ce qui compte le plus, pour faire de bons petits plats, c'est l'amour qu'on y met, bien sûr !
mais n'importe quel chef sait aussi qu'il faut mettre de bons ingrédients frais. Yuzu le sait bien, il l'a toujours fait, et même s'il fréquente religieusement les marchés de la capitale, il a dû apprendre à cuisiner avec des budgets serrés pour toute sa famille et n'est jamais contre un peu de braconnage et de... bon, allez, ça ne fait de mal à personne, de se servir dans la forêt, les châtaignes n'appartiennent à personne.

et les champignons non plus, personne n'a le droit de se les accaparer !

alors oui, parfois, lors de ses jours de repos, Yuzu va piller les alentours en fredonnant. il se rappelle non sans une pointe de tristesse lorsqu'il devait partir sur la plage ou dans les bois en tenant toute une ribambelle de gamins par la main, un panier dans l'autre, prêt à le remplir d'abalones ou de matsutake.

il a toujours un panier, qu'il remplit petit à petit, mais cette fois, pas de fratrie bruyante qui chahute à ses côtés.

juste lui et un coucou perché dans un arbre, qui chante au loin.

juste lui,
et la lumière qui décline,
ah, oui, c'est vrai, le soleil se couche encore tôt en janvier...

... ah.

il fallait peut être cueillir au lieu de ressasser de vieux souvenirs, gros bêta.

le coucou se tait, quand le soleil se couche.

mais Yuzu ne se sent pas seul dans les bois, comment pourrait-il, avec cette paire d'yeux qui le fixe ?

hein ? quoi, quand ? depuis quand ? attendez, euh, c'est quoi, ça, on est où, là ?
par réflexe, il froisse quelques cheveux près de son oreille, mais non, il les entend bien, ses prothèses fonctionnent, alors comment il a pu ne pas entendre cet espèce... d'enfant perdu ?

on dirait un enfant sauvage qu'on voit dans les livres d'histoires. sale, plein de terre, débraillé,
silencieux.

mais s'il y a bien une chose que Yuzu n'aime pas vraiment, c'est le silence. alors quoi de mieux pour le briser, que de le faire avec un sourire qui se veut amical, et un petit signe de la main, pas trop brusque, pour ne pas apparaître trop menaçant. après tout, peut être que c'est... bon, je ne sais pas, un enfant perdu ? ... un enfant perdu très débrouillard, car on dirait que ça fait déjà quelques jours qu'il survit dans les bois sans l'aide de personne ? mais peut être que s'il est venu, c'est car il a besoin d'aide, justement ?

un seul moyen de savoir. bonjour, toi. tu veux quelque chose ? c'est dit doucement, mais dans le silence étonnant de la forêt qui s'endort, c'est plus fort que ce qu'il voudrait.

il ne dit rien, le gosse. il n'a pas de mouvement, de clignement, de geste, rien qui puisse montrer qu'il comprend quelque chose. est-ce qu'il ne comprend pas cette langue là ? est ce que... ?

on dirait vraiment cette histoire qu'il a lu... quand, en primaire ? sur un enfant élevé dans les bois par des bêtes sauvages, sans contact humain. quand des hommes le ramène enfin à la « civilisation », il ne peut pas parler. enfin, ça, ce ne sont que des histoires, non ? ou alors quelque chose du siècle dernier, quand on osait encore faire des zoos humains. quand chaque enfant né n'est pas immédiatement catalogué, nommé, fiché.

et pourtant il y a ce gosse qui a l'air terriblement sauvage, juste devant lui, et quand Yuzu essaye de signer quelques mots-

OUAH OUAH OUAH OUAH OUAH OUAH OUAH OUAH !

... que ?! Yuzu sursaute fortement, surpris, il en lâche même son panier, les champignons sauvages et les framboises cueillies s'en échappent comme si c'était leur dernière chance de ne pas être mangés, et puis c'est lui qui tombe sur ses fesses.

... on fait quoi, dans ce genre de situations ? ils font quoi, les explorateurs qui trouvent un enfant élevé par des loups ?

pour tenter d'apaiser la bête féroce, il reste au sol, et recule un peu. il n'est pas une menace, il le jure, mais comment le dire ? ... simplement en le disant ? est-ce que ça marchera ? désolé, je t'ai fait peur. tout va bien. le ton est doux, les mots presque chuchotés.

tout doux...

ah, il a faim. il crève la dalle, même, sûrement, vu sa façon de se diriger immédiatement sur le panier que Yuzu a lâché.

il se rassure comme il peut, et se dit qu'au moins, même si c'est un enfant sauvage, il préfère les framboises à la chair humaine. ... c'est déjà ça, on va dire. et ce qui est encore mieux, ce qui tombe vraiment bien, c'est que yuzu peut se considérer comme un professionnel de la nourriture. croiser un restaurateur en pleine forêt quand on a faim... le gamin est chanceux !

je tiens un restaurant. si tu me suis, je te ferai à manger, autant que tu veux. est-ce qu'au moins l'adolescent comprends ? un peu perdu, yuzu redit la même phrase, en signant.

il aimerait se relever, le sol humide n'est pas confortable, et le froid commence à s'attaquer à ses jambes et ses mains, mais il a trop peur de faire un geste brusque, alors il reste au sol, sagement, soucieux de ne pas effrayer cet espèce de bête sauvage affamée et craintive.

