heaven —

Athéleïs a claqué la porte, et après avoir soupiré lourdement et juré plusieurs fois, tu as nettoyé son bazar et préparé une autre assiette. Tu es allé chercher des vêtements chaudes et propres, et des couvertures, et tu as emmené le tout au sous-sol, là où plus personne ne pouvait te retenir de venir toquer à la porte de Prudence.

La pièce dans laquelle elle était retenue ne comportait pas de fenêtre mais nul doute qu'elle aurait pu venir à bout de la porte ou de la serrure rapidement. Mais elle ne l'avait pas fait. Après tout, vous étiez mutuellement la raison pour lequel l'autre ne cherchait pas à se rebeller. Ça et... Tu ne savais pas. Une affection particulière que tu avais pour ce groupe bancal.

Prue ? Tu dors ? Tu demande, en observant sa silhouette roulée en boule sur le lit. T'as bien conscience que c'est sûrement l'environnement le plus confortable dans lequel elle s'est trouvée depuis qu'elle est arrivée en ville, mais son honneur en prend un coup, et le tien aussi. Tu poses tout ton farda sur une petite commode et ferme derrière toi avant de soupirer. Désolé, je voulais venir avant mais y avait un tigre dans le couloir. Tu rigole, doucement, tout bas, avant de venir glisser la couverture sur elle.

heaven —

C'était toujours si étrange de voir Prudence sans son masques, de voir son visage si juvénile et pourtant marqué par la vie, marqué par tout ce qui s'était enchainé ces derniers mois, voire même ces dernières années. Parfois tu repensais à ton réveil chez elle, alors qu'elle venait de te sauver la vie, quand tu avais décidé de mourir dans les montagnes, entre les grands sapins. Tu repensais à vos premières disputes et à la première fois où tu lui avais dis qu'elle était belle, et qu'elle n'avait plus parlé pendant des minutes entières, sans doute trop gênée. Tu repensais à tout ça avec une étrange tendresse alors que tu venais t'asseoir près d'elle, posant sur ses genoux le plateau de nourriture. Tu avais fais de ton mieux pour lui offrir un repas décent.

Eh, tu sais, c'est moins pire que certains situations que j'ai connu. Tu ne sais même pas à quoi tu fais référence, mais le village te manque, et tu dois encore trouver un moyen de lui annoncer que son père est mort. T'as ni la force, ni les épaules pour, et ça ne servirait à rien. Elle ne peut pas rentrer. Elle ne peux pas communiquer avec eux. Tu ne peux pas juste lui balancer ça dans la visage. Ce serait trop cruel. Tu lui souris, et passe ton bras autour d'elle pour caresser son dos doucement. Un peu de chaleur humaine lui fera sûrement du bien. Tu m'as manqué. Tu ris doucement, tout bas, et viens pousser tout doucement sa tempe avec ta joue. Où en sont les négociations ?

heaven —

Tu te fais silencieux, tu l'écoutes et la regarde du coin des yeux, distraitement. Prudence a toujours été une femme intelligente, maligne, pleine d'instinct. Tu ne doutes pas de sa capacité à prendre les bonnes décisions la concernant et vous concernant tous les deux. Même si tu n'es pas en reste, contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, Prudence saura s'en sortir. Avec ou sans toi. Sa remarque te fait lâcher un faible soupir et tu n'es toi-même pas sûr qu'il s'agisse de soulagement. Zalera ne la fera pas tuer, et elle vous fera travailler ensemble, mais tu avais presque pris l'habitude de te la couler douce avec la petite. C'était presque agréable d'être devenu un meuble dans le manoir Solar, jusqu'au soir où tu rentrais au motel.

Je pense que tu as pris la bonne décision. Tu marques un instant de silence, puis baisse le ton. Je sais qu'ils en ont pas parlé, parce qu'elle n'en parle pas, mais Zalera et Samson ont été liés, aussi. Je sais pas si c'est un truc que tu peux sentir. D'après ce que j'ai compris, ils ont vécu les pires atrocités. Hazel a été hôte. C'est pas un sujet qu'ils connaissent pas, c'est c'que j'veux dire. Maladroit mais sincère, tu frottes doucement son dos alors qu'elle se met à manger avec appétit. Tu sais que tu vas pouvoir la sortir de là, mais tu sais aussi qu'il serait bien idiot de chercher à fuir la ville. Son statut de lié ne le lui permet pas, pour commencer, et puis, pour aller où ? Vous ne pouviez pas rentrer au village, et tu ne lui avais toujours pas dit que son père était mort. On va sûrement vivre dans ma chambre au motel, ça t'embête pas ? Je veux pas vivre ici.

heaven —

Prudence se fige et tu ne dis rien, tu te contentes de l'observer et de l'écouter dans le plus calme des silences. Prudence ne va pas bien, et quand elle dit qu'elle a peur, tu ne peux en douter. Elle n'a jamais montré de signe de peur, elle a toujours été la plus courageuse du village, et, accessoirement, la plus courageuse de vous deux. Si tu pouvais faire preuve de stupidité, elle faisais preuve de courage. Mais cette fois, ça ne semblait pas être une histoire d'obstacle effrayant, c'était autre chose. Prudence avait la même peur que celle qu'elle manifestait pour ses dieux, et quelque chose la dedans te foutait la boule au ventre. Si tu avais toujours cru à leurs croyances seulement en demi-teinte - on ne change pas du jour au lendemain un bon vieil athée - tu les avais toujours respectées, tu avais respecté la foi de Prudence. Prudence n'avait pas peur sans raison, et la menace semblait réelle.

Tout c'que tu veux. A mi-voix, parce que tu n'as pas le coeur de mimer la joie. Tu hoches la tête et reposes les yeux sur l'assiette. Tu n'avais pas faim mais tu as quand même l'appétit coupé. Tu n'es pas sûr de comprendre, et pas sûr de vouloir poser la question. Et puis, une idée. Attends, en fait on ira chez des amis, de la famille en fait. Il m'en reste un peu ici. Je t'en ai jamais parlé en plus, mais il serait bien temps que t'en vois quelques uns non ? Bon c'est pas de la famille au premier degré mais c'est la famille quand même. Je pense qu'on a tous les deux besoin de ça. Un silence, tes doigts se mêlent aux siens. Quoi qu'il arrive, on reste ensemble, tous les deux.