Faded smile. [ft. Coraline]

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Faded smile

Une nuit en enfer. Une nuit de peur, d’angoisse. Une nuit traumatisante. Tu vois son sourire partout. Tu entends son rire tout le temps. Tu as l’impression que ses griffes lacèrent ta peau en permanence. Pourtant il n’y a rien. C’est fini. N’est-ce pas ? Tu es toute seule. Seule dans ta petite chambre d’hôpital, la 257. Allongée sur le flanc parce que sur le dos, c’est impossible. On vous a séparé, Mica, Hego et toi. Tu n’as pas eu de nouvelles. Tu ne sais pas comment ils vont. Et tu t’inquiètes. Ils étaient plus blessés que toi. Sont-ils au bloc opératoire ? Sont-ils sortis ? Sont-ils morts ? Hego non. Hego tu l’aurais ressenti. Tu es lié à lui. Mais tu ne ressens plus rien. Rien que de la peur. Une peur froide, viscérale. Une peur panique. Peur de lui. Ether.

Vous avez joué la carte de l’amnésie. Vous avez prétendu ne vous souvenir de rien. Vous vous êtes réveillés comme ça dans les CDC, couverts de votre propre sang. Je ne sais pas. La seule réponse que tu as donné. La seule réponse valable. Des étoiles qui tombent du ciel dans des corps humains. Et des entités flottantes aux ongles bien trop longs. Personne ne vous aurait cru de toute façon. Personne n’a besoin de savoir. C’est ton secret. Votre secret. Précieux. Dangereux. Effrayant.

Tu crois apercevoir le jour se lever à travers la fenêtre. Depuis quand la fixes-tu, cette fenêtre? Tes yeux, accrochés à la branche presque nue d’un arbre à l'extérieur. Tes yeux qui ne lâchent pas ce point précis. Qui refusent de se fermer. Il est là. Il est partout. Il est derrière tes paupières. Regard vide. Et maintenant quoi ? Rentrer chez toi. Retrouver ta vie. Retrouver ta famille. Tes enfants… Ils doivent s'inquiéter, tes pauvres enfants. Dans un élan d’énergie, tu tends ta main. Tu la tends jusqu’à toucher ton téléphone du bout de tes doigts. Tu la tends jusqu’à t’en faire souffrir le dos. Ce n’est pas grave. Rien n’est grave. Rien. Les contacter c’est tout ce que tu dois faire. Leur dire que ça va. Que Maman va bien. Qu’elle rentre vite. Qu’elle est désolée. Et puis penser à un mensonge. Inventer un bobard. Mentir sur le pourquoi tu es blessée. Sur la raison de ta disparition. Ecran noir. Plus de batterie. Les dernières ressources utilisées pour répondre au renard. Putain de renard.

faded smile.

Qu'est-ce qui se passe, Cora ? Tu sais, tu avais passé le début de soirée, installée dans le canapé de Leith avec un plaid, à côté de Lycaon, la télévision allumée diffusait des émissions paranormales, pour Halloween … toi qui n'avais pas le loisir de fêter pour cette année, tu avais trouvé que ce serait pas mal. Et puis, tu ne sais pas trop pourquoi, mais le sommeil t'avait emportée bien trop rapidement. Tu t'étais réveillée en sursaut, au beau milieu de la nuit, le réveil digital posé près de la télévision éteinte avait indiqué minuit et des poussières. Lycaon n'était plus là. Tu étais seule.

Vers six heures du matin, le frère de Lycaon avait fait son apparition. Il était dans un sale état, tu l'avais questionné de nombreuses fois, tu lui avais dit que son frère avait disparu subitement, il n'avait pratiquement pas répondu, c'était comme si tu lui infligeais un coup de plus. Néanmoins, malgré son état, il avait insisté pour te ramener chez toi, il voulait que tu sois en sécurité. En descendant de la voiture, lorsque tu avais demandé à Leith s'il allait bien, le sourire forcé qu'il t'avais offert t'avais littéralement brisé le cœur.

