Time dilatation
Ft. Cephei || Octant || 01.11.21 || 16:05
Mais qu’est-ce que tu fous là Seth ? Pourquoi tu l’as écouté ? Pourquoi t’as cédé ? Niels t’as assuré que sortir un peu te ferait du bien. Qu’aller à un rencard t’aiderait. Et toi, t’as écouté. Tu regrettes déjà. Bon sang, tu n’as pas envie de rencontrer qui que ce soit. Tu n’as pas envie d’être à nouveau en couple. Toi qui as, à peine, fait le deuil d’Arthur. Idée à la con vraiment. Tu as voulu annuler. Tu as voulu appeler ton ami. Lui dire que c’était mort. Qu’on mettait fin à la mission. Mais rien. Pas de réponse. Après tout, c’était l’anniversaire de son petit frère hier. Halloween aussi. Vous ne l’avez pas fêté ensemble pour une fois. C’était peut-être trop alcoolisé. Ou pire connaissant Isak. Peut-être qu’il dort toujours, même en plein milieu de l’après-midi.Tu n’es pas plus inquiet que ça. Il répondra quand il en aura envie. Il répondra quand il pourra.
L’homme, ton date, il est en retard. Et ça t’agace. Il n’en faut pas beaucoup pour t’agacer mais le manque de ponctualité est sans doute l’une des pires choses. Tu as fait l’effort de venir alors que tu aurais pu lui poser un lapin. Tu as fait l’effort de t’apprêter un minimum alors que tu aurais pu venir en vieux jogging. Et lui ? Pas là. Ça bouillonne en toi. Tu en as déjà marre. L’expresso sans sucre brûlant vite avalé. La monnaie sur la table. Tu te lèves. Attrapes ta veste sur le dossier de ta chaise. L’enfiles. Tu t’apprêtes à partir. Il a cinq minutes de retard.
Mais pas juste voir du monde, non. Rencontrer des hommes. Après tout, elle t'avait reproché de ne pouvoir aimer personne, et surtout aucune femme, restait à savoir si ton ex-femme avait vraiment raison. Bon, ceci dit tu étais en retard, et pas qu'un peu, cinq bonnes minutes quand habituellement tu étais réglé comme du papier à musique. Arrivé devant le café, tu soupires en voyant celui que tu penses être ton rendez vous en train de se lever et partir. Hé bien, heureusement qu'il n'avait pas noté patient dans ses qualités, on va dire. Tu pousses la porte, il manque de te rentrer dedans, tu l'observes quelques instants.
Toutes mes excuses, je suis en retard. Sans blague. Pas un sourire, comme si ça t'écorcherai d'en faire un. De toutes façons à quoi bon, puisqu'il te déteste sans doute déjà. Toi, tu te serais détesté, à sa place. Tu n'aimes pas qu'on te fasse attendre, alors. Enfin, tu ne prends pas la peine de quitter ton manteau, puisqu'il est parti pour sortir, mais tu te places quand même entre la porte et lui. Ai-je quand même le droit à un instant ? Tu n'as rien dis, sur toi, sur l'appli de rencontre. Tu ne sais même pas pourquoi tu t'es inscrit, sans doute un genre de pression sociale ou de la curiosité. Ton âge, quelques photos, ni métier, ni statut familial.
Time dilatation
Ft. Cephei || Octant || 01.11.21 || 16:05
Il se tient droit devant toi. Il te surplombe de sa hauteur. Pas de beaucoup. Juste assez pour que l’écart soit perceptible. Soupire agacé que tu dissimules à peine. Il te bloque le passage. Il t’empêche de sortir. Qu’il s’écarte. Tu n’as pas que ça à faire. S’il n’est pas capable d’être à l’heure, ça montre à quel point il te considère. À quel point il considère ce rendez-vous. Peux-tu seulement le blâmer quand, toi-même, tu n’en as pas grand chose à faire ? Pas là par la contrainte mais presque. Il est en retard oui. Il l’avoue lui-même. Tant mieux s’il en est conscient. Au moins, tu n’as pas à le lui faire remarquer. Bien. Très bien même.
