Hotdog Street Corner. N°13. Immeuble de 3 étages.

le sous-lieutenant Nova a trouvé une nouvelle vocation de postier. en tout cas, avec un nouveau nom à traquer, quand il doit vadrouiller dans les CDC, il en profite pour regarder tous les noms sur les boites aux lettres, au cas où le type au masque à gaz, recherché pour meurtres, décide de noter "P. VORPALINE" avec son petit stylo pour recevoir ses petits colis amazon.

pour l'instant, ça n'a rien donné.

nada.

mais ce soir, alors que la nuit commence à tomber et qu'il s'apprête à abandonner, il voit un autre nom qui le fait sourire. Winchester Nova n'est pas chanceux, pas vraiment, mais le Destin lui réserve tout de même parfois de drôles de surprises.

il monte au deuxième étage, à pas lents mais décidés,
et s'arrête devant la porte N°206.

il frappe, sans rien dire, et attends que la porte s'ouvre.
immédiatement, par réflexe, il avance sa lourde botte droite sur le seuil pour empêcher toute tentative de refermer la porte.

il ne s'est pas trompé, c'est bien monsieur H. BATHSHEBA devant lui, dans un état pitoyable, mais qui semble habituel. Winchester Nova sourit, le genre de sourire crasse qui ne sert qu'à montrer les crocs.

ça fait longtemps, non ? fierté odieuse. ton repoussant. dis, tu me fais rentrer ? il s'appuie contre l'encadrement de la porte, très satisfait de lui. j'ai des clopes.

quelle indignité.

Winchester Nova est un horrible invité.

Hydrée Bathsheba fait bien, de ne pas vouloir le laisser rentrer.
mais la tête de mule est bien décidée, pour le coup, et pour tenter de faire oublier comment leur dernière discussion s'est terminée, il garde le sourire et noie le poisson sous un ton faussement blagueur. aucun sens de l'hospitalité ! tu te rends compte de la réputation qu'on se tape après, les gars des CDC ?

rien à foutre, de ce qu'on pense des types des CDC.

il veut rentrer.

là.

dans cet appartement,
il veut rentrer.

moi, j'ai des trucs à dire. chacun son tour, non, ça marche comme ça, les discussions ? il a un léger doute, après tout avec le lieutenant Colt il fallait toujours fermer sa gueule et écouter, mais il a réellement des choses à dire, cette fois, et pas que des insultes, non.

il a des noms. plusieurs noms. il retournera sûrement voir Breckenridge pour lui en parler aussi, mais Breckenridge gardera probablement la plupart de ce qu'il sait pour lui. Hydrée Bathsheba, lui, n'a pas d'honneur, ni ses propres affaires à gérer.

c'est un minable.
comme lui.

il est quand même culotté, Hydrée Bathsheba, vous trouvez pas ?

enfin, il a sacrément la confiance, quoi.
il est là, à menacer de refermer la porte, il l'entrouvre à peine, et il se raconte qu'il pourra empêcher le sous-lieutenant Nova de rentrer, par la simple force de sa volonté, et de ses muscles inexistants. il pense vraiment qu'il pourra retenir la porte si un policier qui fait quelques dizaines de kilos de plus décide de mettre un gros coup d'épaule qui cassera peut-être un des gonds. et il se tient quand même là, juste derrière la porte, comme s'il suppliait d'être écrasé.

Hydrée Bathsheba est très confiant, ou Winchester Nova très poli.

poli, ou prudent.
il se souvient des heures d'entrainement au terrain, pas avec ces tapettes de flics, non, avec les autres soldats, il se souvient qu'il faut se méfier de tout, dans un lieu hostile, et l'appartement de ce cloporte de Bathsheba est très hostile, il le sent. si ça se trouve, le mec a une collection de couteaux sur la table basse, ou des aiguilles qui trainent partout,
on sait jamais.

alors il se prête au jeu, et marchande, tout en gardant le pied dans la porte, et l'épaule appuyée contre l'encadrement, il ne bouge pas. de ton frangin. y'a un mec qui vous cherche et il fait un peu peur, tu veux que je lui donne ton adresse, maintenant que je la connais ? c'est un peu risqué, de sortir des hypothèses comme ça, après tout, il n'en sait rien, si ce débile et l'autre chef cul-serré sont frères, mais bon, un nom de famille pareil, ça court pas les rues, donc y'a forcément un lieu quelque part. c'est dur de se dire que les deux viennent de la même engeance, l'un est tout de même sacrément plus minable que l'autre,
mais ça se tente.

au moins, c'est accrocheur, ça donne envie de parler, non ?
au pire, il a toujours son arme de service.

soudainement, la furie se réveille.

il n'a pas de force, en soi, Hydrée Bathsheba, c'est un cloporte affamé,
et pourtant.

il crie de tout son être, toute sa force, et surprend Winchester Nova quand il l'empoigne violemment et le fait entrer chez lui, il essaie de le noyer dans sa rage, il crache les mots et son venin, il se débat follement, il parait presque impressionnant. flippant, même, car le sous-lieutenant devine l'énergie du désespoir qui se cache derrière ces cris, imagine la peur qui pousse dans les derniers retranchements.
dos au mur, quand il ne peut plus s'enfuir, qu'est-ce qu'il est capable de faire ?