Molly et Zéphyr étaient toujours chez Maggie. Maman n'était pas rentrée. Maman n'avait pas appelé. Maman n'avait pas non plus répondu au téléphone. En chargeant ton téléphone, tu avais remarqué les nombreux appels. Tu avais essayé d'appeler ta mère, et la messagerie avait été ta seule interlocutrice. Maman n'était pas comme ça, elle n'avait jamais été du genre à vous laisser de côté, elle répondait toujours au téléphone lorsque vous aviez besoin d'elle. Alors, après la disparition de Lycaon. Après l'expression sur le visage de Leith. Tu en avais conclu qu'il était arrivé quelque chose, et tu avais commencé à appeler les médecins, les hôpitaux, les cliniques en donnant son nom, en suppliant parfois … jusqu'à ce qu'une femme te répondes par la positive. Elle était à l'hôpital depuis très tôt le matin du premier novembre.

Aussi vite que possible, tu avais de nouveau quitté l'appartement, prenant le temps de serrer Molly et Zéphyr dans tes bras, de les embrasser, de les rassurer avant de foncer à l'hôpital. Chambre 257, avait dit la secrétaire en t'indiquant le bon couloir, et tu avais couru jusqu'à la porte, donnant quelques coups avant d'entrer sans attendre. Maman était là … maman était là, et elle était en vie. « Maman … » La voix d'une enfant qui eut peur, les larmes te montent aux yeux à une vitesse fulgurante et tu te précipites auprès d'elle. « Qu'est-ce qui s'est passé ? » Tu demandes aussitôt, en venant te pencher pour l'enlacer, fort, trop fort peut-être. « Comment ça va ? Tu es blessée ? Je suis désolée, pardon maman … je m'enfuirais plus c'est promis … »

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Faded smile

Regard vide qui se détache de la branche pour se porter sur la porte de ta chambre alors que l’on tambourine à celle-ci. Des médecins sans doute. Des infirmier·es peut-être. Ils viennent vérifier les plaies. Ils viennent s’assurer que ce n’est pas infecté. Peut-être te donner des nouvelles de Hego. De Mica. Qu’ils aillent bien. Par pitié. Ou alors des policiers qui viennent essayer de comprendre comment trois personnes se sont retrouvées amnésiques et blessées ? Mais non. Pas de blouses blanches. Pas d’uniformes bleus. Juste Coraline. Cora. « Cora ? »

Tu aurais pu t’attendre à voir n’importe qui passer cette porte. Danaé. Danh. Peut-être même ce vil renard juste pour te torturer un peu plus. Mais ta fille ? C’est une surprise. Tu te redresses quand tu la vois. Trop vite. Trop brusquement. Ça t’arrache une sale grimace. Tu ne te souviens pas de la dernière fois où tu l’as vu si inquiète. Tu ne te souviens pas de la dernière fois qu’elle t’a enlacé de sa propre initiative. Ça aussi, ça t’arrache une grimace, un couinement de douleur que tu réprimes. Tu ne veux pas la lâcher. Tu ne veux pas qu’elle te lâche. Elle est là. C’est si bon de l’avoir contre toi. De sentir ton cœur si près du sien. De sentir l’odeur de ses cheveux. Tu es prête à souffrir mille fois plus encore si tu peux juste la garder dans tes bras. Tu as eu peur. Peur de les perdre. Peur de les laisser. Tes enfants sont de bons petits et ils ne méritent pas ça. Ils ne méritent pas d’avoir une mère funambule sur le fil rouge de la vie en permanence.

Tu éludes sa première question. Mentir à des inconnus, c’est une chose. Mentir à Coraline, s’en est tout une autre. Et tu ne peux pas, la mêler à tout ça. La simple idée qu’elle soit en danger te rend réellement malade. « Je vais bien. Ce n’est rien, ne t’en fais pas. » Bien sûr qu’elle s’en fait. Elle s’en fait comme tu t’en faisais pour ta mère à l’époque. Quand elle rentrait éméchée et amochée. Quand elle ne disait rien et que tu devais tout deviner toi-même. Mais ce n’est pas pareil. Tu n’es pas Astrid. Tu ne lui ressembles. Elle était une ivrogne dépensière au possible. Toi, tu n’es qu’une éveillée du cercle d’Alcyone qui fait ce qu’elle peut pour survivre dans un monde qu’elle ne comprend pas. « Chut… chut… ça va. Tu es là maintenant c’est la seule chose importante. Je ne suis pas en colère ma Chérie, d'accord ? » Tu embrasses son front. Tu la serres plus fort. Tu la berces dans tes bras. « Comment m’as-tu trouvée ? » L’hôpital n’avait contacté personne. Une partie de toi ne voulait pas. L’autre n’avait tout simplement pas les contacts en tête. Qui retient encore des numéros par coeur à l’ère des smartphones ? « Zephyr et Molly… Ils vont bien …? » Ta voix s’étrangle à l’idée qu’il ait pu arriver quelque chose à tes deux plus jeunes.

faded smile.