Est-ce que tu vas vraiment tout foutre en l’air pour cinq minutes de retard ? Tu ne sais pas grand chose de lui. Son prénom, c’est déjà ça. Cephei. Son âge. Plus jeune que toi. Tu pourrais lui laisser une chance. Tu devrais lui laisser une chance. Il pourrait t’étonner. Il pourrait te surprendre. Il pourrait… Il pourrait… Il ne pourra rien. Il n’est pas Arthur. « Bien sûr. » Simple politesse. Tu as eu une éducation bancale mais au moins tu es poli. Tes parents ont réussi un truc. Bravo. Tu fais demi-tour. Tu retournes à ta table. Celle-là même où tu l’attendais depuis cinq minutes. Plus de tasse. Plus de monnaie.
La situation te met mal à l’aise en vérité. Tu ne montres rien parce qu’il n’est personne pour avoir le droit de savoir ce que tu ressens. Mais tu es vraiment mal à l’aise. Tu n’as pas fait ça depuis des années. Tu n’as même jamais réellement fait ça. Pas avec un inconnu. Il y avait rapidement eu l’armée. La guerre. Puis ton époux. Pas d’applications de rencontre. Pas de Tinder. Grindr. Elite rencontre, merci Niels pour celle-là. Si le silence n’est pas dérangeant pour toi d’habitude, là il est… étrange ? Ce n’est pas une situation faite pour l’absence de mots. « Cephei. C’est ça ? » Tu sais que c’est ça. Mais est-ce que tu le prononces correctement ? « Qu’est-ce qui vous a retardé ? » Pas un reproche. Une tentative d’ouverture de discussion. Une tentative maladroite. T’es vraiment nul pour ces choses là Seth.
Il ne sait rien de toi, alors il demande. Il n'y a rien de mal à ça, et même si son nom n'est pas vraiment commode, tu t'y fais. Tu comprends. Il cherche sûrement des explications et un sujet de discussion. Tu commande quelque chose, un thé au choix de la serveuse qui sourit, et commande un expresso pour Seth. Il a l'air déjà remonté, mais il te semblait que c'était ce qui se trouvait sur la table qui venait d'être débarrassée, alors...
Mon fils est malade, j'ai dû passer le chercher en urgence à l'école parce que son babysitter n'était pas disponible dans l'instant. La vérité, puisque tu ne sais pas mentir, tu n'y vois aucun intérêt. Tu adoucis la vérité pour les enfants, mais pas pour les adultes. S'ils n'ont pas appris avec le temps que la vie est cruelle, ils l'apprendront de ta bouche, ce n'est pas grave. Tu le détailles un long moment, jette machinalement un regard à ton téléphone. Je me permets de ne pas le mettre en silencieux, si jamais le babysitter doit me notifier de son état. Tu le poses en évidence et n'y retouche pas.
Vous avez l'air mal à l'aise, c'est votre premier rendez vous ? Ta voix se fait plus douce, plus mesurée, moins incisive. Tu cherches à le mettre à l'aise, même si ce n'est pas ton fort. Après tout il y a une première fois à tout.
Time dilatation
Ft. Cephei || Octant || 01.11.21 || 16:05
Hochement de tête quand il prononce ton prénom, par réflexe ou bien pour lui signifier qu’il ne s’est pas trompé. Tu mentirais si tu disais que l’attention qu’il porte aux détails ne t’impressionnait pas. Il a commandé pour toi. Un expresso. Il a commandé ce que tu avais déjà bu. Ce que tu aurais repris sans doute si on t’avait laissé le choix. Peut-être a-t-il vu la petite tasse. Peut-être a-t-il senti ton haleine de café. Désolé pour ça. Le café. Ta trop grande obsession.
