Le plancher grince,
les murs, craquelés,
des pièces vides.
Fond de teint, mascara, une touche de parfum. Une longue robe boho chic aux teintes sombres, des bottillons à talon haut, un large chapeau noir, grandes lunettes de soleil.
Cacher ses fissures
La main près de visage, l'index et le majeur placés en « V », les lèvres avancées, faisant mine d'envoyer un baiser, elle se prend en photo. Un simple
OMG ! / YOU LOOK GREAT / GIIIRL WHERE WERE YOU ????? / WAS IT BECAUSE OF YOU-KNOW-WHO / ARE YOU GOING BACK TO O.F. ANYTIME SOON...?
C'est la première fois que Veronica Bellandi quitte sa chambre d'hôtel — sans se cacher — en deux mois. La Porsche a roulé à toute vitesse jusqu'à l'imposante bâtisse d'Aether Lab, brillante sous le soleil.
Elle lui a téléphoné, une fois. Quelque part en septembre. Pour raccrocher aussitôt, incapable de parler.
Sans attendre une quelconque invitation, la jeune femme quitte l'accueil et monte à l'étage. Le claquement des talons raisonne sur tout l'étage, jusqu'à s'arrêter devant une porte, où il y a plaque dorée. « Nori Wallace ».
Elle cogne, quatre coups.
Il ne prend pas la peine de relever les yeux vers la porte qui s'ouvre, il sait qui il trouvera à l'intérieur. Le temps que Veronica passe à monter, on l'appelle et lui demande s'il faut appeler la sécurité, il répond que non. Ça va sûrement encore jaser dans les couloirs d'Aether Lab. La plupart ne sont pas sans savoir des relations qu'il entretient avec Danaé, alors, forcément, lorsqu'une autre femme arrive en furie sur son lieu de travail, c'est censé le mettre dans une position compliquée.
* Fermez la porte et asseyez vous, mademoiselle Bellandi.
Son calme et son aplomb ne font que faire ressortir à quel point la présence de la jeune femme n'est pas approuvée par Nori. Il n'aime pas être dérangé sur son lieu de travail, encore plus pour des affaires personnelles. Elle ne peut pas le savoir et il ne lui en tiendra pas rigueur, au moins pour cette fois.
* Je suis heureux de voir que les récents événements de vous ont pas affectée physiquement.
Veronica referme la porte, mais ignore pendant un instant son invitation à s'asseoir, si on peut appeler ça une invitation. Les mains derrière le dos, un petit sac à main Gucci couleur rouille pendouillant derrière elle, son regard et ses pas naviguent dans la pièce. Observant la décoration le choix des tableaux, la qualité des meubles. Tout semble exactement comme ce devrait être. Elle se demande s'il a décoré lui-même.
Nori Wallace entame la discussion sans perdre de temps, sans doute est-il très occupé — elle le dérange dans sa journée de travail, après tout. La remarque lui embrouille l'esprit, la ferait presque vaciller.
Le sang qui coule, la coupure nette de sa peau sous ses doigts. La peur.
Elle contemple la ville à travers les grandes fenêtres, le temps de reprendre son souffle et faire arrêter le tambourinement violent de son coeur.
La jeune femme s'assied sur le siège devant lui, croisant les jambes. Elle retire ses lunettes teintées, repliant les branches, le regard, neutre, cherchant celui de M. Wallace.
La cicatrice la tiraille encore. Elle n'est pas visible pour l'oeil extérieur, mais elle, elle le sent.
* Je vous demande pardon.
Ce n'est pas la formulation d'une excuse, mais réellement la demande de davantage d'explications. Sirius lui souffle que personne de mort ne devrait revenir, comme ça, et Nori est bien forcé d'avoir qu'il est d'accord avec lui. Cependant, il ne peut s'empêcher de penser, également, que le fait de n'avoir à aucun moment ressenti la mort de Veronica ne fait qu'appuyer sur le fait qu'il ne peut pas la croire. Envers et contre tout. Et pourtant, son regard à elle ne trahit que la stricte vérité. Au moins son ressenti personnel. Si elle n'est pas morte, en tout cas, quelqu'un a bel et bien d'attenter à sa vie.