Maman est là. Et tu es si soulagée, Cora, si heureuse de la voir assise sur son lit d'hôpital, les yeux grands ouverts, parfaitement consciente que tu vas vers elle, brusquement, trop sans doute, pour la serrer contre toi, comme si tu avais besoin de cette preuve pour en avoir le cœur net. Quelque chose ne va pas avec ta mère, tu le sais, tu l'as deviné parce que tu n'es pas complètement idiote malgré les apparences que tu laisses flotter derrière toi. Seize ans, et pourtant, parfois si lucide. Trop pour ton propre bien. Tu as peur, Coraline, voilà la vérité, c'est pour ça que tu fuis, c'est stupide mais c'est ta manière à toi de faire l'autruche, de ne pas voir que les choses ne font que tanguer, encore et encore. Tu crains que ça ne finisse par basculer du mauvais côté, tu crains de perdre ta mère.

Elle va bien qu'elle dit. Tu n'en crois pas un mot. Les gens qui vont bien ne sont pas à l'hôpital. Elle n'est pas en colère. Et ça, ça t'arrache une grimace étrange… dans une situation normale, n'importe quelle mère l'aurait été, ne serait-ce que par inquiétude. Tu préfèrerais la savoir en colère. « Quand je suis rentrée tu n'étais pas là, alors j'ai appelé les hôpitaux et les cliniques comme ils font dans les films … » Qu'on vienne encore te dire que les séries de Netflix ne font que t'abrutir le cerveau, hein. En tout cas, tu te redresses, tu gardes la main de ta mère dans la tienne, tu tires une chaise un peu bruyamment sur le carrelage aseptisé de la chambre pour t'y asseoir, près d'elle. « Ils vont très bien, maman, ils sont tous les deux chez Maggie. » Maman a toujours confiance en cette vieille dame, de ce fait, tu as confiance, toi aussi, tu sais que ton frère et ta sœur sont en sécurité. « Oncle Danh est passé, mais je l'ai manqué. » C'est tout ce que tu sais, tu n'es pas restée à la maison assez longtemps, tu n'as pas questionné davantage, ce qui t'intéressais, c'était de retrouver ta mère le plus vite possible.

« Tu es blessée … » Tu souffles, finalement. Pas besoin d'être un génie pour le deviner, tu l'as senti, en la serrant dans tes bras. « Maman, comment est-ce que c'est arrivé ? On t'as fait du mal ? Tu as eu un accident ? » Tu veux savoir, parce que c'est bizarre. Parce que, tout semble s'empiler de façon un peu trop précaire à ton goût … d'ailleurs, tu sors ton téléphone, tu guettes le message que tu as envoyé à Lycaon pour savoir où il a bien pu passer. Toujours aucune réponse. Ça t'inquiète. Pourquoi est-ce que les gens qui t'entourent s'acharnent à disparaitre, comme ça ? « J'ai un ami qui a disparu depuis la nuit d'Halloween … il s'est passé quelque chose, en ville ? » Tu n'as même pas pris le temps de vérifier les nouvelles.

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Ta main glisse sur sa joue et tu lui souris. Un sourire triste. Un sourire fier. Elle s’est inquiétée. Est-ce que tu t’en serais doutée ? Peut-être pas. Cora est une enfant en colère. Contre toi. Contre la vie. Contre le monde. Et tu ne peux pas lui en vouloir pour ça. Tu l’as arrachée à sa vie à Crimson City. Tu l’as arrachée à son père, à ses amies. Tout ça pour une pulsion égoïste. Un besoin de retrouver Alcyone. « Ma grande fille… Tu es tellement intelligente. » Elle a hérité de ta débrouillardise, c’est certain.. Elle l’est même bien plus que toi. C’est une bonne chose n’est-ce pas ? Elle ira loin. Elle survivra à toutes les épreuves de la vie. C’est ce que tu te dis pour te rassurer. C’est ce que tu te dis pour ne pas sombrer dans la peur et la paranoïa.