La question est posée. La réponse fait disparaître tout signe d’agacement. Si c’est pour son fils, ça va. Si c’est pour son fils, ce n’est pas grave. Tu aurais fait pareil pour Rose. Tu ne serais probablement même pas venu si elle était malade. Trop effrayé à l’idée qu’il lui arrive quelque chose de grave. Trop effrayé à l’idée de la perdre elle aussi. Même pour un rhume. « Je comprends. Il n’y a pas de soucis alors. Les enfants passent avant tout. J’espère qu’il se rétablira vite. » C’est sincère. Tu es même plutôt content qu’il s’en occupe de son petit. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Et si tu méprises bien une partie de la population, c’est clairement les mauvais parents. « Ne vous en faites pas. Le mien n’est pas en silencieux pour les mêmes raisons. » Pas exactement les mêmes mais tu dois rester joignable à tout moment. L’école pourrait appeler. Elle pourrait être malade elle aussi. Elle pourrait se blesser dans la cour de récréation. Elle pourrait se faire voler son quatre-heure. Si elle est comme Arthur, elle se fera sans doute voler son goûter un jour.
« Ça se voit tant que ça ? » Tu supposes que oui. Après tout, tu es sur la défensive depuis même avant son arrivée. « J’en suis désolée, je ne voulais pas sembler malpoli. » Tes bras se croisent sur la table. Ton regard s’accroche à son visage pour l’imprimer dans ton esprit. Oublier, c’est quelque chose qui t’inquiète. Tu as oublié ce à quoi ressemblait certains de tes camarades de guerre. Tu as oublié les voix de tes grand-parents. Tu commences à oublier l’odeur d’Arthur. Alors, même pour un inconnu, tu enregistres. « C’est mon premier rendez-vous depuis… Oui, c’est mon premier rendez-vous. »
Il n'y a pas de mal. Vous ne vous êtes pas montré malpoli, seulement nerveux. Tu avais l'air si calme en comparaison. Sans doute parce que ce n'était pas la première fois, ou peut-être parce que tu ne t'attendais à rien. Pourtant, tu avais eu de bonnes surprises, en faisant ce genre de choses, et cette simple pensée te faire rouler la petite boucle d'oreille entre tes doigts, dans la poche de ton pantalon de costume. Il ne faut pas que tu oublies de lui rendre.
C'est toujours difficile de faire connaissances dans des circonstances aussi artificielles, mais ne vous angoissez pas, ce n'est qu'une conversation. Tu essayes de lui faire comprendre que tu n'es pas de ceux qui essayent de briser la glace pour ramener quelqu'un chez toi dans l'heure, tu n'es pas certain de faire le bon effet d'ailleurs. Vous avez des enfants, donc ? J'avais cru lire que vous étiez professeur ? Voilà tes yeux qui brillent de curiosité, toujours la même lorsque tu rencontres du monde, finalement.
Time dilatation
Ft. Cephei || Octant || 01.11.21 || 16:05
Tu supposes qu’il a raison. Tu supposes que tu n’as pas été malpoli. Tu n’en sais rien à vrai dire. S’il le dit c’est que c’est vrai n’est-ce pas ? S’il le dit c’est que tu n’as pas à t’en faire. Nerveux. Oui. Il n’y avait pas d’autres mots. Toi, pourtant si calme. Toi, pourtant si indéchiffrable. Là, vulnérable. Tu hais ça. Tu n’aimes pas te sentir faible. Des années à déconstruire ton rapport toxique à la virilité inculqué par ton père pour en arriver là. Case départ. Tu n'as pas le droit d'être stressé. Pas le droit d'être nerveux. Et encore moins d'être faible. Tu te hais de penser ainsi. Tu sais que ce n'est pas vrai. Tu sais que c'est même tout à fait le contraire. Tu n'as jamais su faire la part des choses là dessus.
