à ses pieds, le sac. il est assis en hauteur, parfaitement placé pour avoir une vue d’ensemble sur tout le site des usines. autour de lui, des mégots, les siens et ceux d’autres, abandonnés là au gré des saisons.
il observe, parfaitement immobile.
tout son être irradie de colère.
entre ses doigts, une photo qu’il regarde une dernière fois, avant de la laisser tomber dans le sac ouvert.

Tu as gâché mon planning, ruiné ma journée, tu m’as causé des soucis inutiles, des reproches qu’on adresse aux enfants. Tu as fait d’une mauvaise journée un enfer, en me volant ce que j’avais en poche.
Tu as causé du tort à la mauvaise personne, petite.
Je suis tenace, une vraie plaie, comme on se plait à le dire, pire qu’une sangsue je m’accroche au moindre petit bout de signe de vie, je t’ai traquée et ça n’a pas été facile, vraiment pas facile, mais quand tu graisses la patte aux bonnes personnes, tu finis par avoir les renseignements que tu veux, et des gens qui me doivent un service, dans les CDC, il y en a des tas, et une gamine aux longs cheveux bleus, ça ne court pas les rues.
Ça n’a pas été très difficile de trouver comment te contacter, après ça.
Pas très difficile de te convaincre, pas très difficile de te faire peur, après tout j’ai toute ta vie à mes pieds, littéralement, les détritus que tu trimballes dans ce sac ont sans doute une grande importance pour toi.
Remy, donc.
Aucun papier, juste un nom qui circule, ton histoire m’est familière, Remy, j’ai été dans la même situation que toi, un jour.
J’ai juste été plus prudent. Plus malin que toi.
Un sms, un rendez-vous, tu veux récupérer ton sac ? A la condition que tu me rendes ce qui m’appartient, ou mon courroux sera plus terrible encore.
Ta vie ne vaut rien, tu n’es qu’un visage de plus perdu dans les Chiens de Chasse, ils te dévoreront vivante, je le sais, tu le sais aussi, c’est pour ça que tu t’es fait prendre la main dans le sac, tu veux t’enfuir, hein ?
Personne ne veut se faire avaler par les Chiens de Chasse.
Mais ici c’est manger ou être mangé, Remy, et tu es tombé sur le plus grand appétit de toute la capitale.
Dommage pour toi.

Ne t’avise pas d’arriver en retard, Remy.
Tu ne le sais pas encore, mais je déteste les retardataires, presque encore plus que les voleurs.

il regarde la montre à son poignet et en détache automatiquement le regard, satisfait par sa ponctualité. dos toujours tourné à Remy, il sort un paquet de cigarettes de sa poche, et en allume une, encore une, il avait toujours une cigarette aux lèvres, c’était devenu une seconde nature, au fil des années. il est penché en avant, les coudes sur les cuisses, et regarde un instant l'horizon en face d’eux. le ciel est gris, tout est gris à perte de vue ; les CdC n’avaient jamais rien eu d’accueillant.
pourtant c’était chez lui, sa seule maison. son territoire.
il allait sans doute pleuvoir.

-Tu as quelque chose qui m’appartient, il me semble.
Il est temps pour moi de me lever, j’ai besoin d’étendre les jambes.
Est-ce qu’elle avait l’air aussi frêle, hier ? Elle a l’air minuscule. Tellement chétive. Tellement… insignifiante. Ce n’est qu’une gamine. Une imbécile de gamine. Une imbécile de gamine qui m’avait fait perdre un temps précieux.
Et elle est plantée là, et elle ne dit rien. Elle a mon paquet entre les mains, bien, pas totalement stupide, manifestement. Elle avait donc assez de cervelle pour ne pas essayer de m’arnaquer, elle avait eu peur, sans doute.
Je fais cet effet là aux gens, parfois, ça surprend, de recevoir un sms inattendu.
T’as fait une belle connerie, Remy, et j’imagine que tu t’en es rendu compte. J’imagine que sinon tu ne serais pas là. J’imagine que ce sac a trop de valeur pour toi, qu’il ne vaut pas ce qu’il y a sous le kraft.
C’est très cliché, un paquet emballé de kraft. Mon monde est très cliché, ça me ferait presque rire. Presque. En réalité, je m’en fous.
- T’as pas bien choisi ta victime, Drazhan.
Mais t’as eu la présence d’esprit de pas jouer trop les connes, bravo, chapeau.
- Maintenant, tu vas me rendre le colis.
Et tu vas le faire sans discuter, sans même ouvrir la bouche, en fait, file-moi le colis et qu’on en finisse.
Que tout ça s’arrête, nuée d’oiseaux dans le ciel gris, on sait comment ça se termine mais toi tu ne sais pas tu ne sais pas.

