Quel soleil.
Veronica quitte le Planetbucks sans même un regard ou un merci pour le gentil jeune homme qui lui ouvre la porte. En main : un frappucino glacé au caramel salé et une boîte de six donuts. Et à ses côtés ses deux toutous fraîchement toilettés.
Il fait étonnamment chaud pour un jour de mai. Profiter de cette journée digne des plus belles températures de l'été lui semble tellement plus attrayant que son soporifique cours de ventes qui l’attend dans l’après-midi. Elle dépose sa boisson froide et la boîte de carton sur le capot rosegold de sa voiture de luxe stationnée juste devant le café, puis baisse les yeux vers les deux canidés au long pelage blanc, leur queue courbée gigotant doucement.
«
L’intention était de leur donner un morceau de beignet nature, choisi expressément pour eux. Elle ouvre la boîte pour le prendre...
woof woof woof
Le mâle est soudainement attiré par un.e passant.e; aboyant, reniflant, tournant autour de l’inconnu.e.
«
Nicky claque des doigts pour le ramener à l’ordre,
mais il l’ignore complètement.
* Je n'ai rien à te donner.
Qu'est-ce qui lui prend de parler à un animal ? Il relève les yeux vers la propriétaire, un air un peu moins courroucé qu'à l'habitude. Pauvre fille qui ne sait pas gérer ses bestioles.
«
Les oreilles pointues du samoyède soudainement rebelle se tournent légèrement vers l'arrière, signe qu'il a entendu, mais ses yeux noirs sont toujours fixés sur l'individu.
Veronica s'approche de la personne d'intérêt du canidé, suivie de la soeur de celui-ci. Elle reprend la laisse traînant au sol et tente de tirer l'animal, mais il préfère s'asseoir aux pieds de son nouvel ami, bien conscient de son poids. Soupir.
«
Ah, non, ce n'est pas une dame. La jeune femme n'avait pas vraiment observé l'inconnu, sa longue chevelure noire et la fine silhouette lui avait fait présupposer son identité. Mais relever les yeux vers son visage sérieux suffit à rendre compte de son embarrassante erreur.
«
Une grande inspiration, puis elle laisse retomber son corps en une moue exaspérée, sa tête légèrement penchée sur le côté. Elle relève ses immenses lunettes teintées sur le dessus de sa tête, tirant sa chevelure blonde vers l'arrière et découvrant ainsi son visage.
«
* Visiblement, oui.
Il relève finalement les yeux vers la jeune fille. Son visage ne lui est pas inconnu, mais il ne cherche pas à savoir d'où elle pourrait lui être familière. Il l'a peut-être simplement déjà croisée ici, après tout.
* Zeus et ... ?
La queue du chien s'agite lorsque la main de l'homme passe dans son pelage, et sa soeur lâche un petit pleur de jalousie. Nicky regarde autour, à la fois impatiente et pas si pressée de partir. Normalement elle ignore et remballe tous les inconnus qui tentent de l'aborder (elle ou ses chiens) dans la rue, mais cette fois-ci c'est elle qui est forcée de s'immiscer dans la quiétude de quelqu'un. Elle n'aime pas ça.
«
Les gens prennent habituellement pour acquis qu'elle l'aurait appelé Héra ou Hestia, ou n'importe quel autre nom issu de la mythologie grecque. Mais non, elle n'a pas poussé le cliché jusque là. Elle glisse sa main derrière les oreilles de la concernée pour lui faire des gratouilles, puis ouvre son sac à main pour attraper une cigarette qu'elle porte à ses lèvres charnues.
«
Veronica dévisage l'homme. Il ne fume probablement pas, se dit-elle. Il paraît trop bien pour ça. Probablement un homme d'affaires ou un employé d'une grande entreprise, un truc de ce genre. Un col blanc, quoi. Le genre de personne qui gravit lentement mais sûrement les échelons, une force tranquille. Et il est beau, en plus.
C'est répondu, sans hésitation, avant qu'il ne jette finalement un oeil à la file de client qui s'est désemplit, il fait quelques pas vers le guichet avant de lancer un regard à la jeune femme, et aux deux animaux et pousse un soupir. Il sait qu'il va regretter, à l'instant même où la pensée se force dans sa tête, ces pensées intrusives dont il ne connait que trop bien l'origine.
* Un café, par contre, je ne dis pas non.
Oui parce que, tant qu'à faire, autant se faire payer le dérangement. Ou alors il l'invite ? Allez savoir, il n'a pas précisé.
Est-ce une invitation ? Son frappucino glacé et sa boîte de beignets lui reviennent à l'esprit, fondant probablement sous le soleil plombant. L'homme ne semble pas particulièrement sympathique, mais son sérieux lui plairait presque. Et il ne semble pas vraiment savoir qui elle est, c'est un point de plus. Un petit sourire étirant le coin de ses lèvres, elle reprend la cigarette non allumée et la glisse sous la bretelle de son soutien-gorge, pour plus tard.