Soupir de soulagement quand tu apprends que Zephyr et Molly vont bien, qu’ils sont chez Margaret. Et ton cœur qui se serre quand tu les imagines se réveiller sans toi dans ce petit appartement. Ce n’est pas juste ce que tu vis. Ce n’est pas juste ce que tu leur fais vivre. Tes problèmes se reflètent sur tes enfants. Et puis Danh. Danh ton petit frère dont tu n’es pas aussi proche que tu l’aurais aimé. Danh qui est passé. Est-ce qu’il sait ? Est-ce qu’il est impliqué ? Tu en viens à douter de tout. De tout le monde. Tout le monde à part tes gamins. Tout le monde à part Hego. Danaé.

Une moue pincée sur tes lèvres, tu acquiesces. Oui, tu es blessée. Mais non, tu ne peux pas lui expliquer. Un accident ? Il n’y a qu’à voir la blessure pour savoir que c’était un acte délibéré. Rien qu’à imaginer Ether autour de Cora t’arrache un frisson. Tu ne peux pas risquer que celà arrive. Quand bien même tu aurais envie de lui hurler toute la vérité, la mettre dans la confidence. « Je suis blessée. C’est tout. Tu sais comment c’est dans les CDC. » Les chiens de chasse, quartier effrayant que tu ne peux quitter. Quartier dangereux dans lequel tu as forcé tes enfants à vivre. Quelle idiote. Ton ton est sec. Peut-être trop. C’est différent de d’habitude. Tu ne peux pas la laisser te poser plus de questions. Tu ne peux pas parce que tu n’es pas sûre de pouvoir garder tout ça pour toi si elle vient à t'interroger avec plus de ferveur.

Pourtant ta gorge se serre quand elle te parle de son ami. C’est une coïncidence n’est-ce pas ? Juste une coïncidence. Au fond de toi, tu en viens à paniquer. Si ce n’en est pas une alors tu es sérieusement inquiète pour le sort de ce garçon. S’il était là dessous lui aussi… Oh tu ne veux même pas y penser. Mais après tout, il n’y avait que vous trois en bas. Mica. Hego. Toi. Et puis Ether. Aucun signe de qui que ce soit d’autre. Rien d’anormal à part la détresse de Danae. « Comment est-ce qu’il s’appelle ? » Demandes-tu. Curieuse. Tu veux démêler le vrai du faux là dedans. Tu veux savoir la vérité. Surtout, tu imagines Coraline à la place de cet adolescent. Et ça te tue.

faded smile.

Ah, maman. Tu aurais tant de choses à dire, si on te demandait de parler de ta mère, Coraline. Ce serait un long, très long discours, tu le sais, et pourtant, tu sais aussi que tu ne le commencerais jamais, ce discours. Tu éluderait la question d'un signe de main en détournant les yeux parce que, tu l'aimes, ta mère, c'est surement le pilier de ton existence, tu vois, néanmoins, tu lui en veux et toute une partie de la colère qu'il y a en toi et dirigée vers elle. Uniquement vers elle. Tu la plains, parfois, parce qu'elle doit te supporter, elle doit endurer tes humeurs et toutes ces choses que tu ne contrôles même pas te concernant … oui, Cora, parfois, tu aimerais être plus calme, plus posée, tu aimerais avoir toujours les bonnes réactions, savoir patienter et écouter. Seulement, tout ça, ce sont des choses d'adultes, et encore.

Et tu es rassurée. Tu lui racontes comment tu es arrivée là, tu la rassures, pour Zéphyr et Molly. Et puis tu questionnes, et les habitudes reprennent le dessus, alors, tu soupires, tu souffles lourdement sans même chercher à cacher le fait que ça te déplait. Tu t'enfonces un peu sur la chaise sur laquelle tu viens de t'installer, tu repenses à Lycaon alors que tu avoues qu'il a lui aussi disparu. Tu te rappelles de cette discussion, quand il a parlé de ta mère … il lui a laissé le soin de te dire les choses, et si tu n'as pas compris, peut-être qu'il a réussi à te donner l'espoir qu'elle le fasse, même si tu la connais, même si tu aurais pu anticiper ce genre de réponse qu'elle t'offre. « Lycaon. » Tu lui dis simplement, détournant maintenant les yeux pour observer le ciel, le haut de l'arbre, par la fenêtre de la chambre d'hôpital. Et quoi ? Elle est blessée, ta mère, elle n'est pas au mieux de sa forme, tu le sais, que ce serait sûrement égoïste d'insister, de la fatiguer avec ça. Néanmoins, ne l'est-elle pas, elle aussi, parfois, de ton point de vue ? Oh, si. Bien sûr que si.