* Qui était-ce ? Où ça ? Avez vous la moindre piste sur votre agresseur ?
Ses mots ne se pressent pas, il ne perd pas son calme. Mais Sirius perd le sien, et lorsqu'il attrape la main de Veronica par dessus le bureau, il se fait plus inquiet, ça se trahit dans son expression, dans ses yeux qui brillent d'un éclat presque possessif.
* Je ne laisserai personne te faire du mal à nouveau.
Cette fois, c'est un grondement sourd, de mauvaise augure.
. .
Veronica reste coite l'espace d'un instant, désemparée par cette réaction inattendue. Une fissure dans sa façade alors que ses yeux s'humidifient, peinant à contenir la vague d'émotions qui la frappent de plein fouet. Elle détaille le visage inquiet de Nori.
Il est si différent.
Qu'est-ce qui se passe.
Une larme coule le long de sa joue. Elle se croyait prête à avoir cette discussion, elle a tant pleuré déjà. La peur, la mort, la solitude. Riley. Tout. Les propos de Nori la rassurent, d'une certaine façon, apaisent un peu ce poids qu'elle traîne depuis deux mois déjà. Et d'un autre côté, elle s'en trouve encore plus terrifiée. Il est bien impliqué, d'une manière ou une autre dans cette histoire. Ses pensées tourbillonnent, partent dans tous les sens.
Qu̧̢'̨̕e̷s̷̷͘t-će ͘qui ͘s͡͞e̵ ̸p̕͟͠a̕s͜s͜͝ȩ̷͞ ̷?̶̀
Veronica enfouit son visage dans sa main libre, laissant l'autre sous son emprise. Ses épaules se secouent au rythme de ses sanglots.
* Il y a Nori Wallace, et il y a moi, Sirius. L'étoile qui l'habite. Tu es ma liée, au même titre que d'autres. Certains cherchent à vous, nous, faire du mal, et.
Son bras passe autour de la taille de la jeune femme alors qu'il la resserre encore contre lui, plus autoritaire.
* Et je ne laisserai plus personne te faire du mal.
Pouvait-elle le croire ? Elle aurait dû mourir, c'était au moins aussi improbable.
Liée, étoile, Nori, Sirius... L'explication est brève, en très peu de mots. Ces courtes phrases s'entremêlent dans sa tête, ont du mal à être assimilées par son esprit déjà embrouillé. Tout ça ne fait aucun sens.
Sirius la serre contre lui et répète qu'il la protègera, comme une promesse. Et cela suffit à l'apaiser un peu, lui permettre de reprendre son souffle, et ses joues prirent une teinte rosée. Elle a envie de le croire, ne serait-ce que pour se délester un peu de ses angoisses. Même si cette promesse semble impossible à tenir — Veronica ne se souvient que trop bien de la vitesse des évènements. Mais, à qui d'autre pourrait-elle faire confiance ?
Jamais Veronica n'avait paru si vulnérable devant quelqu'un qu'elle connait si peu. Si ce n'était de son épuisement, probablement en serait elle profondément gênée et agacée. La dernière fois, c'était probablement avec... Riley Greaves. Mais lui, c'était différent. C'était Riley.
Il lui manque tellement, et elle porte tant de regrets.
* Il faut que tu m'explique ce qui s'est passé. Il faut que tu m'explique ce qui t'es arrivé, et qui t'a fait du mal.
Il reprend, d'une voix grave et sérieuse, posant doucement ses deux mains sur les épaules de Veronica en ne la quittant pas des yeux, sa voix à elle tremble encore, et il s'en veut. Il aurait dû prendre les choses en main bien avant ça. Nori laissait trop couler, sous prétexte que ce n'était pas ses affaires. Il lui avait pourtant faire promettre qu'il n'arriverait rien aux liés, et regardez le désastre que c'était, maintenant.
* S'il te plait.
Ce qui s'est passé...
Je ne veux pas me souvenir
Je ne veux pas en parler
Je n e v eux p a s...
