Ca fait des jours, des jours que ça ne va pas. Des jours que tu te perds, des jours que tu t'embrouilles, des jours que tout s'aggrave et des jours que tu sais à peine qui tu es. Qui es-tu, Vassili Kalantzis ? Tu te souviens à peine.
Tu t'es rendu de toi-même à l'hôpital. Tu ne sais pas si tu as un instinct particulier qui te dit que tu trouveras quelque chose là-bas, ou si c'est simplement pour signaler que tu perds la tête et que tu as sûrement une tumeur de la taille d'un boule de bowling sur le cochi. Ah, et que tu as des étincelles qui t'explosent sur les doigts, aussi, et que l'air est constamment chargé d'électricité autour de toi, et que ça fait des jours qu'Andrea ne peut pas dormir avec toi, parce que le moindre contact entre vous vous fait hurler tous les deux. C'est un calvaire.
Tu n'es pas en détresse. Tu es juste... présent. A peine existant, vivotant. Tu es calme, au moins. Oh, oui, un calme olympien. Et là, alors que tu es dans la rue déserte et que les putain de claque-doigts de l'enfer reviennent te faire faire la meilleure imitation de Pikachu de la ville, tu hurles.
C'est un cri triste. Le cri de quelqu'un qui, 1. en a marre, 2. a mal partout, 3. est dans la confusion et l'embarras depuis des jours. En tous cas, ça résonne, ça fait écho dans la petite rue de l'Octant, et tu te tasses immédiatement sur toi-même, honteux. Qu'est-ce qui t'as pris ? Tu as l'impression (?) de devenir fou.
C'est ce qu'elle demande, doucement, en approchant de quelques pas. Elle a reconnu la silhouette et l'appel qu'il a fait, sûrement malgré lui. Elle approche et pose sa main sur son épaule, lentement, sans chercher à prendre des précautions. Elle sait.
* Est-ce que ça va ? Est-ce que ça va aller ?
La voix est douce, rassurante, elle prend son temps pour bien parler, pour bien s'exprimer, et son côté maternel lui colle à la peau. Elle te semble sortie de nul part, mais la réponse à l'appel est clairement la bienvenue.
Tu viens de hurler de ce qui pourrait s'apparenter à de la douleur à côté d'un hôpital, espèce de con. Bien sûr que des gens pourraient remarquer, et s'inquiéter, et venir...
Tu te retournes en sursautant quand une main menue se pose sur ton épaule. Et voilà. Venir te demander si ça allait. Tu cilles, avant de réaliser que cette jeune femme qui se dresse devant toi, si étrange et pourtant si familière à la fois... tu la connais, tu en es certain. Tu plisses les yeux. Avant d'afficher un sourire - triste et fatigué, mais un sourire quand même. Peut-être du soulagement.
Madison ! Tu t'exclames, sûrement surpris de la voir ici et surtout, en aussi bonne forme. Parce qu'elle a l'air bien, la jeune femme. Sur tous les plans. Tu fronces un peu les sourcils sans que ton sourire ne s'efface. Qu'est-ce qu'elle fait là ? Comment allez-vous ? Depuis le temps... Enfin, tu supposes. Tu choisis sciemment d'ignorer le fait que tu viens de hurler sans aucune raison comme un taré fini, en espérant qu'elle oublie. Mais les gens ne fonctionnent pas comme toi.
* Oh, Vassili.
Il s'était rencontrés à l'hôpital, il y avait des mois de ça. Elle n'aurait pas pensé le revoir, et elle n'aurait pas non plus pensé que son éclat si longtemps retenu finirait par s'accrocher à lui. Elle se détestait.
* Depuis quand est-ce que tu peux produire de l'électricité ?
La question est soufflée à mi-voix.
Le déclic se fait alors qu'elle effleure ta joue - peut-être que c'est la décharge qui te remet les idées en place, ou peut-être que ça décale un truc dans ton cerveau, tu ne peux pas savoir. Tu écarquilles les yeux et pendant un instant, bien que tu ne puisses pas vraiment le réaliser tout de suite, tu vois tout. Tu vois Cursa l'étoile et Cursa l'esprit, terré au fond de Madison. Tu vois la dépouille de Madison et tu vois le lien qui te lie à cette étoile, comme des petites particules de lumière que tu ne comprends pas vraiment, même en les ayant sous les yeux. C'est un fil d'Ariadne mystique qui te laisse bouche-bée. En l'espace d'un instant, tu comprends.
... Cursa ? Tu murmures, alors qu'une goutte de sueur glacée traverse ton dos.
* Tu es en sécurité, tout va bien.
Elle murmure, contre lui.
C'est toujours agréable d'enlacer une aussi jolie fille, mais honnêtement le câlin te paraît presque misérable - parce que tu l'es, Vassili. Tu es... triste. Tu comprends quel est ton sort, et ça te brise le coeur. Tu n'as jamais voulu être important, tu n'as jamais voulu avoir un rôle dans l'Histoire, tu n'as jamais voulu être extraordinaire. Et pourtant regarde-toi, capable de faire de l'électricité avec ton corps ! Comme si tu n'étais pas assez bizarre, déjà.
Tu relâches Cursa et gardes tes mains sur ses épaules, lui souriant. Et en vérité ?
* Je ne sais pas.
Il demande la vérité, après tout.
* Le cercle n'est pas complet, je ne peux m'y résoudre, et l'une de mes liée est injoignable.
Un silence, elle resserre un peu ses mains.
* Mais nous sommes liés, et les meurtres ont cessés. Tu dois rencontrer les autres.