il ricane, une main en poche, l’autre faisant tomber la cendre de sa cigarette sur le sol. il en tire une bouffée sans rien dire, dévisageant Remy d’un air sévère, un véritable combat de regard avait lieu dans le silence le plus total, brisé seulement par le vent qui s’engouffrait entre les pylônes en béton qui tenaient encore vaillamment les usines en ruine.

- Oh, un type, il avait l’air de bien te connaitre. En même temps, avec ta dégaine, j’ai pas vraiment dû chercher bien loin.
Tu n’es pas aussi invisible que tu l’aimerais, petite, tu ne te camoufles pas aussi bien que le penses, tu aimerais te fondre dans le paysage, tu n’aimerais faire qu’un avec les Chiens de Chasse, ça se sent, ça irradie de qui tu es, de ce que tu voudrais être, une ombre de ton environnement je le sais mais tu n’y arrives pas, tu ne comprends pas mais moi je sais, j’ai été comme toi, petite, on est taillés dans la même pierre, le même putain de granit, je le sais, je le s a i s
- Et la moindre erreur peut te coûter très cher. Je pensais que l’arrestation de Nayden te l’aurait fait comprendre… ?
Enfoncer le couteau dans la plaie, lentement, faut que ça saigne, faut que ça fasse mal, tu t’es mis la mauvaise personne à dos, Remy, et j’espère que tu te rends compte d’à quel point, maintenant. On ne fait pas d’erreurs, dans ce milieu, ou on meurt, c’est aussi simple que ça. La loi du plus fort c’est toujours ça qui gagne, ici, dans les CdC plus qu’ailleurs, c’est la vieille école, rien n’a changé, adapte-toi ou crève.

il la toise un instant, puis souffle un nuage de fumée dans un soupir agacé, jette sa cigarette et en écrase le mégot sous son talon. il retourne vers le bloc de béton sur lequel il s’était assis, attrape le sac et s’approche de Remy, main tendue

- Échange équivalent. Je te fais pas confiance. Tu me donnes le colis en même temps que je te donne le sac.
Je connais les petites teignes dans ton genre, si tu peux me la foutre à l’envers tu le feras, et ce sera très malvenu de ta part. Je sais que tu as pensé t’enfuir avec le sac et le colis, au moins une seconde, en arrivant ici, que tu t’es imaginée héroïne de ta propre histoire et de ton propre royaume, sauf qu’ici ça marche pas comme ça.
Tout se joue maintenant, Remy, en fonction de ta réaction.

Enfin.

C’est ce que tu aimerais croire.

il roule des yeux puis esquisse un sourire qui dévoile le coin de sa canine, un sourire moqueur, ajouté à un regard de dédain extrême

- Et alors, trop impatiente pour découvrir par toi-même ?

