29.11.2021
Cephei Lurantis
dark deception
Le bureau est plongé dans le silence. A cette heure-ci, il n'y a plus grand monde dans le bâtiment, à part quelques professeurs effarés et élèves finissant tard leur journée.
Dante n'a jamais aimé le bâtiment de droit. Il y a des spectres qui traversent ses couloirs, des éclats de voix qui lui reviennent ici - une grande, maigre figure aux yeux bleus qui le regarde et qui le supplie, sans oser l'avouer, de tendre une main rassurante, d'apporter une aide, quelle qu'elle soit, de faire quelque chose.
Il y a dix ans en arrière, Dante n'a rien fait. C'est un fait qui le hante, au moins un peu, étrangement. Il n'est pas homme à avoir des regrets, ou des remords (mensonge! est-ce que tu deviens un menteur, toi aussi ?) mais ces yeux bleus le hantent et refusent de disparaître de sa mémoire. Cela dit, il y a du nouveau. Yeux bleus a disparu. Dans d'étranges circonstances, n'est jamais rentrée, rentré, n'est jamais revenu d'on ne sait où. A disparu au milieu de la nuit d'Halloween, après avoir déposé sa fille chez des amis de cette dernière.
Naturellement, Cephei Lurantis a commencé les recherches presque immédiatement. Ca a eu le mérite de faire sourire Dante, épiant leurs faits et gestes d'un air désintéressé, juste au cas où. Ils étaient deux de ses meilleures élèves, un premier de la classe au nom connu et au sens de la justice aigu, et - Blumenkranz. Etrange, étrange Blumenkranz. Ces histoires de secte, d'enfance troublée.
Un journal vieux de décembre 1997 est étalé sur son bureau, il le lit à peine. Secte à Polaris: une enfant s'échappe in extremis fait un gros titre sensationnel, mais les dates concordent.
Dante sent qu'il est proche d'une vérité qu'il n'a pas envie de découvrir. Deux yeux jaunes l'observent anxieux.
On toque et il sursaute. C'est Lurantis, sûrement. Pile à l'heure, comme d'habitude. Dante soupire et s'enfonce dans son siège, faussement détendu. Il donnerait tout pour une cigarette. Cephei Lurantis. Cephei a bien grandi et en même temps, il n'a pas changé d'un iota. C'est un fantôme du passé, au même titre que Dante, maintenant. Vous vouliez me voir. Il replie soigneusement le journal et soupire en observant le gros titre à nouveau, pinçant les lèvres. Il y a une vérité. Elle est seulement indiscernable, pour l'heure. J'ose imaginer que cela a rapport avec votre... collègue.
Tu toques, et pousse la porte doucement, te glissant dans le bureau comme si votre entrevue était secrète. Bien sûr qu'elle ne l'est pas, mais le sujet de cette dernière te met un peu mal à l'aise, finalement. Tu avises le professeur, qui te jauge en retour, et tu n'es pas surpris qu'il te cerne avant même que tu ais le temps d'ouvrir la bouche. Monsieur Rhapsodos. Tu le salue, poliment, avant d'approcher, sans pour autant t'asseoir, jamais sans y être invité, voyons. Le respect que tu avais pour cette vieille branche de Rhapsodos était trop haut pour que tu le brusque d'aucune façon, et honnêtement c'était plutôt l'inverse, dans tes souvenirs. Il t'avait mis en boule un nombre incalculable de fois, et tu essayais de ne pas y penser, la plupart du temps. Tout à fait. Je ne viendrai pas vous voir si j'avais la moindre piste, mais force est de constater que je suis dans une impasse. Tu ne cherchais pas à dissimuler ton inquiétude, ni même à te trouver des excuses. La vérité, c'est que tu avais la sensation de quelque chose se tramait, et tu espérais penser au pire sans avoir raison.
29.11.2021
Cephei Lurantis
dark deception
Il le considère en silence, son poing contre sa mâchoire. Il n'a pas envie de lui dire que si Cephei se retrouvait sans piste, alors ce serait sûrement son cas aussi - d'une, il ne voulait pas le brusquer avec un mur de briques où ses espoirs s'écraseraient, et de deux, il avait envie d'y croire, lui aussi. Qu'il était encore une figure d'autorité, un mentor vers lequel on se tourne. Quelle merde.