«
« Tu es Veronica Bellandi, non ? Est-ce que je peux prendre un selfie ? »
Une jeune femme, probablement étudiante, s'était approchée d'eux en catimini. Nicky aurait envie de l'envoyer balader, surtout après l'avoir grossièrement tutoyée. Comme si elle pensait la connaître, être son amie. Le public a cette mauvaise manie de penser connaître les personnalités publiques juste parce qu'ils ont retenu par coeur leur page Wikipedia. Mais elle se contente d'un faux sourire, suivi d'un «
Elle courbe le dos pour se mettre à la hauteur de l'adolescente (elle fait une bonne tête de plus que le jeune fille, avec les talons qu'elle porte en plus de sa grande taille), fait un « V » avec ses doigts et une moue, comme si elle donnait un bisou à l'endroit de la caméra. Clic. La jeune femme repart en sautillant, et Veronica rejoint l'inconnu à la caisse, remettant ses énormes lunettes sur son nez et sortant d'un geste rapide sa carte de crédit pour payer les consommations.
«
* J'ignorai que vous étiez une célébrité.
Ça n'aurait pas changé son comportement pour autant. Il avisa les deux chiens avant de signaler à la jeune femme une table surélevée un peu à l'écart.
* Nori Wallace.
Un silence. Il se questionne sur ce qui a pu rendre cette jeune femme célèbres, et il y a l'embarras du choix à Polaris.
* Vous êtes ... Chanteuse ?
Au pif, bon.
Nori, elle retient. Ou M. Wallace ? Trop formel.
Nicky le suit jusqu'à la table haute, suivie de ses toutous qui ne passent pas inaperçus, et en main un cappucino soupoudré d'une tonne de cannelle (tant pis pour le frappucino, eh). On pourrait la pister dans la café avec l'odeur de l'épice qui la suit.
La question la fait pouffer de rire. Pas pour se moquer de lui, mais plutôt d'elle-même. Chanteuse, ce serait un désastre.
«
Elle prend une gorgée de sa boisson chaude, et passe sa langue sur ses lèvres pour retirer l'excès de lait moussé.
«
[
Il est surpris d'apprendre qu'il a bien une page wikipedia à son nom, d'ailleurs.
* 33 ans, DRH du pole juridique d'Aether Lab. Originaire de Nagoya, enfant unique. Candidat aux élections municipales de Polaris en 2018, arrive troisième.
Il marque une pause, relève les yeux vers elle.
* Je doute que vous ayez envie d'écouter mon cursus scolaire.
Il repose ses yeux sur la page, soupire en voyant qu'inévitablement ses parents ont un article à leur nom.
* Rien de passionnant.
Il marque un temps de silence, boit une gorgée de son café.
* Giovan Bellandi, un des nombreux bienfaiteurs d'Aether. Je l'ai rencontré une fois, pendant un gala.
Silence, il esquisse un sourire plus fin, plus contenu.
* Un homme exécrable et égocentrique, comme beaucoup d'autres.
Elle hausse un sourcil alors qu'elle l'écoute réciter sa page wikipedia, surprise qu'il se prête au jeu. La main comme appui sous son menton, elle retire à nouveau ses lunettes, ce serait malpoli de les conserver. Comme elle l'avait pressenti, un col blanc, qui semble avoir plutôt bien réussi sa carrière. Son boulot a l'air ennuyeux à mourir.
Kiffa se couche aux pieds de la jeune femme, et Zeus à ceux de Nori. Il semble toujours déterminer à ne pas le quitter. Veronica stoppe net sa gorgée de café à la dernière remarque de l'homme, étrangement choquée. Pourtant, il a clairement raison, son beau-père est un homme méprisable qu'elle a fui dès qu'elle eut atteint la majorité. Mais même si elle est physiquement distanciée de lui, toute sa vie est liée à lui. En bien et en mal.
Elle dépose sa tasse sur la table, l'air plus sérieux tout à coup.
«
Son mépris envers Giovan n'est effectivement pas connu, camouflé. Cela doit parfois ce percevoir, dans son regard, dans son corps tendu. Elle tente de jouer le jeu, tout le temps, et pas question de craquer devant un inconnu.
Nicky n'ajoute rien de plus pendant un instant, silencieuse, fermée. Elle reprends le cappucino qu'elle porte à ses lèvres, l'odeur de la cannelle l'apaise. Ses épaules se relâchent alors qu'elle se laisse retomber sur le dossier de la chaise. «
* Votre présence est agréable. Je suis navré si je vous ai offensé.
Il sait qu'il pense à elle, et qu'il ne devrait pas, que pour le moment c'est un peu interdit, un peu tabou. Il guette les alentours, l'air de rien.
Veronica hausse les sourcils, étonnée par cette réponse. Agréable ? Elle en doute.
Elle n'est pas gentille.
