Dix huit.

Haha.

Tu souris, bêtement, gêné, gesticulant un peu sur le siège en cuir avant de redresser le menton, de bomber le torse, de prendre cet air un peu trop fier. Totalement caresser dans le sens du poil là mon petit Lycaon. Flatté, n'étant finalement qu'un pauvre gosse, tu claques ta langue sur ton palais et croises les bras en retenant cette forme de jubilation débile qui née dans ta gorge. Autant faire honneur à tes soi-disant dix huit années de vie.

« Eh non. C'est moins que ça. » Tu laisses échapper un rire tout ce qu'il y a de plus pur, comme si t'en avais pas crée un depuis un moment. « Bon bah trente-trois alors !» Regard sur le côté, puis tu reviens jeter ton attention sur la route, droit devant, sur ce chemin de lampadaire, sur ces bâtiments immenses, ces gros rectangles de métal qui renferment un monde qui t'échappe.

« Ça doit être bien, quand même, d'être un vrai adulte.»

Petite pensée comme ça, un peu soufflée, quasi perdue dans un soupir lasse de voir le temps passer si lentement. Dans un dernier mouvement, ta joue vient trouver appuie sur la vitre froide de la voiture. Tic tac.

Tu gagnes.

Sans surprise, sans prise de tête.

Trente-trois ans donc. Tout ce qu’il y a de mature en somme. Enfin… c’est surement l’image qu’on se fait d’un adulte responsable. Tu te dis qu’il a de la chance, qu’il est né bien comme il faut, qu’il est solide, cohérent, qu’il met personne mal à l’aise. Nori il dort sur ses deux oreilles, un bon petit Astérien, tout beau, tout bien.  Il n’a peur de personne, n’a jamais mal, impose ses lois, dirige le monde, son monde.

Alors pourquoi ?

« Pourquoi quelqu'un comme vous a ramassé quelqu'un comme moi ?»

Il fallait s’y attendre. Cette question, c’est l’une des premières que t’as posées, une des seules qui importent, qui dominent toutes les autres. Parcequ’elle reste, cette sensation d’incompréhension, cette dégoulinante pâte visqueuse qui stagne en gorge et qui se mélange à cette certitude d’être à la bonne place. Ça te rend fou. Tu veux comprendre, tu veux saisir le pourquoi du comment….Que tu en crèves éviscéré dans un vieux sous-sol ou que tu finisses  en jouet de détraqué, tu t’en fous.

Tu veux juste, savoir.

Toujours installé dans la voiture, yeux redressés vers ceux de Nori, cherchant un début de réponse sur son visage stoïque.  

 Couinement de cuir.

Ah.

Tu t’enfonces dans ton siège.  Tu te sens un peu bête et tu ne saurais vraiment dire pourquoi. Sa phrase, sa première, elle te tombe dessus, un peu n’importe comment. Dans un premier temps assommé, un peu pris de court, tu finis par réagir quand il vient récupérer son attaché-case se trouvant à tes pieds.  Tu te serres contre la portière, t'essayes littéralement de te fondre dedans, de ne faire plus qu’un avec elle, puis il sort. En grands mouvements tu en fais de même, restant là, contre la voiture tandis qu’il s’éloigne vers l’ascenseur.

« Je sais pas. »  Si tu sais. Tu sais très bien même. Tu cherches juste tes mots, les BONS mots. « Ça avait l'air mieux que chez moi. Vous avez juste pop et vous êtes devenu ma meilleure option.» Haussement d'épaules, le pas lasse tandis que tu le rejoins près de l'ascenseur, mains dans les poches de ce vieux sweat sale.

« Peut-être que vous êtes un tordu et que je vais crever cette nuit, mais au moins on aura passé une bonne soirée, non?»

  « C'est ce qu'ils disent tous.»