J'ai cherché de mon côté, Dante avoue distraitement, tapotant le bout de ses doigts contre son bureau. Il l'invite d'un mouvement de tête à s'asseoir, sinon Lurantis aurait été capable de rester planté là comme un piquet pendant toute leur entrevue. Un regard au journal. Je ne sais pas ce que Blumenkranz vous a révélé de son passé, et quel passé ma foi, mais quelqu'un de censé aurait tendance à croire que c'est lié.
Une secte à Polaris. Dont on a jamais retrouvé les corps, mais l'enfant qui s'est enfuie était catégorique : ils sont tous morts. L'enquête s'arrête là, la gamine disparaît dans les méandres des familles d'accueil et autres refuges, et l'histoire tombe dans l'oubli. Une sordide histoire de secte qui ne trouvera jamais de résolution.
C'est pour cela que je pense qu'on ferait fausse route en nous penchant là-dessus. On ne tomberait pas forcément sur une impasse, mais on tomberait dans un labyrinthe suffisamment vaste pour se perdre - et ça ne ramènerait pas Blumenkranz. Ses doigts viennent naturellement jouer avec un stylo plume qui traîne tristement là. Où est passé ce mioche, sérieusement.
Dante lève un œil presque inquisiteur vers le plus jeune. Son œil brûlé observe sans le voir Lurantis, le juge, tressaute un peu. Dante sait pourquoi il intimidait ses étudiants. Il n'en a jamais été fier. Vous avez fouillé son bureau ? Blumenkranz était un expert quand il s'agissait de disparaître sans laisser de traces. Dante avait envie de se dire qu'il avait appris ça jeune. Il n'aurait jamais laissé un indice dans son bureau, dans un endroit aussi évident, sans vouloir être trouvé. Chez lui ?
Mes recherches ont vite été entravées par le droit à disparaître. Oui, parce que les lois existaient, et que dans les circonstances, hé bien... Mais je me suis arrangée avec sa secrétaire pour récupérer le double de ses clefs. Hé bien parfois il fallait les envoyer chier, ces même lois. Ce n'était clairement pas tes principes et ça t'avait coûté de faire ça. D'autant que Blumenkranz n'apprécierait sûrement pas que tu te sois ainsi glissé dans son espace vital. Mais. Putain. Il lui était arrivé quelque chose, tu en avais la certitude. Rien dans son bureau, rien chez lui. Tu hésites un instant, un bref instant avant de détourner les yeux. Sa fille continue d'aller à l'école, elle est récupéré par un homme qui m'est inconnu, je n'ai pas pu l'interroger, et je crains de l'effrayer si j'en fais trop. Tu marques un long temps de silence, de pause, avant de soupirer lourdement. Mais visiblement, la petite et l'homme logent dans ce qui semble être un motel un peu mal famé dans les CDC. C'est sûrement de là que t'étais venue l'idée de contacter Rhapsodos, pas vrai Cephei ?
29.11.2021
Cephei Lurantis
dark deception
Mais oui, la gamine. Blumenkranz était attaché à sa progéniture, il suffisait d'observer sa routine journalière orchestrée autour de son enfant et son travail pour réaliser qu'il prenait ses responsabilités parentales très à coeur. Mais alors quelque chose clochait.
Silence. Dante prenait son temps pour y réfléchir. Cela dit, il avait esquissé un sourire amusé aux dernières déclarations de Cephei. Tu n'as aucune connexion avec les chiens de chasse et tu espérais que je pouvais te tirer de là. Il lui semble, au visage de Cephei, deviner juste.