Ce n'est qu'une conversation. Une conversation qui ne mènera sans doute à rien. Juste l'occasion de sortir de ta bulle, de ta zone de confort. Juste l'occasion de rencontrer d'autres personnes. Tu t’es isolé après la perte d’Arthur. Tu as coupé les ponts avec tout le monde ou presque. Tu as gardé Niels. Juste Niels. Niels qui n’a toujours pas répondu à ton sms. « J’ai une fille oui. Rose. » Tu te tais Seth. Tu te tais avant d’en dire trop. Tu te tais parce que tu pourrais parler d’elle pendant des heures et des heures. Tu pourrais vanter la splendeur de ses yeux candides. Le hoquet dans sa voix quand elle est prise de fou rire. Cette douceur qui lui est propre quand la vie s’acharne à vouloir la blesser. « Vous n’avez qu’un fils ? » Demandes-tu en retour. Et puis ton job. Ton travail que tu adores. Côtoyer des enfants, leur apprendre à avoir confiance en eux, à prendre soin d’eux. Et surtout être là pour eux quand ils en ont besoin. « En effet. Je suis professeur d’éducation physique et sportive au collège. » Mille fois plus stylé que de dire “prof de sport”. « Et vous alors ? Je ne crois pas avoir lu ce genre d'informations sur votre profil. »
J'ai un garçon et une fille, un peu plus jeune. Lou et Evie. Tu ne cherchais pas spécialement le grand amour, ni même à t'amuser infiniment, tu cherchais juste de la compagnie, et de quoi te sortir de la routine du travail et de la maison, on imagine. Tu avais déjà beaucoup de contacts, et beaucoup de connaissances, mais les amitiés se faisaient plus rares, surtout avec le divorce, où, finalement, beaucoup avaient pris le parti de ton ex-femme. Malgré tout, ce n'était pas une grande surprise. Tu glisse le sucre dans le thé, puis te met à remuer calmement en observant Seth. Professeur d'éducation physique et sportive, rien que ça. Dans un collège. Vraiment l'âge ingrat, il avait bien du courage. Inévitablement, tu repenses à l'un de tes professeurs de l'époque, celui qui t'avait traumatisé de la natation. Assez fort pour que tu n'apprennes à nager que tes trente ans passés.
Je suis procureur. Tu n'avais pas spécialement envie de te faire mousser, mais dire que tu travaillais pour l'état était trop vague et il allait supposer n'importe quoi, alors tu te contente de la vérité. Nouveau sourire, presque complice. Votre poste n'est pas trop épuisant ? Avec les réformes récentes, j'ai l'impression que vous devez être un peu au four et au moulin, en tant que professeurs. Beaucoup de postes ont été supprimés, il me semble. Forcément, il faut que tu mettes les pieds dans le plat, avec cette touche d'inquiétude qui est bien la tienne. Tu ne cherches pas à le mettre en boule, mais si tu as toujours la moindre occasion de critiquer un peu du gouvernement, tu le feras. Tu n'es pas le fils de ton père pour rien, on va dire.
Time dilatation
Ft. Cephei || Octant || 01.11.21 || 16:05
Lou. Evie. Ce sont de beaux prénoms. Mais des prénoms qui ne te disent rien. Alors tu supposes qu’ils ne sont pas encore au collège. Comme si tu étais le seul professeur. Comme s’il n’y avait qu’un seul établissement. Conclusion hâtive et finalement très peu utile. Le sucre dans son thé. Le café que tu portes à tes lèvres. Chaud. Brûlant. Presque douloureux. Tu ne le bois qu’ainsi. Est-ce que tu aimes vraiment ça ? Ou est-ce une tentative stupide et futile de te rendre un peu plus edgy comme disent les jeunes ?
