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abel ♡ ce qu'on ne se dit pas
Plic ploc plic ploc plic-
C'est la troisième fois que je resserre le robinet de la cuisine, mais rien n'y fait il finit toujours par fuir à nouveau. Il va falloir que je lui dise, mais ces derniers jours j'ai oublié. Oh comme je déteste le mercredi. Le lundi, le mardi, le jeudi et le vendredi ont pour eux que je sors du travail alors que je sais qu'il rentrera bientôt, dans l'heure qui suit ou celle d'après. Mais les heures du mercredi après-midi ont des airs de limbes à parcourir, pour moi. Je déteste la solitude, et je déteste cet appartement. Je déteste les vieux motifs passés de la tapisserie que j'aurais adoré autrefois, je déteste cette prison et je déteste-
Non, Leon, tout va bien. Inspire, expire. Rappelle toi ce qu'on a dit.
Le bruit de la clef dans la serrure me fait revenir à moi. Il est dix-huit heures quarante trois, j'ai préparé un repas complet pour la soirée, deux entrées, un plat de viande, un plat de légumes, du poisson - au cas où - et un dessert. Mais aujourd'hui je suis allé plus loin que ce que je fais d'habitude : j'ai mis la table pour deux. Ok, rien d'incohérent vu le menu, mais j'ai même allumé des chandelles. Je ne me souviens pas d'avoir fait ça. Je ne me souviens pas d'avoir fouillé ses placards pour trouver une nappe neutre à mettre sur la table de la cuisine - celle sur laquelle on ne met jamais de nappe parce qu'un coup d'éponge suffit à la nettoyer. Je ne me souviens pas à moins que si. Je ne sais plus.
J'ai oublié de respirer pendant au moins sept secondes lorsque tu passes la porte. Tu as galéré avec la serrure. Est-ce que tu vas me faire encore une remarque sur le fait que c'était pas nécessaire de fermer à triple tour ? S'il te plait, ne dit rien. Moi, j'ai peur, j'ai tellement peur Abel.
Bonsoir ! Le sourire est de trop ? À moins que ce soit le ton. Je ne sais pas, je n'arrive pas à ne pas avoir l'air terrifié. Je n'arrive pas à savoir comment agir. C'est invivable. J'espère que tu as passé une bonne journée. Autant enchaîner, maintenant que j'ai commencé. J'ai préparé à manger, je me suis dis qu'on pourrait diner ensemble, ce soir ? Si ça te va ? Je sais que je suis trop, mais dis le moi maintenant qu'on en finisse, tu n'es pas obligé de me subir. Ça me ferait vraiment très plaisir.
Re: abel ♡ ce qu'on ne se dit pas
la maison27.04leonAbel n'aimait pas l'angoisse sourde qui lui rongeait le ventre à chaque fois qu'il passait les portes de l'immeuble pour rentrer chez lui, le soir.
Chez eux.
Lui, son frère... et Leon.
Il détestait cette angoisse parce qu'elle était injustifiée. Il aimait Leon, oh, il l'aimait de tout son cœur, de toutes ses tripes, il n'avait jamais cessé de l'aimer, pas une seule seconde. Pas la moindre. Il se réveillait le matin et il était sa première pensée. Il était ses derniers songes du soir. Il pensait à lui dès qu'il avait une seconde de temps libre. Il attendait le soir avec impatience, pour le revoir, pour sa présence, même s'ils ne disaient rien, même s'ils ne faisaient rien, même s'ils vivaient tous les deux de leur côté.
Le problème d'Abel, c'est que depuis l'accident, il ne lui avait jamais redit qu'il l'aimait. C'était comme une formule magique interdite, c'étaient les mots qui avaient provoqué la mort de Leon, c'était des mots qu'il n'osait plus prononcer, par peur qu'il disparaisse encore.
Par peur qu'il s'enfuie, cette fois. Il connaissait le bonhomme, et son cœur qui battait partout et tout le temps, les dizaines de gens qu'il avait aimé, et il savait que si Leon disparaissait de sa vie, fatigué de cet amour qui brûlait à l'intérieur de lui-même, il n'y survivrait pas.
Il ne pouvait pas le perdre une deuxième fois.
Alors il rentrait chez lui le soir, rongé par l'inquiétude qui engloutissait tout, le temps de gravir les étages. Abel ne prenait jamais l'ascenseur quand il pouvait l'éviter, parce qu'il se retrouvait systématiquement coincé dedans, et treize étages à pied, c'est long. C'est très long. Ça laisse tout le temps à l'anxiété de prendre une place confortable entre ses côtes, de lui ronger tranquillement le cœur.
Et s'il n'était plus là ? Et s'il était parti ? Et si on le lui avait arraché ? Et s'il l'aimait, et s'il ne l'aimait plus ?
