Prend un peu l'air, Vassi.

Vassili prend l'air.
Cela ne surprend personne, mais il a beaucoup à penser. Il s'est calmé un peu, ces derniers mois. Il a été calmé par la vie, après avoir trop pris la confiance.

Vassili pense à Cursa, Vassili pense à Ange. Il n'a pas été séparé d'Ange depuis longtemps, mais comme un oisillon qui serait tombé du nid un peu trop en avance, il piaille encore, en silence, se demande quand est-ce qu'il va la revoir. Ange a été si gentille avec lui; alors qu'il doute mériter autant d'attention.

Vassili pense à Andrea.
Vassili pense à Kees.
(Ils ont niqué dans son lit, putain, y a plus de respect)

Vassili pense au long coma qu'il a fait. Le bleu du ciel est encore un inconnu, comme la brise dans ses cheveux et comme les gravillons qui crissent sous ses chaussures. Tout est étranger, tout est à découvrir.

Il va s'asseoir sur un banc. C'est le calme avant la tempête. Il peut le sentir, il va se passer quelque chose.
En silence, il pense à Isak

Est-ce qu'il fait bien de s'inquiéter ? Sa... psychologue, on pouvait dire ça comme ça, avait dit d'y aller doucement, malgré ces histoires de cercles, d'étoiles, de morts. Vassili n'a pas des masses envie d'y aller doucement.

Il se prend la tête dans les mains en soupirant.

Comme souvent, comme toujours à bien y penser, Ange le surprend. Elle le prend de court et le laisse essoufflé, incapable de réellement réaliser ce qu'il vient de se passer. Souvent, après leurs entrevues, Vassili reste là, penaud, les idées en vrac.

Aujourd'hui, ce n'est pas bien différent.
Il a réalisé après en avoir parlé à Fubuki, que depuis l'accident du 31 octobre, son corps réagit au ralenti. Comme une âme prisonnière de sa cage de chair, il pense bien plus vite qu'il ne bouge.
Peut-être que cette nuit-là, quelque chose s'est brisé en lui. Quelque chose d'irréversible.

Il reste bouche-bée devant Ange. Il n'a pas mis bien longtemps à se constituer une liste de ce qu'il doit répondre, mais son corps rame. Patauge.

Pendant un instant, il pense à s'électrocuter tout seul. Peut-être que ça fera redémarrer la machine. Mais il a déjà essayé, ça. Ca n'amène jamais rien de bon.

J'ai... On y va doucement, Vassili. Quoique, peut-être quand même un peu plus vite. Ce serait pas mal. Je prend l'air, il déclare, un peu con. Mica m'a hébergé... avec... Le nom met du temps à venir. Avec Andrea. Tu sais. La fiancée de Kees, ma meilleure amie. Il se remémore avec difficulté le visage d'Andrea, encore pire celui de Kees, mais les sentiments sont les mêmes. Ils résistent au passage cruel du temps. Et... je prends des vacances. De toutes façons, comment enseigner dans un état pareil ? Vassili se lamente. Il adresse un faible sourire à Ange.

Est-ce que tu as tenu bon, Vassili ? Pas vraiment. Vassili, tu t'es laissé entraîner d'une maison à l'autre, le regard vide et la bouche prête à gober les mouches, le coeur lourd et les jambes plus lourdes encore.

Vassili n'a jamais tenu bon, au contraire. Il sourit faiblement. Je fais de mon mieux, il parle comme un fantôme. Pourquoi Cursa ne le jetait pas loin d'elle ? Il avait tué son premier corps. C'était clairement de sa faute. Tout était de sa faute. Tout avait toujours été de sa faute et il n'était pas foutu de se rappeler

A quoi est-ce que ton premier cadavre ressemblait, Cursa ? Où étions-nous lorsque je t'ai retrouvée ?

Les questions ne viennent pas. Comment est-ce que tu te sens ? Toi. Je veux dire... j'ai pas le souvenir de t'avoir souvent demandé si tu tenais le coup. C'est relatif mais... voilà.

Il se triture les doigts et baisse la tête.

On pourra dire ce qu'on veut. Au moins, Cursa a l'air d'aller mieux. Elle va même mieux que lui, c'est certes facile, mais c'est dire.

Et il a oublié la forme de son cadavre, et il a oublié à quoi ressemblaient les souterrains, et il a oublié la douleur de Kees, et celle d'Andrea.

Encore une fois, il a tout oublié. Qu'est-ce qui ne va pas chez lui ?

Je ne sais pas comment tu fais, il lui sourit tristement, rit jaune. Je n'ai rien fais. Il observe son étoile, peut-être la lueur de quelque chose en plus au fond d'un oeil noir, et puis baisse la tête. J'aimerais tellement t'aider. Ou aider les autres, pourquoi pas. Mais qu'est-ce que je peux faire ?

A part provoquer des étincelles et faire mal à tout ceux qui l'entouraient ?

... Un petit sourire, fatigué. Je trouverai bien une solution, bah. T'en fais pas. Il soupire, et se lève, son corps lui semble peser des tonnes. Il pose sa main sur l'épaule d'Ange. On va s'en sortir.

Avec ou sans lui.