Nova ne veut pas voir ça.
ça lui rappelle... trop de choses. trop de situations.
il ne veut pas le voir craquer.
il faut qu'il se taise. qu'il se calme.
arrête.

CALME TOI, espèce de merde, tu va flinguer personne et m'écouter bien tranquillement, il aboie et ce n'est plus sa voix qu'il entend, mais celle du Lieutenant Colt. ça lui donne presque envie de vomir, mais son sang bouillonnant est si saturé d'adrénaline qu'il se contient.

pour l'instant, t'as bien joué le jeu et bavé ce que tu savais quand j'en avais besoin, alors je te fais une putain de fleur, je dirais rien au mafieux qui te cherche toi et les autres cons qui portent le même nom. tu comprends ? je vais rien dire. mais t'as intérêt à continuer de parler bien gentiment comme une petite balance bien sage.

quand son charmant hôte s'est énervé et agité, Winchester Nova a eu le temps de voir le pistolet dans la main qu'il gardait cachée derrière la porte.

il n'a pas peur. il devrait ?

aussi vite qu'elle est arrivée, la rage se calme.

Winchester Nova se ne raconte pas d'histoires, il pense n'avoir rien à voir avec tout ça. il est plutôt du genre à empirer les situations et aggraver les conflits. mais, sans le vouloir, ses mots ont touché un des neurones qui restent dans le crâne ravagé de Bathsheba, un neurone assez fonctionnel pour qu'il se pose des questions. le sous-lieutenant Nova écoute, mais avant tout il s'adosse contre la porte d'entrée. au deuxième étage, vu ses pattes de sauterelles, même s'il a le courage de sauter pour s'échapper, il se pètera les deux chevilles, et rampera au sol en attendant que WINCHESTER NOVA vienne l'achever.
une fin méritée.

bon, donc il ne peut pas s'enfuir.
alors il va parler, enfin ?

non, pas vraiment. on le sent, le gosse panique. la peur et la colère teintent encore sa voix, à travers les insultes.

ah bon, personne vous cherche ? pourquoi tu flippes autant, alors ? cette fois, il rit honnêtement.

il n'est même pas si doué pour savoir quand on lui ment, mais cette fois c'est ridicule. tu te sens vraiment si en sécurité que ça, pour avoir un pistolet sur ta table basse, et pour hurler quand on dit qu'on te cherche ?

mais ça y est. le pied dans la porte, d'abord, et maintenant il a l'oreille d'Hydrée Bathsheba. maintenant, tu veux me parler ? bien, j'allais finir par me vexer. le ton est si calme que c'en est énervant.
connard condescendant.

je suis sympa, moi, alors je vais te dire. connard condescendant. Un gars qui gère un business dans le quartier, le genre qui paye pas d'impôts, il m'a dit qu'il veut tout savoir sur ceux qui s'appellent Bathsheba. pour l'instant, j'ai rien dit. j'attends de voir ce que tu es prêt à me filer, pour ton silence. nouveau sourire. et un regard dans l'appartement, foyer pitoyable. la sécurité contre... des infos, vu que tu n'as rien à offrir, c'est un bon marché, non ?

le pire, c'est qu'il y croit.

mais il est au courant qu'il est pas tout seul sur terre, Hydrée Bathsheba, ou pas, selon vous ?

pour qui il se prend, à hurler et flipper comme ça, comme une petite merde, quoi, c'est le seul qui a des problèmes dans la vie ? il croit que c'est juste pour lui, que c'est dur ? que les autres gèrent super bien ?

oh oui, Winchester Nova gère si bien sa vie. putain de fiotte de merde. c'est pas un problème, de patauger dans la merde comme un con sur une putain d'enquête insupportable où personne n'a rien vu. c'est pas un problème, de devoir se coltiner trois fois plus de boulot depuis des mois car ses deux putain de chefs se sont fait flingué comme des putains de lapin de six semaines. c'est pas un problème de tapiner avec un mafieux pourri pour avoir trois bouts d'indices qui servent à rien. c'est pas un problème de se rouler dans la fange, pour un résultat inexistant.
c'est pas un problème, d'avoir perdu tout son honneur pour devenir flic. c'est pas un problème, d'avoir été la risée du Lieutenant Colt pendant des années. c'est pas un problème, de s'en être pris plein la gueule depuis l'enfance. c'est pas un problème, de pas avoir eu d'enfance. c'est pas un problème, de pas avoir été voulu.

c'est pas un problème, non, car il n'y a qu'Hydrée Bathsheba qui a le droit de crier et de paniquer, il n'y a que lui qui a le droit d'avoir des problèmes.

d'apparence très calme, Winchester Nova encaisse les hurlements,
sort son arme de service de son étui,
et tire dans le plafond.

calme toi, et je me répéterai pas, petite pédale. il ne hausse pas la voix. ses mots ne sont pas précipités. il bouillonne tellement qu'il parle tranquillement. mais c'est un ordre.

il baisse le bras, et vise Hydrée Bathsheba.

compris ?

oh non, mais.

non.

non, mais on est où, là ?