Alors tu te lèves, la nervosité te donne la bougeotte. Le discours de Lycaon, ce soir-là, chez son frère … il a confirmé l'un de tes doutes au moins : il se passe quelque chose dans cette ville. Ça touche des gens. Ça touche Lycaon, oui. Peut-être que ça touche ta mère. Et toi, Coraline, si tu devrais surement te tenir loin des ennuis, tu en es parfaitement incapable, non, tu veux savoir, c'est comme ça, c'est juste plus fort que toi. Têtue, oui. Tu as de qui tenir, il faut dire. « Maman … » Les fesses appuyées contre le rebord de la large fenêtre, les bras croisés sur ta poitrine, tes yeux s'accrochent à ta mère et tu te promets de ne pas la lâcher cette fois. « Dis moi la vérité, s'il te plait. » Plus sérieuse que jamais, un pied dans l'âge adulte probablement, pourtant, tu as tout le temps de grandir. « Qu'est-ce que tu nous caches depuis des mois ? Qu'est-ce qui te fait peur ? Qu'est-ce qui te pousses à … te retrouver dans cet état ? » Une nuée de questions, comme un essaim qui fonce droit sur ta pauvre mère, qui pique, sûrement. « Je suis plus une gamine, j'ai le droit de savoir. Je veux savoir. »

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Faded smile

« Lycaon… » Tu répètes son prénom à voix haute. Tu le répètes dans ta tête. Plusieurs fois comme pour l’y imprimer. Comme pour le garder en mémoire. On n’est jamais trop sûr. Tu pourrais le croiser. On pourrait te parler de lui. Danae peut-être. Hego. Tu ne connais pas vraiment le reste de ton cercle. Finalement, tu ne connais rien de ce monde. Ce monde dont tu fais partie. Ce monde dans lequel on te traque alors que tu n’as pas choisi d’en faire partie. Bien au contraire. Tu te serais passée des étoiles. Tu te serais passée d’Ether.

Tu inspires fortement. Expires tout aussi bruyamment. Coraline ne lâchera pas l’affaire. Et toi, tu ne tiendras pas longtemps dans ton mensonge. Tu as peur de la perdre si tu ne lui dis rien. Tu as peur de la perdre si tu lui dis tout. Peu importe l’option que tu choisis, tu es perdante à tous les coups. « Oh non Cora, tu n’es plus une gamine. Mais c’est compliqué. Et je vais avoir besoin que tu fasses preuve d’ouverture d’esprit pour comprendre d’accord ? » Tu ne doutes qu’elle est ouverte, ta grande. Après tout, tu ne l’as jamais élevée dans le jugement de l’autre. Mais là, cette histoire, elle est complexe. Capillotractée. Tarabiscotée. Et elle pourra tout à fait refuser de te croire, penser que tu te moques d’elle. Ton ventre se tord, ta gorge se noue. Tu ne veux pas songer à ça. Tu ne dois pas. Pas s’il faut lui raconter la vérité.