Veronica force un sourire, haussant les épaules, à court de mots. Le récit est partiel, et à la fois complet. Maintenant qu'elle l'a raconté à voix haute pour la première fois, elle est prise de nausée, de vertige. Elle se relève et s'éloigne de Sirius, récupérant son sac et se fige au centre de la pièce.
Ļ̀'̷̨e̵͘n̵v̕͢i̧͢͠e̡͘ d̷͢e̕͢ ͜͡f͢͠ui̵̛r̵̢.̢͞͠.
Veronica s'éloigne, Sirius l'observe, la scrute, en silence. Il se tend, comme prêt à la poursuite, à l'attaque, mais sûrement pas pour s'en prendre à elle. Son cou se tend, ses muscles roulent, sa mâchoire se crispe et pendant de longues secondes il reste silencieux, lorsqu'elle semble presque prête à partir, il approche. Sirius traverse le bureau en deux ou trois enjambées, et, tout proche, elle peut sentir son souffle chaud contre sa nuque et son épaule.
* Ne fuis pas.
- le repousser.
- fuir.
- ne rien dire / faire.
- lui demander une protection.
Tous ses muscles se crispent, son coeur semble arrêter de battre l'espace d'une seconde. Il est tout près, comme à l'affût de ses mouvements, sûrement prêt à la retenir si elle se décidait à suivre son instinct.
Respirer. Le vertige est toujours là, comme si elle risquait de tomber dans le vide à tout moment. Sa main gauche se pose sur le buffet derrière elle, ses doigts s'y agrippent.
Et ce sentiment était insupportable. D'un côté elle n'arrivait pas à mettre le pied en dehors de sa chambre pour le rejoindre, et de l'autre ce désir de le retrouver lui semblait superficiel. Encore aujourd'hui, c'est si frustrant de ne pas pouvoir distinguer les sentiments réels de ce qui lui est imposé par ce lien partagé entre étoile et liée.
Mais la réaction de Sirius à sa détresse semblait vraiment sincère.
Je ne dois plus être faible.
Le ton est assez coupant, assez clair. Il l'avise quelques instants avant de soupirer. Sirius a l'air sincèrement inquiet, et ce n'est pas le seul. De longues secondes passent sans qu'il n'ajoute rien.
* Je suis apte à ma propre défense, et je sais que tu peux te défendre aussi. Rien ne te préparais à ça, mais aujourd'hui tu sais. Laisse moi t'aider.
Il esquisse un sourire fatigué, peut-être que Nori reprend un peu le dessus, mais aucune main n'est tendue à Veronica.
* Tu as mon numéro de téléphone, et mon adresse. N'hésite pas au moindre problème.
Veronica reste silencieuse un long moment, à son tour. La réponse lui a fait l'effet d'une claque. Ce n'est pas ce à quoi elle s'attendait, et à son désarroi se greffe peu à peu la frustration. C'est tout ? C'est tout ce qu'il avait à lui dire ? Des vies sont en jeu, dont la sienne qui a déjà été suffisamment mise à l'épreuve, et il balaie de la main la seule chose qu'elle a l'impression de devoir faire. La seule chose qui donne un sens à ce qui est arrivé.
Je suis morte
Remontant son sac sur son épaule, elle s'avance d'un pas rapide jusqu'à Norius, ses talons claquant bruyamment sur le plancher de bois, et le gifle. Son visage est sévère et ses yeux humidifiés par la colère. Blessée, humiliée. Bien sûr qu'elle veut qu'il veille sur elle. Elle veut qu'il respecte sa promesse et que plus personne ne lui fasse de mal. Mais jusqu'à quand devra-t-elle se cacher, regarder au-dessus de son épaule par peur d'être suivie ? Et jusqu'à quand pensera-t-elle à
JE SUIS MORTE, PUTAIN
Le ton était acerbe, elle aurait eu envie de lui hurler dessus, se retient de tout casser.
Le ton n'est pas distant, mais il est vraiment froid, glacial, et tout aussi intense à la fois. Le regard qu'il pose sur elle est brûlant, d'une intensité nouvelle, étrange. Est-ce que quelqu'un t'a déjà regardée comme ça, Veronica ?