Procureur. Il connaît sans doute Niels. Et s’il connaît Niels par le travail, il ne connaît pas son bon côté. Tu pourrais sauter sur l’occasion pour parler de lui. Pour montrer que vous avez une connaissance -ou plus dans ton cas- en commun. Montrer qu’il y a peut-être quelque chose qui vous relie. Mais tu te passeras bien de la mauvaise image de Maître Bjornvtedt. Son sale caractère et sa froideur ne doivent pas faire bonne figure. Et puis il défend le plus offrant, pas le plus nécessiteux, tu le sais aussi. Sujet de discorde que tu préfères bien souvent ne pas aborder. « Vous devez voir passer de sacré histoire… Surtout en ce moment. » Tu ne l’envies pas pour ça. Bien au contraire. Aurais-tu les épaules pour t’occuper de tant de cas ? Non. La question ne se pose même pas. « Ce n’est pas simple, c’est sûr. Mais je ne peux pas me permettre de lâcher du lest. C’est à cet âge là qu’ils se construisent le plus. Alors réforme ou pas, c’est toujours les enfants d’abord. » Tu te répètes Seth. « Si je peux apporter le maximum de choses à un maximum d’ado avant de me faire licencier pour réduction d’effectifs, ce sera toujours ça de gagné.»
Votre dévouement est admirable. Et ça se lit dans ton regard, que tu es sincère, admiratif. Avant de reprendre contenance, de soupirer doucement, de boire une gorgée de thé, et de laisser le silence s'installer à nouveau entre vous. Il n'est pas aussi agréable qu'entre Alecto et toi, honnêtement, mais c'est quelque chose qui fait taire un peu tes angoisses. J'aimerai que tous les professeurs soient comme vous. Tu détournes les yeux, observe les passants resserrer leurs écharpes sous les bourrasques de vent glacé, tu divagues quelques instants, pense à Lou qui ne s'entend pas avec son maître d'école.
Enfin, après quelques secondes, tu reposes les yeux sur Seth et le gratifie d'un nouveau sourire, pour qu'il l'ajoute à sa collection, puisque tu es visiblement dans un bon jour. Vous avez des passions - en dehors de Rose, de votre côté ? Je sais que la question est un peu idiote, mais je suis curieux. Le ton avec lequel il avait prononcé le prénom de sa fille ne t'avait pas laissé sans réfléchir, c'était évident que sa dévotion pour elle était immense, tu ne pouvais que comprendre.
Time dilatation
Ft. Cephei || Octant || 01.11.21 || 16:05
« Merci. » Tu ne sais pas si c’est admirable. Ça ne devrait pas l’être. Ça devrait être la norme. Un professeur est fait pour enseigner. Pour apprendre à d’autres. Des jeunes comme des moins jeunes. Et certains de tes collègues ont dû oublié ça. Certains se sont perdus en cours de route. C’est dommage. C’est triste. Ça te met en colère. « Je ne suis pas vraiment un exemple à suivre vous savez. Je fais des erreurs, comme tout le monde. » Prends le compliment et tais-toi Seth bon sang. « Je crois juste faire mon métier normalement. J’espère en tout cas. » Etouffe-toi avec ta fausse modestie.
Sourire candide et un peu benêt quand il parle de ta fille comme d’une passion. C’est qu’il a vite cerné le personnage. Rose avant tout. Rose sur un piédestal. Des passions ? Des passions… Tu es obligé de réfléchir pendant un certain temps. Si tu en avais vraiment, tu ne mettrais pas autant de temps à les trouver. La vérité est que tu es un homme plutôt classique. Un homme plutôt ennuyeux. « C’est une bonne question… » S’il est vraiment curieux, il risque d’être déçu. « Je ne sais pas vraiment quoi vous répondre je vous avoue. Le sport sans doute. J’en fais beaucoup pour mon travail et en dehors. » Réponse bateau. Réponse cliché. Réponse vraie pourtant. « Le sport et le café. » C’est si random. Si mauvais. Tu n’es vraiment pas quelqu’un d'intéressant. Tu as déjà du mal à parler de toi mais alors parler de passions que tu n’es pas véritablement sûr d’avoir… C’est un exercice intéressant dirons-nous. « Et vous ? » Tu demandes pour détourner l’attention de toi. Tu demandes parce qu’il a quand même réussi à piquer ta curiosité.