« Viens, assieds toi mon ange. Ça va être beaucoup à encaisser. Mais je te promets de ne dire que la vérité. » Tu lui tends la main. Tu baisses les yeux. Tu te racles la gorge. Par quoi commencer ? « Il y a quelque temps, quand j’étais encore avec ton Papa, une étoile s’est incarnée sur Terre dans le corps d’une humaine. » Tu marques une pause. « Pour survivre, elle a lié à elle huit personnes, les dotant d’un don différent. Je suis l’une de ces personnes. Malheureusement Alcyone, mon étoile, est morte avant que l’on n’arrive à Polaris. Je n’ai jamais pu la rencontrer. » Deuxième pause. Soupir. « Mais j’ai rencontré Danaé, son hôte. Je suis toujours liée à elle ainsi qu’aux sept autres personnes. » Tu jettes un regard à ta fille pour voir si elle suit. Pour voir si elle comprend. Pour juste observer sa réaction. « Il y a des gens qui veulent nous faire du mal. Je ne sais pas pourquoi. L’hôte n’a rien voulu me dire. Juste que je devais faire profil bas. Alors j’ai fait attention mais… Je n’ai aucune idée de comment c’est arrivé. Je me suis retrouvée dans les souterrains de la ville avec l’un de mes amis, Hego. Quelqu’un qui est lié à Alcyone aussi. Et puis il y avait un autre homme. Je crois qu’il n’était lié à aucune autre étoile. » Oh non Mica n’était définitivement pas lié. Il ne comprenait rien à la situation. Comment aurait-il pu ? « Bref, je me suis retrouvée là et j’ai senti que Danaé n’allait pas bien. Alors on a voulu la retrouver. Et cet… homme - pour tout avouer je ne suis même pas sûre qu’il était humain - nous a bloqué le passage. Quand on a voulu partir et qu’on lui a tourné le dos, il nous a attaqué. C’est lui qui m’a fait ça, dans le dos. Il a blessé Hego et Mica aussi. On a été ramenés à la surface. Encore une fois je ne sais pas comment. Puis on est allés à l’hôpital. » Tu déglutis. « Et… Voilà… tu sais tout. » Il n’y avait rien de plus à dire. Tu n’as plus de salive pour parler. Tu n’attends qu’une chose, savoir si elle te croit ou non.

faded smile.

Tu insistes. Oh, tu as toujours été têtue, mais d'ordinaire, quand tu sens que les choses commencent à se tendre, tu finis par te détourner et par lâcher l'affaire, tu te contentes de ruminer dans ton coin et c'est bien là toute l'origine des tensions qui existent entre toi et ta mère : ton incapacité à communiquer, du moins, jusqu'au bout. Cette fois, tu sens que c'est réellement important, ta mère est à l'hôpital. Ta mère a été blessée. Quelqu'un à osé faire du mal à ta si précieuse, et si unique maman. En toi, il y a ce puissant mélange de colère et de crainte, tu te demandes si sa vie est menacée, si la tienne l'est aussi, si celle de tes frère et sœur peuvent l'être … tu fais des connexions, un peu partout, les images se succèdent dans ta tête, tu as l'impression d'être devant un immense puzzle, certaines pièces sont faciles à assembler mais d'autres restent désespérément sur le côté, allant te faire te demander si elles vont réellement avec les autres, ou si c'est encore tout autre chose.

Aujourd'hui, donc, tu insistes, oui. Et aujourd'hui, ta mère semble prendre conscience qu'il faut qu'elle te dise les choses, que ce sera mieux comme ça. Elle doit penser que ça va te mettre en danger, mais ne l'es-tu pas tout autant en restant dans l'ignorance ? Toi, en tout cas, tu penses que si. Prenant la main qu'elle t'offres, tu reviens donc à elle pour t'asseoir sur un petit bout de son lit, à ses côtés, tu gardes ses doigts entre les tiens, et puis … tu la laisses te parler, te raconter. L'histoire remonte plus loin que tu ne l'aurais imaginée, elle est à l'origine de votre départ, de votre déménagement, de votre venue à Polaris et plus elle parle, plus tu ouvres grands les yeux. Et quoi ? Tu t'imaginais sûrement quelque chose de fou, oui, mais de plus réaliste tout de même. Une histoire de mafia aurait été plus douce que celle d'une étoile qui s'incarne et qui met des gens en danger. Qui leur donne des dons … elle te parle d'Halloween, de la soirée, de sa blessure, de l'homme qui en est responsable, de ceux qui l'accompagnaient. Et à la fin de son récit, tu es simplement figée. Les pièces du puzzle ont continué de s'assembler … celles qui étaient sur le côté commencent à trouver leur place, contre toute attente.

