Et nous mourrons
dans le royaume éternel de Dieu. Les riches sont des pauvres, les pauvres sont des anges. La souffrance comme delta et mesure d’une récompense à venir, la haine comme le venin sirupeux de la faute originelle.

Les pensées de Cérès s’étiraient sous le soleil couchant de cette journée déjà terminée et la dissociation se nouait déjà dans son esprit faible. Elle savait

(savait, savait, savait)
que la religion lui faisait ça
(religion, prier, adorer, sacrifier, dogme, souffrance, rejet, amour éternel)

Mais elle revenait constamment vers ça, dans la transe d’une chair ascète. Ses pensées se faisaient vagues et elle respirait l’air pur en pensant que c’était la dernière fois que les goulées d’air viendraient nourrir ses poumons mortels. S’appuyant contre le banc, elle prit une inspiration, l’encens de l'église souterraine étouffait ses sens. Pute d’opium, salope de myrrhe. Juron infantile, promesse puérile, elle se dit qu’elle n’y reviendrait pas lors de la prochaine messe. Oh non, elle était trop bordélique à l’intérieur pour garder sa promesse. Elle avait besoin de ça, Cérès. Elle était stupide après tout.

Le soleil couchant faisait ressortir les veines vertes de son visage blafard et puis, elle serra son sac comme le nounours déchiré de la main de son père et puis, elle voulut pleurer. Mais étrangement ses joues étaient bien sèches.

-Plutôt pathétique hein?

Et un rire strident, à peine humain sortit de ses lèvres maquillées.

Une voix, un homme. Cérès aime les inconnus, elle respecte la vie sauvage apparue dans sa vie par l’accident des rencontres. Mais ce n’est pas un inconnu, son ton, son odeur, son existence lui semblent intimement familiers comme un souvenir qu’on a jamais eu besoin de décrire pour comprendre son sens. Elle n’a pas eu peur, Cérès était encore pleinement enveloppée dans la lourdeur de ses propres malheurs et cette familiarité avait la texture d’un miel chaleureux.

Mais
(quelque chose)
(n’était pas bon)

Il s’inquiète, il s’inquiète. Mais qui ? Qui était-il ? Elle n’arrivait pas à le regarder, quelque chose bloquait le mouvement même de ses vertèbres. Sa voix était basse, pleine d’une vie et d’une mort dont il était le gardien et le prêtre. Cérès voulait parler, lui répondre, mentir sur son ton des rires, le myrrhe alourdissait ses sens.

(quelque chose)
(qu’est qu’il manquait)
(le monde montrait la pièce arrachée, l’erreur du code, la béance sur la faïence)

-Oui, ça va aller. Tout le monde a besoin d’un peu de désespoir, pas vrai ? Sinon comment retrouver notre chemin vers notre destination ? Tu dois le savoir non ?

(elle aimerait lui demander, qui il est)
(mais on ne demande pas aux apparitions de se décrire)

c’est quand on demande aux inconnus de devenir connu que le monde s’arrête.

-Pourquoi es- tu là ? Et toi comment vas-tu ? Je crois te connaître, viens-tu de chez moi d’Allemagne ? Et même si c’est pas le cas, je crois que ça m’est égal.

Elle fit glisser sa main sur le banc, l’invitant à s’asseoir si son cœur le désirait.

Spoiler:

Il est illisible, elle capable de lire les hommes comme le creux de sa paume, elle ne voit rien dans celui assis à sa droite. La peur devrait saisir son cœur, et l’étreindre jusqu’à la faire vomir mais une paix étrange engourdissait ses membres, remplaçant l’opium et le myrrhe dans son cerveau primitif. Secouant sa tête dans un hochement mou, le vent fouette ses joues par les longues lianes de ses cheveux. Tandis que le “je ne sais pas” semblait se répéter dans l’atmosphère comme un aveu d’un dieu impuissant.

Que savons-nous au final ?
Oublions cette question, voulez-vous?

La question de cet inconnu résonne étrangement en elle, comme une menace, une prémonition, une demande de conseil. Cérès ne réfléchissait d’habitude pas assez à ces choses sans sens, le présent et le passé pesaient bien assez sur ses bras pour s’encombrer de théories futures. Mais quelque chose dans l’air appuyait sur sa chair, une sombre question dont elle devait offrir une réponse.

-Je…je crois que je voudrais contacter la personne. Si je dois le retrouver, si je dois le rencontrer, si je dois le faire c’est qu’il y a un destin à accomplir. Et même si ça peut le mettre en danger, le pouvoir n’est pas une certitude là où le destin est un acte nécessaire par évidence. Je ne veux mettre en danger personne, mais je ne veux pas froisser mon créateur, Dieu, en fuyant mon destin.


