premier amour. Ses regrets le concernant n'ont pas de fin. Elle se juge responsable. Si elle avait été un peu plus forte, un peu plus solide, peut-être que la donne aurait changé. Peut-être que Riley n'aurait pas laissé sa vie, pour une cause perdue d'avance ? Est-ce qu'il serait fier d'elle, maintenant ? Est-ce qu'il serait fier de la voir protectrice et déterminée ? Elle ne sait pas.
* Nos cœurs ont été brisé trop de fois.
Ses pouces caressent tendrement les joues glacées de l'homme face à elle, alors que son regard se fait plus mélancolique encore.
* Tu peux m'appeler Cursa.
Il se demande ce qui la terrifie autant.
La présence de Cursa le bouleverse, il se sent si fragile, inutile. Il y aurait tant de choses à
Ses lèvres s'entrouvrent alors qu'il se prépare à se présenter à son tour, jusqu'à ce qu'il se souvienne qu'
* Je vais bien.
Elle répond, avec un peu plus d'assurance et de certitude qu'elle ne le devrait. Elle va bien, mais Madison est morte, forcément ça pose quelques problèmes, quelques problèmes évidents, même. Elle reste ainsi quelques instants, à simplement garder son visage entre ses mains, comme s'il s'agissait de la plus précieuse de toutes les choses qu'elle ait pu voir en ce monde, avant de finalement le relâcher, mais ne pas relâcher ses doigts pour autant.
* Tu dois rencontrer les autres.
Elle n'a plus le temps, le temps est traitre, il s'écoule si vite lorsqu'on est ici, de ce point de vue.
* La ville n'est pas sûre, pour nous.
Milan l'observe en retour, cherchant encore et toujours ses mots. Rencontrer les autres...
Une partie de lui a toujours envie de fuir. Il est venu à Astéria pour reprendre sa vie. Se rapprocher de son frère. Ne pas laisser le passé le tourmenter. Et pourtant il se sent rattrapé, comme une situation familière, ou il aura peur pour sa vie et celle des autres. Ou il aura la responsabilité de les protéger. Même si personne ne lui demandait quoi que ce soit, il le fera.
* Si tu peux, essaye de les convaincre de quitter la ville. Sinon, je ne penses pas qu'on s'en prenne à eux.
Elle n'en sait rien, mais cherche à le rassurer. Aujourd'hui, Milan n'a pas le choix de suivre ou ne pas suivre. Il est dedans, il doit faire avec. C'est injuste, bien sûr, elle en a bien conscience, mais comment aurait-elle pu se douter que ça se passerait ainsi ? Depuis là-haut, on ne voyait pas les cercles. Depuis là-haut, on ne devinait pas les tenants et les aboutissants de la situation.
La réponse ne le rassure pas du tout, ça crée une boule dans son estomac, et ça doit se lire sur son expression. Il n'a pas envie de les avoir loin de lui. Mais comment pourra-t-il gérer tout ça, en s'inquiétant pour eux aussi ? Fray serait sûrement courroucé qu'il s'en fasse autant pour lui.
Il resserre ses doigts sur les siens, comme pour signifier qu'il n'allait pas la lâcher.
Elle insiste un peu fort, sans doute, pense à ce dernier lié, ce cercle incomplet, et elle pense à la place de Charlise, toujours pas comblée, toujours pas remplacée. Pour l'instant, elle ne veut pas, elle concentre assez de ses forces pour que personne n'ait à le subir. Mais aucun cercle ne peut être plein, puissant, solide, s'il n'est pas complet, pas vrai ?
* Mais vous êtes six. Il y a Oslo, Leith, Kees, Astèr, North et toi.
Elle lui lance les noms, au cas où, parce que ça pourrait s'avérer utile, parce que ça pourrait s'avérer déterminant. Et puis, elle attrape un bout de papier, griffonne son adresse dessus.
* Et ça, c'est mon adresse. Viens dès que tu le pourras, tu es en sécurité ici. Tu rencontreras les autres, aussi.
Aucun des noms ne lui est familier, il se répète chacun des noms mentalement, comme pour s'en souvenir. Six personnes, sept avec Cursa, et deux absents... Milan n'a aucune idée de comment tirer du sens de tout ça.
Il regarde le petit bout de papier qu'elle lui tends, et le glisse dans son portefeuille. Aller la voir, aller rencontrer les autres, ce sera la prochaine étape. Se mordillant l'intérieur des joues, l'homme ne sait pas quoi dire de plus. Le temps n'est plus à parler, à expliquer, Cursa doit les rassembler. Milan porte le café qu'elle lui a apporté, devenu froid après avoir été délaissé sur le banc. Il se lève, prêt à partir : il doit rentrer voir Cyrus. Mais il retient ses pas et se retourne vers
Réflexion, il modifie un peu sa question.
* Tu le sauras. Tu entendras mon appel.
Elle hoche doucement la tête, avant de lui faire un petit signe de la main encourageant.
* Et si tu as besoin que je te trouve, je te trouverai.
Et elle lui tourne le dos pour s'en aller, chercher les autres.