Tu aimes te faire du mal à ce point, gamine ? Ça te branche tant que ça, de savoir qui t’a trahie, qui t’a vendue, qui t’a lâchée au premier gars qui avait assez de thunes, assez de menaces ? Est-ce que tu te rends compte, maintenant, à quel point ta vie n’a aucune valeur aux yeux des autres ? Ça fait mal, pas vrai ? Bien sûr que ça fait mal. Bien sûr que dans tout ça il ne reste que la vengeance. C’est tout ce qui finira par t’habiter, tu sais, la colère, la haine, ce désir si envahissant de prendre ta revanche sur les autres. Sur ce monde qui t’a brisée. Leur faire payer, à tous.
Bah, après tout, qui suis-je pour te priver de ce petit plaisir, si ça t'amuse, si tu comptes partir en chasse à l’homme, grand bien te fasse, tu ne devras même pas aller très loin.

- Si tu insistes… tu le connais bien. Lâche. Laid. Totalement méprisable, et ça veut dire beaucoup, venant de moi. Allez, dernier indice, c’est ton patron. De rien.

Bien, c’est bon pour toi ? On peut passer à autre chose ?
Oh mais tu es passée à autre chose, fort bien, le couteau s’est enfoncé dans la plaie la plus douloureuse, je vois, et ça, Remy, tu vois, c’est mon petit plaisir. Tu as réagi juste comme je l’espérais, c’est beau la fougue de la jeunesse, comme on dit, tu es sur la défensive, c’est un sujet sensible, mais tu n’as pas de droits de prendre les choses à coeur, dans le monde dans lequel on vit, parce que c’est si facile de les utiliser contre toi.
Regarde-toi.
Deux mots prononcés, à peine, et tu as l’air prête à me sauter à la gorge.
Tu ne peux pas laisser ce genre de choses prendre le dessus sur toi, ou alors tu te feras bouffer vivante, dévorée par les CdC, on y revient, tout tourne autour de la chair, ici, l'appât du sang et des os, à partir au quart de tour comme ça  quand on te parle du passé tu finiras broyée entre les immeubles gris par tes propres chimères.

- Oh, je sais ce dont j’ai besoin, Drazhan. J’en sais assez sur ta vie pour l’utiliser contre toi, on vient de le prouver. Mais toi, tu sais quoi de moi ? Vas-y, avant de m’insulter : c’est quoi même, mon nom ?

Le roi du monde ? Mais je suis le roi du monde, celui du monde que j’ai construit, et tu ne peux même pas en comprendre l’étendue, gamine, tu essayes de m’atteindre, de me vexer, peut-être ? Mais tu ne sais rien de moi, tu ne sais pas qui je suis, tu es venue attirée par tes sentiments, l’attachement que tu portes à ce sac, à ton passé, et tu en oublies la plus élémentaire des règles, on ne fait confiance à personne, ici.
Tout est un piège dans les Chiens de Chasse. Comment est-ce que tu ne t’en es pas encore rendu compte ?

Elle se tait, elle hésite, finalement elle approche, bien, enfin une pensée raisonnable, on allait pouvoir passer aux choses sérieuses, l’échange se fait parce que j’en ai marre d’attendre, je jette le sac à ses pieds et récupère le colis, il n’a pas l’air d’être amoché, encore heureux.

- Bien.

de sous sa veste il sort un pistolet qu'il pointe sur le visage de Remy.

son propre visage n'exprime pas la moindre émotion, il la regarde sans un sourire, sans un froncement de sourcil. il a le doigt sur la détente.

Appuie.

il n'appuie pas.

il est immobile face à Remy, le canon de l'arme presque sur son front, et il ne bouge pas.
et il n'appuie pas sur la détente

mais qu'est-ce que tu fous ?!

il serre les dents, le canon est toujours pointé sur Remy, mais il n’arrive pas à faire feu, il en est incapable.

MAIS TIRE
PUTAIN MAIS TIRE

sa main s'abaisse. ses yeux brillent de rage. sa main tremble un peu, mais il le cache bien, elle ne doit pas le voir.

- Dégage.

Pourquoi t'es encore plantée là ?! Pourquoi tu restes là, pourquoi, putain POURQUOI EST-CE QUE TU VIS ENCORE.

- DÉGAGE.

dégage dégage dégage BARRE-TOI CASSE-TOI

CASSE-TOI

CASSE-TOI