Tu avais assisté à deux réunions, et participé à un tournage pour une poignée de scènes en fin d'après midi. Les studios étaient en plein centre ville, mais surtout tu avais profité de l'heure avancée de la fin de cette séance pour te permettre une petite sortie en ville avec une amie, amie qui n'était jamais venue. Alors tu avais bu seule pendant une bonne heure, avant d'en avoir marre, et de décider qu'il valait mieux rentrer. Tu habitais tout près de tout, désormais, tu n'avais pas besoin de rentrer à l'agence.
Et ton esprit embrumé de peur, de fatigue et d'un peu d'alcool avait supplié pour de l'aide (ça ne pouvait pas se reproduire).
Mais pas de l'aide venant de n'importe qui.
* Comme on se retrouve, susurre la bête, les yeux jaunes brillant dans l'obscurité. Tu as bien grandi.
Tu sais comment elle t'a retrouvée. Tu n'y croyais plus. Et en même temps, tu le crains. Après tout, tu es partie. Ses phalanges viennent trouver ta joue, tendrement.
* Je te raccompagne chez toi ?
Tu ne l'avais jamais vu sous autre chose que les rayons de la lune. La lumière artificielle des lampadaires te tend, t'angoisse.
Est-ce que tu devrais fuir, maintenant ? Tu te tends un peu, observe derrière toi mais il n'y a plus rien. Il n'y a plus rien qu'elle. Ta joue s'appuie un peu contre ses phalange et tu soupires faiblement, rassurée. Te voilà projetée des années en arrière. Projetée dans la forêt.
Il y a le sang, le coup de feu, les bras de maman, les bras de papa.
Il y a lui, aussi, et vos courses folles dans la forêt, il y a les cueillettes et les histoires sous les étoiles.
Et la séparation.
Chacun a ses propres chasseurs.
Les yeux jaunes luisent dans la nuit, sereinement. Oh, Luci, Luci. La main quitte ta joue pour la poser sur son crâne, ébouriffe ses cheveux d'un geste habitué. Allons-y, Luci.
* Je me demandais ce que tu devenais, bien que je ne t'ai jamais réellement perdue de vue, cela va de soi... Comment vas-tu ?
Vous partez, marchant tranquillement. Sa main entre tes omoplates, te guidant. Tu es projetée des années en arrière.
Tu ne penses pas aux autres, à ceux qui t'ont forgée, poussée à devenir ce que tu es aujourd'hui ; une menteuse. Tu ne veux pas penser à ça, ce n'est pas toi, ce n'est pas ta vie, tu n'es pas Dahlia, tu es Luci.
Tu sens ton coeur au bord des lèvres, et les larmes qui s'en suivraient presque. Tu as envie de rentrer à la maison, mais tu as encore tellement à faire ici. Et est-ce que quelqu'un serait triste que tu t'en ailles, que tu disparaisse ? Lyon, peut-être. Lyon, tu espère. Tu n'as pas répondu à la question, mais ça ne va pas, et au fond de toi, tu es persuadée qu'elle le sait déjà.
Tu sais que tu ne dois pas relâcher ta vigilance. Elle te sourit.
* Tout le monde va bien. Tu savais que Yrwine avait changé de nom ? C'est Vanille, maintenant. Enfin, vous n'avez pas dû vous recroiser... même si elle est partie en ville, elle aussi. Essaie de la trouver, cela me ferait plaisir.
Tu ferais tout ce qui lui ferait plaisir. Le silence s'étire.
* Tu sais que je serais toujours là pour toi, n'est-ce pas. Tu me manques. Tu ne voudrais pas rentrer ? Tu es mieux ici ?
Elle te demande de rentrer, mais tu n'es plus Luci. Tu n'es plus Dahlia. Tu n'es plus personne. Tu te tends, imperceptiblement, mais elle sentira. Elle sent toujours.
S'il te plait ne lui fait pas de mal, tu gémis mentalement. Mais tu ne veux pas lui dire, tu ne veux pas la braquer.
* Qui donc ? Elle siffle, curieuse. Tu as l'intuition qu'elle le sait déjà. Il n'y a plus rien pour toi dans cette ville.
Tu penses aux titres des magazines et les journalistes aux obsèques de sa mère. Tu es venue, tu ne sais plus trop pourquoi, mais tu étais là. Sans doute ton agent qui t'y as poussé, si ça n'avait tenu qu'à toi, tu n'aurais jamais foutu les pieds dans un cimetière, à un enterrement. Sûrement pas, même.
* Bien sûr. Tu peux me demander ce que tu veux, Luci.
Pitié, ne lui fais pas de mal.
* Tu es une fille très intelligente, je suis sûre que tu peux trouver la réponse de toi-même.
C'est un oui inavoué.
* Nous sommes arrivées, mon enfant.
Elle se détache de toi, elle ne te suivra pas. Ce ne sont pas des adieux, ou alors ce sont des faux. Ils le sont toujours, avec elle. Ses yeux brillent dans la nuit.
* Fais attention à toi, et méfie toi de ce Lyon : c'est ton propre soleil à toi.
Mais c'est un mensonge. Tu ouvres la porte et disparais dans le hall.