Et tu pourrais soupirer et lui dire à quel point elle exagère, lui répéter que tu n'es plus une enfant et qu'elle n'a pas à inventer de telles histoires pour masquer les choses qui peuvent faire peur … seulement c'est ta mère, et tu la connais bien. Dans ses yeux, tu cherches la faille, tu cherches désespérément le signe que tout ça n'a rien de vrai, malheureusement, il n'y a rien. Maman dit la vérité. « Des étoiles, des pouvoirs, des gens qui meurent et un type fou furieux … d'accord. » Tu donnes peut-être l'impression de ne pas en croire un mot, la vérité, c'est que c'est tellement complexe comme histoire que tu résumes pour toi-même, en simplifiant les choses au maximum. « Et ces gens qui veulent … te faire du mal, tu sais qui c'est ? Pourquoi elle ne dit rien, cette Danaé ? » A deux doigts de trouver son numéro et son adresse dans l'annuaire ou sur le net pour aller lui déballer ta façon de pensée, à celle-là. Et maintenant, tu penses à Lycaon, à ses réflexions étranges et à sa disparition soudaine, pile ce soir-là. La coïncidence te paraît trop grosse, tu te dis qu'il est probablement mêlé à tout ça, lui aussi, et ta gorge se sert en songeant que si ta mère s'en est sortie, ce n'est peut-être pas son cas … « Je suppose que tu ne peux juste … leur dire que tu ne veux pas être mêlée à tout ça. » Ce serait si simple, tellement que tu sais d'avance que c'est forcément impossible. Foutue étoile à la noix, hein, voilà ce que tu te dis. Responsable de l'état de ta maman, peut-être aussi de la disparition de Lycaon. « Est-ce que … des gens sont morts ? Tu as été blessée mais … Est-ce que des gens sont morts, avec cette histoire de souterrains ? »

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Cora répète. Sans doute se fait-elle une carte mentale des informations que tu viens de lui donner. Elle est forte. Bien plus que toi. Si les rôles avaient été inversés, si ça avait été ta mère, tu crois bien que tu te serais écroulée. Quand bien même Astrid était une horrible harpie. Tu l’admires, ta fille. Tes doigts pressent sa paume. Ton pouce caresse tendrement le dos de sa main. Tu ne veux pas la lâcher. Tu ne veux pas laisser ce contact. Tu as besoin de ça. Ça te rassure de savoir qu’elle est là.

« Je ne les connais pas. À vrai dire, je ne sais rien du tout. Ni qui ils sont, ni pourquoi ils font ça. » Danaé ne t’a rien dit. Elle n’a pas daigné le faire. La situation aurait peut-être pu être évitée si elle avait parlé. Mais non. Elle n’a eu pour seules paroles que de vous dire d’être prudent. Et même en l’étant, tu as été attrapée. Comment être prudente quand on ne connaît pas le danger que l’on doit affronter ? « Elle est perdue je crois. Elle a peur ou quelque chose comme ça. » Tu n’en sais rien. Elle n’a pas de raison de ne rien dire à tes yeux. Elle n’a pas de raison de cacher quoi que ce soit à ses liés. Au contraire. c’est contre-productif. Vous pourriez être là, à vous serrer les coudes, à vous protéger et vous aider. Mais non. Et si tu apprécies l’hôte, il y a une forme de rancœur qui naît dans ton cœur à son égard. Sourire triste. Soupir. « Non. Ça ne marche pas comme ça. Que je le veuille ou non, je suis liée à elle. Je n’ai pas le choix. » Et tu aimerais l’avoir, le choix. Tu aimerais qu’on te laisse tranquille. Qu’on laisse tes proches tranquille, évidemment.

Ton cœur se serre à sa dernière question. « Tu demandes pour ton copain n’est-ce pas ? » Il a l’âge de Cora. Il a son âge et ça te tue de l’imaginer seul, là dessous. De l’imaginer seul entre les griffes d’on ne sait qui. « À ma connaissance non. Je ne sais même pas s’il y avait d’autres personnes avec nous, en bas. » Il y avait Danaé ça c’est sûr. Tu l’as sentie et tu as été incapable de la trouver. « Si c’est un lié alors nous n’avons pas la même étoile. » Et tu pries pour qu’il ne le soit pas. Tu pries sincèrement pour que ce garçon soit hors de danger, hors de ces histoires. « Cora. Il faut que tu me promettes de ne pas t'immiscer dans ces histoires. Tu ne dois pas creuser plus. Je te donnerai les infos quand je les aurai. Mais toi, ne cherches pas de ton côté. C’est trop dangereux. » Ton regard se veut plus sévère qu’à la normale, le ton de ta voix aussi. Mais tu connais ta fille par coeur. Et il est hors de question que tu prennes le risque de la perdre.

Merci

Faded smile. [ft. Coraline]