Ils parlaient, de tout et de rien, toujours, ils ne s'étaient jamais arrêtés, amicaux, complices, tout aurait été idéal sans l'éléphant au milieu de la pièce, celui qu'ils essayaient soigneusement de ne pas souligner, d'ignorer autant que possible.
Mais cet éléphant, il écrasait Abel à chaque mouvement, il se retrouvait plaqué contre les murs, face à ses sentiments impossible à ignorer.
Par amour, il avait ramené Leon à la vie, et des fois il se demandait si ce n'était pas par égoïsme. Pour l'avoir pour lui à nouveau, alors qu'il n'avait jamais été à lui au départ.
Parce que si ça se trouvait, Leon ne l'aimait pas.
Avec la chance qu'il avait, c'était sans doute le cas.
Et l'anxiété disparaissait, pourtant, dès qu'il ouvrait la porte, dès qu'il croisait le regard de Leon qui était là, dans le salon, à corriger des copies, à lire un livre, à soigneusement ranger dans un classeur les dessins d'enfant qu'il recevait. Leon le regardait, et il en tombait amoureux, une fois de plus. C'était la même rengaine, tous les soirs. Il était Prométhée mais au lieu de feu il avait volé un homme à sa propre mort, et au lieu de se faire dévorer le foie il se prenait en plein fouet l'amour muet qu'il éprouvait pour lui.
Quelle putain de galère.
Il ne regrettait pas, pourtant.
Et il se rendit compte que ça sentait très bon, dans l'appartement. Et que la table était, exceptionnellement, très joliment dressée. Et que Leon avait l'air terriblement embarrassé.
Le sourire qui lui traversa le visage pourrait éclairer un trou noir.
Il regarda la cuisine, remplie de victuailles. Il y avait assez à manger pour une famille de sept.
Re: abel ♡ ce qu'on ne se dit pas
Il y a tellement d'autres choses dont on devrait parler, mais ça m'empêchera pas de tourner autour du pot encore et encore. Tant pis si ce n'est toujours pas ce soir qu'on en parle, je n'ai pas envie d'en parler, je n'ai pas envie d'y penser, je n'ai pas envie d'emplir ma tête d'autre chose que ton parfum et l'odeur d'un repas que tu mérites bien, avec toutes tes péripéties. Tu n'as pas l'air blessé, oui, c'est vrai. Je suis rassuré, rien à panser ce soir, aucun pansement à changer, aucun bleu sur lequel appliquer de la pommade. (J'ai peur. Et si je ne servais plus à rien ?)
Pas ... pas à ma connaissance. Je dois avoir l'air sacrément à côté de la plaque, pas vrai ? Si nos rôles étaient échangés, je te supplierais d'aller passer un IRM et de voir un psy. Juste pour être rassuré. Pitié ne me demande rien dans le genre. Je t'en supplie Abel.
En fait, je... Allez bon sang, ce n'est pas si compliqué, je sais que je peux y arriver. Je n'ai qu'à m'approcher, un peu, et laisser échapper quelques mots. Je ne suis pas obligé de tout dire, de tout avouer, mais rien qu'un peu ça nous fera du bien, pas vrai ? J'ai envie de prendre tes mains dans les miennes, mais je n'en trouve pas la force. J'ai l'air ahuri planté comme ça au milieu de l'entrée. Je suis désolé j'ai entièrement vidé le frigo je crois. J'irai faire des courses demain. Je sais pas ce qui m'a pris, j'ai... Allez, allez bon sang. Je crois que j'ai paniqué à l'idée de me retrouver seul. Bon, c'était pas incroyable mais c'était un début. Oh bon sang, il allait croire que le problème venait de lui. Quel immense abruti.
Mais ce n'est pas ta faute hein ! C'est même le contraire. J'aime beaucoup être avec toi. Gargouillis en échos de nos estomacs. Sauvés par le gong, on va dire. Je recule d'un pas, t'observe en biais avant de reprendre une grande inspiration. Bref ! Quand tu auras faim, je t'attends.
Re: abel ♡ ce qu'on ne se dit pas
la maison27.04leonLeon hésite, Abel s'interroge.
Ce n'était pas dans ses habitudes d'être si confus, si ?
En tout cas, il trouve ça adorable, et il se fatigue tout seul d'être aussi gaga de lui, d'être aussi touché par le moindre des détails de sa personnalité. Mais est-ce qu'il en pouvait vraiment quelque chose, si Leon était absolument parfait ? Bah, non.
je t'aime, Leon Celestial, et tu ne me rends pas la vie facile
Abel a les sens en alerte, Leon semble sur le point de vouloir lui avouer quelque chose, ou lui demander quelque chose, son ton donne l'impression que ça va être important, il hésite, Abel s'interroge, et... et non. Peut-être que ce n'était rien, au final. Peut-être qu'Abel espérait juste qu'ils osent parler, un jour. Qu'ils osent regarder en face ce foutu éléphant qui leur bloquait la vue. Ce ne serait pas pour aujourd'hui, manifestement.
