la voiture s'arrête sur le gravier aux abords de la route. la tête du conducteur se tourne de gauche à droite, le cou s'étire vers l'avant et il plisse les yeux, visiblement à la recherche de quelque chose. mais il n'y a rien d'autre qu'un paysage d'hiver, des champs de neige et une forêt sombre. c'est bien son arrêt. la jeune femme ouvre la portière et un vent glacial s'engouffre dans la voiture.
elle se penche vers l'avant pour tendre le bras et lui donner un billet de vingt dollars, puis referme la portière après l'avoir remercié. la voiture fait demi-tour et alors que le bruit du moteur s'éloigne, Eunoia se glisse entre les arbres, les mains dans les poches. elle s'y aventure comme si elle connaissait cette forêt par coeur, naviguant d'un sentier à un autre. chaque fois elle essaie un chemin différent et jamais elle ne s'est perdue. il est environ midi, mais le soleil est camouflé derrière de fins nuages. une douce neige tombe, ou peut-être est-ce seulement le vent qui remue les flocons accumulés sur les branches.
d'entre les arbres, une maison se dessine. en bois, toute simple. il est assez rare de croiser des gens dans cette grande forêt, parfois quelques adeptes de sports d'hiver, mais cette maison reculée n'avait rien d'un chalet ou d'un lieu ouvert aux touristes. intriguée, Eunoia s'approche de la demeure et s'asseoit sur une souche d'arbre tout près pour simplement observer. la maison semble inhabitée, vidée de toute activité humaine, triste. on devine des traces de voiture, vieilles de quelques jours, ou d'une semaine peut-être. l'être qui vivait ici est parti récemment, mais elle a le pressentiment qu'il ne reviendra plus.
concentrée dans sa tâche d'observation, un instant presque méditatif, Eunoia en vient à oublier le temps et à ce qui pourrait survenir de la forêt.
Il n'a pas l'air agressif, mais tu as le sentiment qu'il pourrait le devenir, et que si ça devait arriver, tu ne ferais pas le poids.
Eunoia fixe l'oiseau en silence, le visage impassible. elle se demande si elle ne s'est pas égarée dans l'une de ses peintures, encore une fois. la jeune femme reste aussi immobile qu'une statue, se faisant l'observatrice observée.
c’était irréfléchi, peut-être un peu insolent de supposer sa présence comme de mauvais augure. ne le prenez pas mal, m. corbeau, ce n’est pas contre vous. il ne faudrait pas le contrarier.
elle pensa soudain aux corbeaux en attente du tableau d'August Friedrich Schenck, Angoisses. mais cet oiseau là n'attendrait pas, s'il lui venait l'envie de la dévorer.
Ouverte comme quelqu'un qui part en imaginant revenir bientôt. Quelqu'un qui n'est probablement jamais revenu. Il t'observe à nouveau, avant de descendre, et se pose par terre, à quelques mètres de toi.
Il croasse à nouveau.
Et te désigne un chemin que tu devines déjà pas mal emprunté par quelqu'un du coin, pour rejoindre les parties plus denses de la forêt. Puis s'envole à nouveau - l'air malmené par ses ailes en mouvement te laisse percevoir des effluves de cendres - et se pose sur une branche près de l'endroit qu'il te désignait. C'est un appel à le suivre.
elle aurait voulu entrer dans la maison, découvrir l’envers du décor, qui était cette personne qui vivait si loin dans les bois. Eunoia aurait pu faire revivre les souvenirs, les traces de ce disparu encore un peu.
mais le Corbeau a d’autres projets, un chemin différent à lui présenter. les songes ont leur propre raison.
il se pose à quelques pas de toi, avant d’indiquer la voie. un corbeau ne peut pas atteindre cette taille, c’est d’autant plus évident maintenant qu’il est si près.
malgré tout, Eunoia se lève, des cailloux crissent sous ses pieds. elle s’engage dans le petit chemin, prête à se faire engloutir par la forêt des Astrales et les ténèbres émanant des ailes du Corbeau.
La forêt te semblait plus dense et effrayante avant qu'elle ne t'entoure. Maintenant, il te semble que tu pourrais retrouver tes marques pour sortir sans réellement de difficultés, et puis, il sautille de branches en branches sans chercher à te semer.
Lorsque tu le perds de vue - mais suppose qu'il n'est pas bien loin, quelque part entre les branches d'un cèdre ou d'un vieux chêne, tu remarques une petite clairière. L'odeur du bois brûlé y est encore intense, quand bien même le feu qui l'a marqué et y a eut lieu te semble dater d'au moins quelques mois. Des arbres ont brûlé en partie, sur toutes leurs parties donnant sur la clairière, et tout te donne l'impression que l'incendie s'est déclenché violemment, d'un coup, mais ne s'est pas vraiment propagé.