J'écris un peu, mais je lis surtout. J'avoue avoir très peu de temps entre les enfants et le travail. Tu restes silencieux quelques instants avant de soupirer tout bas. J'aimerai que le ratio soit un peu plus équilibré en faveur des enfants, cependant. Et le week end où je ne les ais pas tombe systématiquement sur un week end léger en travail. Si tu te pliais en quatre pour les faire bouger, les éveiller à toutes les activités qu'ils auraient pu aimer, tu peinais à te renouveler et retrouver des idées, et tu peinais parfois également à mettre le travail en pause, à le laisser à la sortie du tribunal ou de ton bureau.
Le plus grand, Lou, s'est mis en tête d'apprendre à nager - il a neuf ans - mais il refusait de le faire à l'école. Et il se trouve que je ne savais pas nager non plus, alors nous avons pris des cours ensemble. Tu fermes la bouche, fronce les sourcils, te demande même pourquoi tu en es venu à raconter ça. Sans doute que tu te sens en confiance de raconter un peu tout et n'importe quoi que tes enfants en compagnie de Seth, ce qui est loin d'être une mauvaise chose, finalement. Tu soupire, dépité. Il s'en sort bien plus honorablement que moi.
Time dilatation
Ft. Cephei || Octant || 01.11.21 || 16:05
Il te surprend à mesure que le temps avance, Cephei. Lui qui était en retard. Lui qui te semblait froid. Lui que tu avais mal jugé. À plusieurs reprises maintenant, il t’a gratifié de sourires. Des sourires que tu lui as rendus sans trop de problème. C’est communicatif. Toi, la statue de marbre. Toi, l’homme à l’air toujours blasé. Tu te surprends à sourire. C’est agréable. Ça réchauffe ton coeur. Ça réchauffe tes joues.
Tu l’écoutes parler de lui avec une attention non dissimulée. Qui eût un jour cru que tu t'intéressais à la vie de quelqu’un d’autre ? Tu t’en fiches d’habitude. Tu t’en moques même lourdement. Pourtant, tu as fait la démarche pour connaître d’autres personnes. Un peu malgré toi mais tu l’as fait quand même. Tu pensais t’ennuyer. Tu pensais te barrer au bout de cinq minutes. Finalement non. Tu ne peux compatir à ses problèmes. Toi aussi, tu aimerais avoir plus de temps avec la petite. Tu aimerais même n’avoir que ça, du temps pour elle. Profiter avant qu’elle ne soit trop grande. Profiter avant qu’elle ne t’envoie bouler parce que c’est ce que font les adolescents. Pourtant, tu t’estimes chanceux. Toi, tu n’as pas à la partager avec qui que ce soit. Tu n’as pas à l’envoyer loin pendant certains week-end. « J’ai probablement moins de travail que vous mais je ne peux qu’approuver. Je trouve qu’on n’a jamais assez de temps dans une journée pour s’occuper d’eux. » Tu réfléchis. Et puis. « Quoique l’heure du couché et du calme est quand même plus agréable. » Rire léger qui t’échappe. Rose n’est pas la plus turbulente des gamines. Mais elle reste une enfant de dix ans. Et une enfant de dix ans, ça fatigue.
Paume posée sur ton poing, ton regard ne le quitte pas. Sourire amusé au coin des lèvres. « Ce n’est pas donné à tout le monde de savoir correctement nager. » Fin de l’expresso. « C’est parfois plus simple pour un jeune enfant d’apprendre à nager que pour un homme dans la trentaine. Ce n’est pas grave. » Ce n’est surtout pas toujours le cas. Un adulte comprend mieux. Un adulte sait synchroniser. Sait respirer et retenir sa respiration. Pourtant ce n’est pas toujours instinctif. Tu ne sais pas si tu as vraiment essayé de le rassurer. Tu sais juste que tu parles sans vraiment réfléchir. Tu parles comme ça vient. Ça te semble facile avec lui. « C’est bien ce que vous avez fait. Beaucoup de parents et de professeurs forcent les enfants à apprendre à l’école. Et on se retrouve avec des petits complètement paniqués et traumatisés. » Et ça. Oh ça. Tu détestes.