(mais Abel se gardait soigneusement d'aborder lui-même le sujet) (pourquoi est-ce qu'il n'osait pas ? parce qu'il avait peur, il a avait peur de tout, quand il s'agissait de Leon) (il avait peur de le brusquer de le froisser de l'effrayer de l'ennuyer de le vexer de le fâcher de le perdre)
Il répond en souriant, c'était très loin d'une catastrophe, et puis ils se serreraient un peu la ceinture aux prochaines courses, et voilà. Rien de bien sorcier. Un salaire de flic, de professeur, et sa paye au petit bonheur la chance (laquelle ?) de photographe indépendant, on ne roulait pas sur l'or, dans cet appartement. Mais Abel s'en contentait amplement ; il ne lui serait pas venu à l'idée de s'en plaindre. Pour quoi faire ? Pleurnicher n'allait pas faire tomber l'argent du ciel. Surtout que si se lamenter avait fait tomber quoi que ce soit, avec sa chance ce serait probablement juste la foudre.
Sa surprise est réelle. Seul ? Mais pourquoi diable est-ce qu'il se retrouverait seul ? C'était impossible, impensable, voire un peu idiot, comme réflexion, bien sûr que jamais Leon ne serait seul parce qu'Abel refusait catégoriquement de le perdre encore. C'était super con comme idée, même. Mais ça, il se garda bien de lui dire.
Il lui sourit, et il y a tellement de choses qu'il aimerait lui dire avec ce sourire, mais impossible qu'il comprenne. Comment est-ce qu'on dit à quelqu'un qu'on l'aime, avec un sourire ? Comment on fait pour qu'il comprenne ? Avec un peu de chance... haha ! elle est bien bonne, celle-là. Il avait failli se faire rire tout seul.
Son ventre gronda avant même qu'il n'ait pu lui répondre, et il lui adressa un regard un peu peiné. C'est vrai que ça sentait divinement bon, dans l'appartement. Leon, en homme parfait qu'il était (aux yeux d'Abel, du moins), faisait, évidemment, parfaitement la cuisine.
Il alla chercher la bouteille de vin entamée il y a quelques jours avec son aîné, et deux verres.
Il remplit à peine celui de Leon, c'était symbolique ; il ne voulait pas le bourrer, et qu'il se réveille le lendemain avec un sale mal de crâne. Le vin, ça ne pardonne pas.
Et que tu ne cesses jamais d'être incroyable.
Re: abel ♡ ce qu'on ne se dit pas
Le verre entre mes mains, j'agite le liquide doucement en ronds amples. Je ne sais pas si j'ai envie de boire, et je ne sais pas quelles pourraient être les conséquences d'une ivresse. Je n'ai quasiment pas touché à une seule goutte depuis... Depuis. Je fais attention à tout même si je n'en dis rien. Je sais que tu fais attention aussi, je sais que tu as peur que je m'effaces soudainement, que je reparte comme je suis arrivé, Abel. Mais regarde, je suis là. Je suis là. Je suis vivant.
Tu ne comptes partir nul part, mais tu as beau me le dire, j'angoisse. Et si je n'étais plus assez ? Et si ça ne suffisait pas, et si j'étais devenu soudainement ennuyeux ? Je ne sais pas. J'ai peur de ne plus te plaire. Est-ce que je te plais encore ? J'imagine que oui, je le lis dans tes yeux, est-ce que je me trompes ? Je me suis si souvent trompé, si souvent blessé que je ne suis pas sûr de pouvoir encore avoir mal. Sûrement que si. J'ai les larmes faciles. L'idée même que tu puisses te lasser me pique les yeux. Il ne faut pas y penser, je ne dois pas y penser.
Passons, à table, oui, en voilà une bonne idée. Tu auras tout l'embarras du choix pour oublier tous mes comportement les plus bizarres et te noyer dans la nourriture. Par mesure de précaution je fais très attention lorsque je cuisine. Attention à ce qu'il n'y ai pas de petits os ou nerfs, ou arête de poisson sur lesquels t'étouffer. Attention à ce que les plats ne soient ni trop chaud, ni trop froids pour que tu ne te blesses pas. Mais tu parviendras quand même, et ce n'est pas grave. C'est sûrement aussi pour toutes ces petites choses que je t'aime. S'il te plait prend ma main,
À ta santé, Abel. Je souris malgré moi, j'aimerai te dire toutes ces choses qui traversent mon esprit, les bonnes comme les mauvaises, mais c'est plus fort que moi. Les enfants ont demandé si tu revenais bientôt, au fait.
