«Ça n'est vraiment pas une heure pour ça.»
[RP-PNJ04-01]

J'ai la désagréable impression que l'on m'enfonce un pic à glace entre les deux oreilles. J'ai beau me tourner, me retourner, enfouir me tête sous l'oreiller, rien n'y fait, ce tac tac tac insistant ne faiblit pas. Ma main tâtonne, récupère mes lunettes. Mon réveil indique deux heures du matin.

Bloody 'ell.

Le bruit n'a pas cessé, sa régularité à de quoi rendre fou. Il me faut un peu de temps pour déterminer son origine et quand j'ouvre les rideaux, je tombe nez à nez avec un immense corbeau qui me fixe, perché sur le rebord de la fenêtre.

La surprise me fait retomber sur mon lit. Je n'ai jamais vu corbeau aussi massif – et j'ai visité la Tour de Londres plus d'une fois. Devant cette scène qui pourrait sortir tout droit des Oiseaux de Hitchcock, je reste stupéfait.

Benjamin H. Baldwin

«Ça n'est vraiment pas une heure pour ça.»
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– Non. Non non non.

Je referme les rideaux avec un tel empressement que je crains de les arracher de leur tringle. Malgré tout, c'est comme si l'image de ce corbeau géant aux yeux rouges était imprimée en moi. Je claque des dents, tout entier pris de frissons. Froid, peur, épuisement? C'est tout cela à la fois.

– Je ne sais pas qui vous êtes, ou ce que vous êtes, ou ce que vous voulez, mais il m'a été expressément interdit de continuer à me mêler aux histoires d'étoiles, d'entités ou que sais-je. Et de toutes façons ça n'est vraiment pas une heure pour ça. Bonne nuit.

Je veux simplement que l'on me laisse en paix.

Benjamin H. Baldwin

«Ça n'est vraiment pas une heure pour ça.»
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Peur. Colère. Fatigue. Exaspération. Je peux les sentir bouillonner dans mon sang, enfler dans ma poitrine, mes dents se serrent, mon cœur accélère, tout mon corps se tend –

un profond, profond soupir.

– Peu importe. Au point où vous en êtes, faites comme chez vous.

Un pantalon et des pantoufles passées, je vais à la cuisine me frotter le visage à l'eau froide et boire un verre. Quand je reviens dans ma chambre, armé d'une balayette et d'une pelle à poussière, le corbeau, hélas, est encore là. Sans un regard je m'accroupis pour ramasser les bris de verre avant qui que ce soit (moi, probablement) ne se blesse. Comment vais-je bien pouvoir expliquer cela à la copropriété?…

– Puisque Renard est votre collègue, sachez que je lui ai déjà tout dit. Je n'ai rien à cacher et je ne vois pas ce que je pourrais vous apprendre de plus.

Benjamin H. Baldwin

«Ça n'est vraiment pas une heure pour ça.»
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Il fait froid dans ma chambre, maintenant que le vent de mars peut s'y engouffrer sans problèmes. Je pourrais mettre un pull-over, aller chercher de quoi condamner la vitre brisée, déplier le canapé convertible du salon: au lieu de quoi je reste adossé au mur, bras croisés, écoutant attentivement un corbeau géant aux yeux rouges me parler d'étoiles et d'entités.

Je rêve. Je suis en train de rêver. C'est là la seule explication possible. J'ai déjà lu sur les rêves lucides par le passé, un sujet passionnant bien qu'un peu trop ésotérique à mon goût. Suis-je en train d'en faire un, présentement? C'est en tout cas une idée à laquelle ma raison se raccroche avec l'énergie du désespoir.

– Je vais être honnête avec vous: je ne sais pas ce que je sais. Trop, pas assez? Tout cela me dépasse – et c'est un euphémisme. Je suis absolument perdu.

Si je mens, c'est par omission. Il semblerait que j'en sache déjà trop pour mon propre bien, même si j'ai le sentiment de ne rien savoir du tout. Mentalement, je récapitule. Je sais que Numa, Fubuki, Graham sont liés chacun à une étoile différente. Celle de Numa se nomme Orion, et j'ai croisé son chemin fin novembre dernier. Celle de Fubuki se nomme Cursa et habitait pendant un temps le corps de Madison Celestial. De l'étoile de Graham je ne sais rien, si ce n'est que son hôte se prénomme Hazel (un prénom qui tout à coup me rappelle quelque chose… l'ancien avocat de Numa, avant que Cephei ne reprenne le dossier?). Ah, et comment oublier Samson et les deux Renards venus me rendre visite… Mais comment s'imbriquaient-ils dans l'équation?

La dernière phrase du Corbeau coupe court à ces réflexions. Une sentence de mort.

– … Je vois.

Je déglutis. Si il dit vrai, alors il semblerait que ces entités obéissent à leurs propres règles – des règles injustes, soit dit en passant. J'ai collaboré avec Renard, j'ai fait preuve d'honnêteté, de probité, de coopération, j'ai obéi à ses ordres et malgré tout, ma vie est menacée pour des raisons qui me dépassent.

– J'imagine que vous n'êtes pas venu me trouver chez moi, au milieu de la nuit, prêt à casser une vitre pour me parler, juste pour m'annoncer qu'une de vos «collègues» souhaite attenter à ma vie?

Benjamin H. Baldwin

«Ça n'est vraiment pas une heure pour ça.»
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– … Puis-je vous inviter à passer au salon? Il commence à faire froid ici.

J'ai aussi bien envie d'un remontant, mais je ne pense pas que boire de l'alcool soit l'idée la plus pertinente. Et les corbeaux boivent-ils du whisky japonais?

La porte de la chambre refermée, je savoure la relative tiédeur du reste de l'appartement. Dans le même temps, tout ceci m'a l'air si… fragile. Mes meubles, ma bibliothèque, ma collection de disques, le compotier empli de pommes, le ronronnement du réfrigérateur, la vue de l'Octant par mes fenêtres: une bulle de savon prête à éclater. Mais il s'agit d'une impression tout à fait normale, puisque je rêve – n'est-ce pas? Ah, la capacité du cerveau humain à se fourvoyer lui-même…

Un soupir de soulagement m'échappe lorsque je me laisse aller dans le canapé.

– Que me proposez-vous?

Benjamin H. Baldwin

«Ça n'est vraiment pas une heure pour ça.»
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– Je vois.

Je renverse la tête pour regarder le plafond, mais c'est vers l'intérieur que je tourne mon regard. Je pensais partir à la rencontre d'un chaos, mais je n'y trouve que du calme. Je n'ai plus assez de force pour ça, sans doute.

Qui es-tu, Benjamin Harold Baldwin?
Que veux-tu?
Quel est ton but?
Et à quoi es-tu prêt pour lui?

Allons, allons.

– Comment puis-je le contacter?

Benjamin H. Baldwin

«Ça n'est vraiment pas une heure pour ça.»
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37 Roosevelt Road. Une adresse en plein cœur de la ville, dans les Clématis. Dans les environs de chez Cephei, me semble-t-il? Mais L'AdAstra Tower est si haute qu'on peut la voir de n'importe où à Polaris, je pourrais tout à fait me tromper. Quant à cette mention d'un soir indéfini, elle me fait lever un sourcil. C'est là une façon peu conventionnelle de fixer un rendez-vous, mais soit…

– Une question…

Des milliers, plutôt.

– Tout ceci n'a rien d'un rêve, n'est-ce pas?

Benjamin H. Baldwin