Elle n'est pas bienveillante.
Elle n'a que son statut, et sa beauté. Et même ça, c'est subjectif.
«
Elle baisse les yeux vers Zeus, un chien comblé par la petite marque d'affection qui lui est accordée. Cela la fait doucement sourire.
«
Cette question lui vient spontanément, pas juste pour combler le silence. Peut-être est-ce sa propre peur de passer sa vie à mourir d'ennui, qui lui trotte dans la tête, alors qu'elle pense à la vie de Giovan qu'elle se devra de répéter.
* Je ne sais pas.
Jusqu'à récemment, il aurait dit que oui. Ou que c'était pas vraiment la question. Que ce travail se devait d'être fait, et qu'il excellait à celui-ci, c'était donc dans la logique des choses qu'il en soit responsable. Mais aujourd'hui, quand est-il du sale boulot d'Aether ? Il soupire, faiblement, détourne les yeux vers le gratte-ciel et termine son café.
* Pourquoi vivez-vous, Mademoiselle Bellandi ?
«
La réponse la déçoit un peu. Veronica ne peut s'empêcher de penser que les hommes et les femmes qui choisissent de devenir avocats, analyses, gestionnaires le faisaient d'abord pour le titre, le salaire, la notoriété, ou poussés par leurs proches. C'est ce qu'elle perçoit dans tous ceux qu'elle a rencontré.
La question qui suit la fige d'un coup. Elle qui sait normalement manier avec aisance toute les conversations, toutes les entrevues, se retrouve sans mots. Quels sont ses aspirations, quels sont ses désirs, qu'est-ce qui la pousse à se lever chaque jour ? C'est ce qu'elle comprenait de la question de Nori. Et elle n'avait de réponse pour aucune d'entre elles. Elle prend un instant de silence, sirotant son cappuccino de plus en plus tiède.
«
Quel mensonge.
* Jusqu'à récemment, j'aurais probablement dis pour mon travail, à vrai dire. Mais aujourd'hui je vis avant tout pour protéger ceux qui me sont chers.
Il pense à elle, avant tout, et toute cette petite troupe qui, avec le temps, finiront par compter sur lui, sur son assiduité et son sérieux dans leur espèce de quête obscur. Bien sûr, il pense à Sirius, et sûrement que Sirius sourirait si Nori ne forçait pas autant pour avoir l'air sérieux.
Veronica dépose sa tasse, désormais vide, sur la table en bois. Elle penche la tête sur le côté, les yeux rivés sur l’anse de céramique, réfléchissant à la réponse que venait de lui donner Nori. Elle ne peut s’empêcher de se demander pourquoi ce changement. Est-il nouvellement marié, ou père ? Lui est-il arrivé un évènement qui lui a fait comprendre qu’il était trop dévoué à son travail ?
«
Le regard de la jeune femme survole la table, à la recherche des mains de l’homme. Elle est presque certaine d’avoir vérifié s’il avait un jonc (une habitude). Peut-être l’enlève-t-il lorsqu’il rencontre une jolie femme… une coutume, pour les adultères.
«
Des questions peut être intrusives, venant d’une personne qu’il ne connait que depuis quelques instants. Mais il avait commencé, après tout.
* Vous posez beaucoup de questions, Mademoiselle Bellandi.
Il répondit, tout d'abord, avant de poser ses bras calmement sur la table, et relever les yeux vers elle, la détaillant longuement. Qu'avait-elle en tête, finalement ? Il n'en savait rien.
* Je ne suis pas encore marié.
«
Alors qu'il posait ses bras sur la table, elle s'avança pour poser les coudes sur la tables et croisa ses longues jambes. Le menton posé au creux de sa main, elle le dévisagea longuement en retour, un petit sourire aux lèvres.
«
Donc il y a quelqu'un. Sinon il n'aurait pas formulé sa réponse ainsi. Parler de cette femme (ou cet homme, qui sait) ne l'intéressait pas réellement, en réalité. Veronica cherchait surtout à en connaître un peu plus sur lui. Il semblait retenir ses mots, peser chaque réponse, ne laissant rien dépasser.
«
La question sous-jacente est plutôt serait-il.elle jaloux.se ? vous fait-il.elle confiance ? Elle ne voulait pas s'attarder sur ce sujet et pourtant la voilà qui ne lâche pas le morceau. Tu prends des risques, Nicky.
* Pas du tout.
Il doute qu'elle se retrouve vraiment affectée par la nouvelle, la confiance est de mise, pas vrai ? Il semble réfléchir quelques instants avant de terminer son café.
* C'était un plaisir de vous rencontrer, mais je dois me sauver.
Il semble réfléchir quelques instants à lui donner ou non une façon de le contacter, avant de se raviser. Pourquoi ferait-il ça ? L'influence de Sirius est trop présente, il se dit.
Puis, après avoir réglé pour eux deux, il s'en va.
(tu peux demander l'archivage!)