Re: abel ♡ ce qu'on ne se dit pas
la maison27.04leonAbel entrechoqua son verre contre celui de Leon, avec une délicatesse méticuleusement étudiée et mainte fois répétée, et aucun verre ne se brisa, par miracle, par magie. Pas de débris dans le verre, pas de sang dans le vin, rien pour ruiner les plats qui débordaient presque de la table, abondants et ensorcelants ; il s'en satisfait, parce que tout événement était propice aux réjouissances.
Il s'installa et laissa Leon remplir les assiettes, non pas parce qu'il aimait se faire servir, mais parce que l'un et l'autre savaient que s'il touchait la moindre cuillère, un saladier finirait immédiatement sur le sol. Ils en avaient fait l'expérience. Un nombre assez incalculable de fois.
Abel essayait d'en rire, mais à la longue, ça lui tapait assez fortement sur les nerfs.
Mais il n'en montrait rien. Il n'était pas quelqu'un de très nerveux ; il ne l'avait jamais été, il n'en avait jamais eu l'occasion. Il n'avait pas eu cette chance, pas avec maman, pas avec ses deux aînés. Abel avait été déposé de force sur un trône d'où il ne pouvait que sourire affablement.
Il remercia Leon pour le service, pour la nourriture et prit une première bouchée de ce qu'il y avait devant lui et ce fut, bien entendu, ni trop chaud, ni trop froid, ni trop cuit, ni pas assez, parfaitement assaisonné, parfaitement délicieux, tout simplement ; si Leon était capable de magie, c'était dans la cuisine qu'elle avait lieu.
(et dans sa vie, et dans son cœur en général, mais c'était un secret qu'il essayait de bien garder)
Sur son visage, un sourire immense qu'il ne pouvait pas cacher. Les enfants de l'école, il ne les avait pas vu souvent, une fois, pour dépanner, pour les photos de classe, mais les enfants l'avaient adoré.
Abel n'avait pas l'étoffe d'un père, mais il aurait fait un grand-frère formidable.
Il fit mine de se concentrer sur un bout de viande, le regardant avec la même concentration que s'il était en train de lui dévoiler son avenir. Abel n'était ni nerveux, ni embarrassé... sauf parfois. Les effets de Leon sur lui, décidément, c'était la cour des miracles.
Il s'embrouillait dans ses mots, et manqua de peu de se couper avec son couteau (qui n'était, du reste, pas vraiment tranchant, par habitude il n'utilisait jamais les lames les plus pointues), et pria mentalement pour que Leon ne remarque rien, parce qu'il ne voulait pas qu'il s'inquiète. Mais il s'inquiétait tout le temps pour lui, et c'était peut-être bien la seule chose qu'Abel changerait chez lui.
Re: abel ♡ ce qu'on ne se dit pas
Le repas se passe bien, mieux que d'habitude. Il n'y a aucune catastrophe, ni aucune maladresse, de ces maladresses qui nous font sourire tous les deux - et j'adore ton sourire. Tout est calme, et silencieux, entrecoupé de quelques phrases, quelques exclamations sur le repas auxquelles j'opine patiemment mais j'ai la boule au ventre et même si ça sent bon je n'ai rien envie de manger. Je n'ai rien envie de manger parce que tout est pour toi. J'espère pouvoir te faire m'aimer plus encore, quand tes yeux pétillent comme ça j'ai envie d'y croire, j'ai envie d'oublier le reste. Tu es un soleil.
Tu peux venir me chercher quand tu veux, tu connais mes horaires et ils ne changent jamais. Tu connais l'itinéraire que j'emprunte quand je rentre, loin de ma maison, loin de mon frère, loin de ma soeur, loin de mes parents, loin du lieu de l'accident, loin du lieu de mon retour. Je n'ai pas perdu mon sourire, ou juste un instant, je ne veux pas t'inquiéter, probablement que ça me tuerait. (Je ne devrais pas dire ça.)
J'aimerai, si tu veux, qu'on fasse plus de choses ensemble. Si tu as un peu de temps libre, bien sûr. J'effleure ta main, coup d'électricité, je recule. Pourquoi est-ce que j'insiste autant, quand je sais que tu mérites tellement mieux que tout ça. Et pourtant est-ce qu'on ne devrait pas se contenter de ce qu'on a, est-ce que je ne devrais pas me contenter de ce que tu offres, sans chercher à obtenir davantage ? N'est-ce pas égoïste de ma part ? Je ne sais pas. Je veux juste que tu m'aimes.