Puis tu remarques les restes, disséminés ça et là dans les cendres et feuilles qui tapissent la clairière, incomplets. Les restes de quelqu'un.
elle connaît la forêt et ne la craint pas. Eunoia suit la route de l'oiseau avec un pas dénué de peur ou de doutes. elle se questionne, certes. qu'est-ce qui l'attend au bout du chemin? qu'y a-t-il de si important qui doit être vu, ou trouvé. les bois renferment bien des secrets.
les tons terreux qui l'habitent font soudainement place à un rouge orangé vif, violent. le feu. les effluves d'un incendie passé viennent occuper ses narines, remplaçant les subtiles odeurs émanant des résineux et des feuilles humides. elle s'approche d'une clairière et même sans le Corbeau elle sait que c'est là qu'il faut aller.
la scène est étrange, non naturelle. un feu de camp qui aurait mal tourné? peu probable. une explosion? pourquoi y aurait-il une explosion ici, et qui aurait passé inaperçue qui plus est. Eunoia s'engage dans la clairière et se dirige vers le centre de tout. son regard vagabonde sur la végétation noircie, aux branches calcinées, puis...
le coeur fait un bond, et l'estomac avec. un violent retour à la réalité qui la saisissent comme si on venait de violemment l'agripper par les épaules pour lui dire
la jeune femme s'accroupit pour observer la main calcinée à ses pieds, son visage a repris un air serein et le choc est déjà passé. elle approche ses doigts fins de ceux tordus et rigides, avec un peu de retenue, s'imaginant qu'ils prennent vie et l'attirent de l'autre-côté.
Et, finalement, quelques instants plus tard, tu remarques la silhouette sombre à tes côtés, à deux ou trois mètres. L'animal est toujours là. Il tient dans son bec une forme grise que tu reconnais comme un petit poisson. En tout ça, ça ressemble à une petite sculpture de poisson hyperréaliste. Il t'observe de ses yeux rouges, tend son bec vers toi pour te le donner. Aux marques au sol, près de ses pattes, tu devines qu'il vient de le trouver.
Elle se relève lorsque l'oiseau se pose près d'elle et ses yeux s'illuminent lorsqu'elle aperçoit l'objet dans son bec.
Un artefact.
Eunoia aime les objets, les étagères et les tiroirs de son appartement se remplissent de petites babioles, des choses inutiles mais qui ont une signification, du moins de son point de vue à elle. Ce n'est pas tant l'objet que le lien entre celui-ci et la personne qui le possédait qui la fascine.
Sa main se tend pour prendre le petit poisson, qu'elle observe avec grande curiosité. Elle le sait, cet objet là est important, précieux, même si son rôle dans cet évènement lui est encore mystérieux.
Il s'est posé quelque part dans les arbres, tu distingues sans silhouette. Et sa voix résonne, plus grave que ce à quoi tu te serais attendue - les corbeaux ne parlent pas, Eunoia.
* Il aurait pu emporter tellement avec lui, et a pourtant décidé de mourir seul ici. Pourquoi, selon vous ?
La voix raisonne et elle frémit de surprise, le cherche du regard. Il est là, quelque part. Les corbeaux ne parlent pas, mais ce n'est pas un corbeau ordinaire.
La question trouble Eunoia. Elle fait un tour sur elle même pour observer le décor noirci tout autour, comme une personne aurait-elle pu faire cela de son propre chef? Tout à coup, l'image d'un animal qui se cache pour mourir lui vient à l'esprit, ça la rend un peu triste.
* Par colère, par dépit, peut-être.
Tu n'arrives pas clairement à discerner d'où vient la voix mais ça n'a que peu d'importance en vérité.
* Il était encore jeune, et quelque chose l'a privé de sa chance d'une vie normale.
Silence.
* Veux-tu en savoir plus ?
Sa tête s'embrouille. La maison, la forêt, la clairière, le feu, les cendres, la main carbonisée, le Corbeau.
Les corbeaux ne parlent pas.
* Beaucoup de gens ont péri, ces derniers mois, dans cette ville.
Ça n'a échappé à personne, que tu lises la presse ou non, tu fais forcément plus attention lorsque tu remarques que tu es seule dans la rue. Tu y penses parfois. Tu entends les rumeurs.
* Aucune mort n'est due au hasard. Quel est ton avis sur la question ?
Les gens meurent, c'est comme ça. Il faut accepter cet état de fait.
Mais le Corbeau insinuait quelque chose de plus menaçant, mais elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qu'il tentait de lui dire. Il lui demandait son avis sur un évènement qui semblait totalement la dépasser. Elle resta silencieuse pendant quelques minutes, pensive.
Eunoia reprend sa marche dans ces lieux funestes, dans l'attente nouvelles réponses, ou de nouvelles questions.
* Je pense que tu es assez maligne pour le découvrir par toi-même. Demande à ton collègue R-
L'instant d'après une impression vraiment menaçante t'arrive, suivi d'un mauvais pressentiment, mais ça n'a rien à voir avec ton nouvel ami, qui te lance, cette fois :
* Rentre chez toi immédiatement.
Puis un bruissement d'ailes et tu sais qu'il est parti.