* Je suis ton étoile, et tu es ma liée. Notre lien est indéfectible, éternel.
Cette fois, il pose ses mains sur les joues de la jeune femme, et il semble immense face à elle, ce n'est pourtant pas le cas. Il se rapproche, leurs corps se heurtent un peu, il la coince près du bureau.
* Ton rôle est autant de me conseiller que de t'assurer qu'il ne m'arrive rien. Et mon rôle est le même. Tu ne peux rien changer à la situation, accepte la et rend toi utile.
Se perde dans ce regard, Veronica n'arrive pas à le lire, que peut-il bien ressentir ? Ressent il seulement quelque chose ? De la colère, du mépris, de l'inquiétude, de l'attachement. Tout cet étrange mélange, si humain... Mais impossible de discerner quoi que ce soit au fond de ses yeux.
Elle reste silencieuse alors qu'il s'approche, se fige, à la fois envoûtée et intimidée. Le ton glacial de Sirius la transperce autant que ses mots. Indéfectible et éternel... ou jusqu'à ce que mort s'en suive. Elle a déjà déjoué la mort une fois, sans pouvoir expliquer le pourquoi du comment. Mourir et revenir, pour
Il repose ses yeux sur elle, l'observe calmement, il marque un temps de silence et reprend, plus bas :
* Tu es sûre que tu ne fuiras pas, Veronica ?
Il ne s'agit même pas de fuir Sirius, mais de fuir les autres également, les autres liés, et Nori. Sirius est sceptique sur la question, visiblement pas pleinement rassuré sur l'aptitude de Veronica à demeurer à ses côtés.
- Lui assurer une fois que tu ne fuiras pas
- Promettre de ne pas fuir
- L'embrasser
- L'envoyer bouler
Les mots lui serrent le coeur. Encore. Il ne lui fait pas confiance. Ou cherche-t-il à confirmer sa loyauté ? Est-ce que d'autre lié.e.s l'ont déjà laissé tomber ? Le silence est pesant, comme si tout c'était évanoui autour d'eux. Sauf le tic tac de l'horloge, seul signe que le temps ne s'est pas arrêté.
La réponse devrait pourtant être facile. Je ne fuirai pas. Le dire fort, avec détermination, une promesse pour une promesse. Mais peux tu le lui promettre, Veronica ? Promettre, c'est facile, ce ne sont que des mots. Comment pourrait-elle être sûre qu'elle ne prendra pas ses jambes à son cou lorsqu'elle aura peur, si elle recroise l'individu sans visage ou quelque chose de plus terrifiant encore? Et ce doute qui l'habite l'empêche de dire quoi que ce soit.
La jeune femme réagit impulsivement, la seule réponse qu'elle connaît pour exprimer les sentiments qui l'habitent, aussi superficiels puissent-ils être.
Le dévouement, la peur, la loyauté, la souffrance, l'attirance.
Elle s'avance vers lui, glisse sa main sur sa nuque et pose ses lèvres sur les siennes. Une réponse humaine accordée à son étoile. Peut-être est-ce la proximité de leurs corps. Peut-être est-ce parce qu'il habite le corps d'un homme (très séduisant). Peut-être parce qu'elle est encore bouleversée du soucis qu'il se faisait pour elle. Un peu de tout à la fois. Un besoin d'être rassurée, aussi.
Pendant cet instant, tout s'évanouit.
Ça lui rappelle la forêt.
Il vient lui rendre son baiser, sans tendresse ni patience, c'est un baiser brut, un baiser qui scelle une promesse. Veronica est à lui, désormais, il la possède, elle ne peut en décider autrement. Les mains s'accrochent aux hanches de Veronica, à l'en faire mal, il se fait trop pressant, trop insistant, trop envahissant, trop violent, trop puissant.
Nori le déteste.
Lorsqu'il recule, finalement, c'est à contrecœur, mais les supplications du DRH finissent par avoir raison de sa patience. Ses lèvres encore toutes proches, il partage le souffle chaud de la jeune femme. Il chasse un mèche de cheveux du visage de Veronica et lui sourit, tendrement cette fois. Protecteur, attentif.
* File, tu as mon numéro si besoin.