Les CDC. Les chiens de chasse. Ca l'étonnerait que Blumenkranz ne soit pas impliqué dans quelque chose de vaseux, et puis les chiens de chasse, c'est un sacré bordel, et les autorités n'y mettaient quasiment jamais les pieds. C'était le terrain de jeu idéal, il le savait d'expérience. En théorie, ça ne me dérange pas. Au pire, hein. Dante Rhapsodos n'avait rien à perdre et connaissait les chiens de chasse comme sa poche, chaque visage lui était familier, chaque nom lui était connu. En pratique... Il repose soigneusement le stylo, se tourne dans son siège pour être parfaitement en face de Cephei et pose ses coudes sur le bureau, mains croisés. Qu'est-ce que j'y gagne ?
Il n'exige rien. Ne désire rien. Sinon voir comment Cephei a évolué. S'il est assez futé, son ancien étudiant comprendra vite, sinon... il s'offusquera, quittera le bureau, perdra sa seule chance de revoir Blumenkranz. S'il est assez futé, il verra que ce n'est rien que du bluff. Je n'ai aucun intérêt à ce que Blumenkranz revienne à la surface.
C'était juste un piège, et tu ne voulais pas tomber dedans. Tu ne voulais pas le supplier, et tu ne voulais rien lui donner en échange, Rhapsodos ne voulait certainement rien, et encore moins quelque chose qui serait venu de toi. Encore que, tu n'en savais rien. Tu échappas un nouveau soupir faible. Je m'inquiète aussi pour la petite, si on ne m'a pas signalé de mauvais traitement, l'histoire doit la secouer. C'est sincère, ça se lira sur ton visage, ce n'est pas une excuse de plus pour savoir ce que fout Blumenkranz, tu t'inquiète actuellement pour sa fille. Normal, tu fais un transfert évident, encore que tu ne sais pas ce qui adviendrait de tes enfants s'il t'arrivait quelque chose. Leur mère aurait la garde, bien sûr, mais pour le reste, peut-être que ta famille se battrait pour les voir. Tu espérais, en tout cas.
29.11.2021
Cephei Lurantis
dark deception
Soit Hazel avait disparu quelque part où il savait qu'il ne pourrait pas emmener son enfant avec lui, soit il avait disparu en ayant la certitude de revenir. Peut-être un peu des deux. Dans tous les cas, ce serait dangereux - mais la vie valait-elle réellement la peine d'être vécue sans un peu de danger ? Dante avait le luxe de se dire qu'il n'était pas un petit vieux croulant, pas encore - il savait donner quelques coups et il savait encore tirer avec une précision affolante. Et surtout, contrairement à Cephei, il ne reculait devant rien. Il se retrouvait plus dans Blumenkranz, que dans Lurantis. Cephei était encore trop doux. Il avait encore trop à perdre, trop pour virer de bord et devenir agressif. La meilleure défense, c'était l'attaque : mais on n'apprenait pas ça sur les bancs de la faculté.
L'excuse, qui est certes sincère, mais qui reste une excuse, le fait sourire. Je ne suis pas un sentimental comme vous. Je me contrefiche du sort de cette enfant. Ce n'est pas un mensonge. Ou alors, il était sacrément convaincu que c'était le vérité. Mais je le ferai, il reprend, tournant légèrement dans son siège. Après tout, vous avez raison : j'ai déjà commencé.
Il avait quelques personnes en tête, à questionner. Peut-être qu'il aurait beaucoup de chance et tomberait relativement juste, ou alors il en paierait les conséquences s'il n'est pas adroit. Un silence, un petit battement de paix. Les chiens de chasse vous font peur, Cephei ?
S'il vous plait, notifiez moi si vous avez des nouvelles. Et j'en ferai de même. Tu n'es pas sûr qu'il soit bien utile de lui rendre la politesse, le temps t'a appris que Rhapsodos fait parti de ces étranges créatures qui voient, entendent et savent tous, mais tout de même, cela te semblait plus poli.
Tu ne trouves pas l'intérêt de lui donner de tes nouvelles, au final, tu ne trouves pas l'intérêt de lui dire que tu as divorcé, et que si Blumenkranz n'avait pas fait un peu profil bas - avant sa disparition, on s'entend - tu n'aurais sans doute pas eut la garde de tes propres enfants. Uh. Tout à Polaris allait trop vite, sans doute l'effet capitale. Tu avais tourné les talons et pris la porte, espérant que les nouvelles viendraient vite.