Yuzu a eu la peur de sa vie, c'est sûr, en se faisant aboyer dessus par cet espèce... d'enfant perdu sauvage.

mais surtout, il pense à ce jeune, complètement mort de faim, et son cœur se serre immédiatement. il oublie toutes ses propres inquiétudes, et se dit que le plus important, pour l'instant, c'est de remplir son estomac. de nourrir ce petit gars jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus, un, deux, quatre, cinq bols s'il le faut. même plus !
Yuzu n'est jamais radin pour les affamés.

et heureusement, ce gars là semble assez ouvert à l'idée d'aller manger. on pourrait presque interpréter sa tête penchée comme une sorte d'acquiescement. ... ok. c'est pas très loin. enfin, il a l'air d'avoir déjà fait un certain nombre de kilomètres, dans cette forêt, en plein hiver...

ok, c'est décidé, il le ramène au restaurant, de gré ou de force. c'est non négociable. quinze minutes à pied, je dirais... et tu auras de super ramens chauds, avec plein de viande dedans, promis ! les jeunes aiment bien ça, non, la viande ? est-ce que ce sera suffisant pour le convaincre ? un peu rassuré, Yuzu se permet même de se relever doucement.

bon. le gamin a l'air prêt à le suivre, c'est pas si mal. toujours pas prêt à parler, mais peut être que c'est possible d'être si affamé qu'on en perd la parole ?

...

il prend son panier et marche avec son nouveau « compagnon ».

beaucoup de questions, et bien peu de réponses, pendant qu'ils marchent. Yuzu arrive plus ou moins à combler le silence pendant presque tout le trajet. il parle de tout et de rien, de son restaurant, de quand il l'a ouvert, du genre de plats qu'il y sert, et quels genre de plats le jeune pourrait aimer. heureusement, le trajet n'est pas si long que prévu, sinon il aurait du s'étaler sur l'art de la découper des oignons verts. une fois arrivés, il fait entrer son invité et s'installe directement derrière les fourneaux, en indiquant la place juste en face de lui pour que le gosse puisse se reposer. assied toi. je prépare tout, je n'en ai pas pour longtemps.

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[ petite ellipse car j'ai supposé que procyon comptait pas parler pendant le trajet mdr ]

eh ben ! sacré enthousiasme. Yuzu le dit même, eh ben ! ça fait un peu chaud au cœur, de voir ce gosse perdu se jeter avec autant d'entrain dans le bol. heureusement en effet qu'il n'y a personne comme témoin de cette scène assez étrange.

immédiatement, il se met à préparer un deuxième bol, qu'il pose tout de suite à côté du premier, qui contient encore la tête de... l'enfant perdu. vas y, c'est la maison qui offre.

c'est rassurant, de le voir manger, mais en même temps un peu inquiétant. personne s'occupe de toi... ?

il mange, mange, mange, et vient à bout du deuxième bol aussi facilement que le premier, mais cette fois l'enfant relève enfin la tête. Yuzu fixe ces yeux bleus perçants, se demandant ce qui peut bien se passer à l'intérieur de cette tête blonde.

il ne répond pas, c'est un peu inquiétant, est-ce qu'il n'a vraiment personne pour veiller sur lui, ou est-ce qu'il n'a juste pas compris la question... ?

le restaurateur ne se sent pas de le laisser repartir comme ça dans ces conditions, mais est-ce qu'il peut seulement l'en empêcher ? une fois qu'il aura digéré, il va sûrement partir sans laisser de traces. ... bon. au moins, il faut être sûr qu'il ai de quoi survivre. Yuzu remet des légumes à cuire, prépare un peu plus de bouillon, et remplit le plus généreusement possible des bols cartonnés pour ceux qui prennent à emporter. sur le couvercle de l'un deux, au marqueur, note son numéro personnel. je ne sais même pas si tu peux téléphoner mais... les bols dans un sac plastique, lourds, pleins, ... si je reçois un appel et que je n'entends personne parler, je me dirais que c'est toi, hein ?

le cœur encombré, il pose le sac sur le comptoir. reste là aussi longtemps que tu veux. et reviens aussi souvent que tu veux. un petit sourire un peu triste. cadeau de la maison.

il se tient là, ça lui donne une drôle de dégaine, à ce pauvre gosse affamé. il est là, il regarde le numéro que Yuzu a noté soigneusement en grosses lettres lisibles, et puis d'un coup,
il n'est plus là, il est parti,

loin, sûrement. ça attriste un peu Yuzu, de le voir partir ainsi, incertain. il sait que cette nuit il ne dormira pas paisiblement, assailli par trop de questions. qui est-il ? comment va-t-il s'en sortir ? où est-ce qu'il va dormir, cette nuit ?

... pauvre gosse. il espère qu'ils se reverront, il lui refera à manger avec plaisir.