C’est de la banalité du mal, la banalité cruelle du destin. Mais Cérès tait la petite voix qui chantonne au sein de ses tripes “si quelqu’un est en danger, tu le sauveras Cérès.” Parce que Cérès ne veut sauver personne sauf elle-même.

-Pourquoi cette question ? Mauvaise rencontre ou quoi ?

Truisme ridicule, c’est simplement tenir une conversation est plus forte qu'elle-même.

Le coeur se noie dans la sulfure des sentiments inconsolables et dans la pestilence des interdits, Cérès entrevoit une faiblesse qui n’aurait jamais dû être vu par ses yeux ternies par l’ombre des tilleuls au dessus de leurs têtes. Il semble être fait d’un fin papier translucide dont la moindre impulsion d’un vent injuste pouvait détruire la fine membrane, vecteur de l’unique lien avec le monde réel manipulée par les mains insensibles du destin.

Les mots lui manquaient sous ses lèvres habituées à conter les méandres d’un esprit ordinaire, Cérès était muette et silencieuse face à l’étrange mouvance de ses propres sentiments. Il semble rester à ces côtés, tel le timide oiseau aux yeux las posés sur le rebord de la fenêtre et d’une main sensible Cérès voulait s’assurer qu’il existait.

Peut-être qu’elle revait de cet homme assis à ses côtés
Peut-être que les mots entendus n’était que l’ivresse de sa propre tristesse
Peut-être qu’elle pêchait à l’instant même face à lui

Mais le monde pouvait-il offrir un répit sous ce soleil ?
Doucement ses bras se renferment sur l’homme comme un doux coussin, la tristesse qu’elle souhaite prendre en son sein pique et dilate les vaisseaux sanguins, elle touche l’interdit de ses bras impies. Et une étreinte se dessine, un peu stupide, un peu naive, un peu comme Cérès. Les mots flottent enfin loin de sa peau chaude et pleine de myrrhe ;

-Au dessus de nos têtes, un homme sage que j’ai aimé m’a raconté qu’il y avait des satellites. Un jour, ils perdront l’orbite de la terre et erreront pour l’éternité dans le ciel infini. Et si jamais, un autre satellite venait à le croiser, ce Spoutnik esseulé, à avoir la même direction que la sienne pendant une fraction de secondes, ils ne seront plus jamais seuls, l'autre existera toujours en eux bien ou mal. Peut-être que c’est cruel, parce qu’ils ne se voient que pendant quelques secondes, peut-être que ce n’est pas le bon moment parce qu’ils vont plus se rappeler du temps ou l’autre n’existait pas dans leur code. Moi…je n’ai jamais connu des bonnes rencontres au mauvais moment, parce que j’ai déjà tant de chance d’avoir une vie maudite dotées de bénédictions limitées. J’ai déjà trop de temps à souffrir d’être seule et vide pour regarder les rares m’accompagnant avec regret, je reviendrai à ma solitude quoi qu’il en découle…ça sonne moins bien que dans ma tête non?

Vain rire reflet de ses sentiments contraires, elle regrettait de le lâcher mais il ne fallait pas abuser de ce qu’elle avait volé

-Je suis désolée, c’était pas bien de ma part de vous imposer un contact intime comme ça. Mais…j’avais mal à vous voir ainsi, j’espère juste que peu importe le choix que vous ferez vous pourrez regarder cette personne avec l’espoir que vous pourrez la protéger et demeurer le moins seul possible encore quelques temps.

Repliant ses mains sur ses genoux, Cérès peut enfin sourire. Stupide, bêtement, naivement, l’esprit apaisé par la bénédiction limitée du soleil sur ses paupière.

Une étrange pesanteur s’abata sur les épaules de la jeune femme tandis qu’un froid glacial emplit son esprit pourtant habitué à l’excitation de la vie. Cérès a cette sensation, la sensation absolue d’un péché consommé et dévoré et cette erreur qu’elle a causée par sa connerie.

Son nom flotte dans l’air épais et sirupeux de l’après-midi déjà finie et dans les ciels les étoiles sont comme d’innombrables êtres riant à la vérité de Cérès. Elle a été stupide, elle s’est faite manipulée et sa chair faible et transie a été usée.

-Comment il sait mon nom ?

Et d’un pas pressé, elle disparaît. Voilà tout Cérès, le sens de la fin imminente s’est désormais inscrutée dans le pans de son humanité.