Bon, évidemment, il te caresse dans le sens du poil quand vous en revenez à parler de la natation, et des soucis de Lou - et des tiens. Tu hoches gravement la tête, termine la tasse de thé et jette un œil au téléphone. Personne ne t'a appelé, pour le moment, mais tu restes attentif, après tout on ne sait jamais. Et soudainement, l'idée te vient que... Voulez vous faire un tour ? Il fait un peu sombre, mais ça va encore, et même s'il fait froid, peut-être bien que marcher vous fera du bien. Je sais que la ville n'est pas des plus accueillante et des plus sûre, mais ça pourrait nous faire du bien. Qui sait, si le rendez vous s'éternisait, tu pourrais toujours l'inviter au restaurant. Tu doutais néanmoins qu'il accepte, avec Rose qui l'attendait sûrement chez eux.
Vous savez, pour en revenir aux enfants. Ce n'est pas facile d'être un parent, personne n'est né en sachant faire. Je pense qu'on ne peut pas faire grand chose de plus que de notre mieux. Le sourire qui s'ensuit est d'une sincérité déconcertante, alors que tu règles l'addition - non sans un pourboire généreux. Tu n'as pas envie d'évoquer l'enfer administratif que te faire vivre ton ex-femme, mais si ça doit venir sur le tapis, hé bien tu le laisseras poser les questions.
Time dilatation
Ft. Cephei || Octant || 01.11.21 || 16:05
« Avec plaisir ! » Marcher. Marcher c’est bien pour un rendez-vous non ? Oui, marcher ça te plait. Faire un tour ? Pourquoi pas. Tu apprécies l’idée. Tu apprécies la proposition. « À nous deux, ça devrait aller je pense. » Tu te veux rassurant. En vérité, tu n’en sais rien. Tu ne peux pas promettre. Tu ne sais pas comment sont décédées toutes les autres victimes. Tu ne sais pas trop ce qu’il s’est passé cette fameuse nuit lumineuse et grondante. Les rues sont dangereuses. Tu as été habitué au danger. Ça ne te fait pas plus peur que ça. Pas peur pour toi en tout cas.
Les épaules qui se haussent. « Oui bien sûr. Il y a malheureusement trop de parents qui ne font même pas le minimum pour les enfants. Alors c’est sûr que quand on voit quelqu’un qui donne tout pour eux quand on est habitué au contraire, ça fait du bien. » Tu en avais croisé, et tu en croises toujours, des pauvres gamins à la vie compliquée à cause des parents. Tu fais ce que tu peux. Tu les aides autant que possible. Et autant que possible c’est parfois très, trop, peu.
L’addition est payée. Tu n’as pas eu ton mot à dire. Il n’a rien demandé. Ça te met mal à l’aise en vérité. Tu n’aimes pas particulièrement que l’on te paye quoi que ce soit. Toujours persuadé que c’est te faire la charité quand, en réalité, ce n’est qu’une invitation. « Merci. » Tu souris. Un sourire sincère. Un sourire qui cache aisément la gêne. « La prochaine fois, c’est moi qui vous invite. » Parce qu’il y aura une prochaine fois n’est-ce pas ? Ça partait mal. Ça partait sur un retard. Ça partait sur rien du tout s’il était arrivé une minute plus tard. Finalement tu l’aimes bien. Finalement il est intéressant. Finalement tu ne regrettes pas d'être venu. Tu te lèves. Enfiles ton blouson. Et d'un geste de la main, tu le laisses passer en premier vers la sortie. « Après vous. »
Avec plaisir. Comme un écho pour répondre à son invitation, quand lui répondait à la tienne, ton sourire s'efface et tu reprends ton expression habituelle, mais tu es plus serein. Il fait froid, tu penses à tout ce que la vie te réserve, sans doute, tu penses au prochain rendez vous, aussi. Vous aurez le temps d'apprendre à vous connaître au détour d'une ballade.