T'es con Lyca. T'es archi con mais c'est comme ça. Tu fais tout exprès, une manière comme une autre de te rassurer. Peur de crever ? Pas vraiment. Peur de te faire abuser physiquement, nah. Tu as juste peur de te faire battre au cœur à coup de bâton, à coup de mensonges. Pas sûr que tu résistes aux trahisons et autres bordels du genre.  Et puis il y a ce truc en toi, ce truc qui n’a pas de nom, qui bouillonne, qui gesticule au plafond de ton ventre. Magnétique, tu es où tu dois être, près de Nori que tu ne connais toujours pas vraiment. Puis il y a ce quelque chose de nouveau, comme une flamme, incandescente, protectrice à moins que ce ne soit guerrière…Tu veux être là, non seulement car tu te sens bien, mais surtout parce que « Nori a besoin de toi. »

« Woh, c'est grand.»

Laches-tu, tête levée, admiratif. Rien à voir avec ta maison. N’importe qui trouverait cet endroit froid comme la mort, trop minimaliste, trop carré, mais tu y trouves un certain charme. Peut-être parceque tu n’imagines pas Nori vivre dans autre chose. Tu t’avances alors vers le canapé, presque aussi grand que ton lit et l’une de tes mains, curieusement sortie de la poche de ton sweat, s’y laisse glisser.

Tu te retournes vers Nori, d’un pivot tout petit. T’as envie de dire merci, mais ta gorge est nouée, bloquée, asséchée… C’est trop bizarre, parce que des « merci » t’en as déjà dit… mais celui-là, celui que tu t’apprêtais à sortir été ... tout autre.

Finalement peut-être qu’aucun de tes mercis n’ont compté jusqu’à présent. Peut-être que t’as jamais dit un seul vrai « merci » de ta vie…

Ça veut pas… et tu restes si con là, debout, bouche légèrement entre-ouverte. Ça dure quoi, un peu plus d’une dizaine de secondes, puis tu commences à fouiller dans tes poches. Tu sors tous tes briquets, là, sur le canapé, tu les étales et choisis ton préféré, le plus beau que t’es. C’est pas juste un vieux bic éclatax, non là on parle d’un briquet que t’as « trouvé » dans la poche d’un mec dans la rue, de la vrai qualité. Tu crois bien qu’il est quasi plein, vraiment une denrée rare dans ta collection.

T’hésite même pas en l’observant une dernière fois et t’approches pour l’offrir à Nori.

«Tenez.»

Il l'a accepté.

Hehe.

Tu sais pas ce qu'il va en faire mais tu t'en fous. Il y a maintenant un peu de toi avec lui. T'espère juste qu'il va le garder, sur lui ou ici, qu'importe, mais qu'il ne le jette pas, car sans savoir pouvoir tu n'y survivrais pas. Ça ferait mal. Si mal. Qu'il ne parte pas, qu'il reste encore longtemps, pour toujours. Ça ne te sauvera peut-être pas Lyca, mais depuis que tu l'as rencontré, depuis qu'il te parle, sans lui tu ne sais plus comment faire. Et ça te rend fou. Oh si fou de te dire que tu as BESOIN de lui, mais en même temps il y a cette chose incroyablement rassurante qui t'enveloppe et qui te cri que lui aussi, il a besoin de toi.

Maintenant que t'y pense, de lui offrir comme ça un de tes briquets, y'a comme un retour à l'envoyeur, un truc qui te met un peu mal à l'aise. Non parceque, putain de merde Lyca tu ne le connais toujours pas ce mec. Nori Wallace.

Nori
W A L L A C E

C’est ce que tu tapes dans la barre de recherche Google alors qu’il part te chercher des couvertures. Les réseaux sociaux tu crois bien que tu peux oublier, mais tu trouves quelques informations sur son job. Directeur des ressources humaines du pôle juridique d'Aether Lab. Un poste important en soit. Ça explique la berline, ça explique l’appartement chic, moderne et sans charme.

T'as fini sur le canapé, à moitié vautré, le ventre rond, les yeux lourds de fatigue. Le visage éclairé par ton téléphone, sur cette page de profil, tu t’assoupis. T’as même pas envie de te battre pour rester éveillé.

Un seul soupire.

«Nori...»

Bonne nuit Lycaon.
Fais de beaux rêves.