Winchester Nova n'a pas été trop loin, il en est persuadé. après tout, il a du encaisser bien pire pour bien moins, il s'en souvient très bien, gravé dans sa chair et ses souvenirs, les stigmates de son insolence et son manque de coopération. il n'a pas été trop loin. une simple menace, et Hydrée Bathsheba s'est effondré.

en quelques pas, il se tient juste au dessus du corps sans conscience qui git au sol.
il le regarde de haut.

oh mais tu sais, tu n'as pas une si bonne mémoire que ça, Winchester Nova, car tu l'as déjà vécu, cette scène, mais c'était ton corps encore jeune au sol, peut être étendu sur le ventre, devant ton lit, trop épuisé pour grimper dedans. et c'était un officier qui se tenait au dessus, qui regardait de haut et hurlait, t'intimait l'ordre de te lever si tu ne voulais pas être dans un état encore bien pire,
c'est toujours possible, pire,
et tu ferais mieux de lever ton sale cul de merde, espèce de tapette fatiguée au bout de cinquante pompes, tu ne mérites pas de perdre connaissance, tu ne mérites pas de te reposer dans la flaque de ta sueur, espèce de sale petite merde.
lève toi.

une jambe de chaque côté du corps inconscient, il se baisse pour tenir le col d'Hydrée Bathsheba de sa main droite, et assène une lourde claque du revers de sa main droite.
lève toi.

le sous-lieutenant Nova se redresse immédiatement,
contre son gré.

il était là, à claquer Hydrée Bathsheba en vain, qui ne se réveille pas, et puis il sent une masse derrière lui, une masse qui le soulève, qui l'éloigne, qui le bloque. une masse au regard vide, qu'il peine à reconnaître comme le Lieutenant Bathsheba.

pas le temps de réfléchir. pas le temps de parler. le temps de rien, en fait, juste le temps de se casser, loin, très loin, de se barrer avant qu'il ne se fasse tuer.

il se débat, d'un coup d'épaule, et cherche à pousser le Lieutenant pour sortir en vitesse,
mais c'est comme se prendre un mur.

putain de merde.

Li-

il veut parler mais ce n'est pas sa place. il est Sous-lieutenant. et lui est Lieutenant. et surtout il le rattrape et le pousse si violemment que Winchester Nova titube dans le salon. il ne pensait pas être si faible, par rapport au lieutenant, mais c'est peut être l'intrusion soudaine et la force insoupçonnée qui lui fait perdre ses moyens.

il pense à son arme de service, accrochée à sa cuisse.

il pense à son arme de service.
il pense à son arme de service.
il pense à son arme de service.

Lieutenant Bathsheba, quelle surprise, j'allais justement me reconduire à la sortie, le ton n'a pas d'émotions, il ne blague pas, il ne plaide pas, il crache simplement des mots, il ne pense qu'à sa survie,
il pense à son arme de service,
il pense à partir d'ici,

une seconde ruade, qu'il espère plus brutale que la première,
surtout rester proche pour ne pas se faire tirer dessus. surtout être assez rapide pour ne pas lui laisser le temps de dégainer.

il faut partir.
il faut partir.
il faut partir.

tu vas survivre, Winchester Nova, tu as encore beaucoup à accomplir dans ta vie. quelle vie ? c'est quoi, la vie sans les galons ?

tu vas devoir survivre, Winchester Nova.

et pourtant, la douleur arrive, bien avant que le bruit des coups de feu ne parviennent aux tympans du Sous-lieutenant, qui n'entend plus que le sang qui afflue dans ses veines,
le sang qui coule,
le sang qui coule hors de son corps,
le sang,
les mains,
LES MAINS ROUGES.

SERRE LES DENTS PETIT PÉDÉ. C'EST JUSTE UN PEU DE SANG. NON, TU NE RESSENS PAS LA DOULEUR. TU LA RESSENTIRA SI JE T'EN DONNE LE DROIT.

TU N'AS PAS LE DROIT D'AVOIR MAL. TU N'AS PAS LE DROIT D'AVOIR PEUR. TU N'AS PAS LE DROIT DE SAIGNER. TU N'AS PAS LE DROIT D'EXISTER.

assommé par la douleur et les ordres qui tonnent au fond de son crâne, il entend pourtant le loquet de la porte qui se déverrouille.

il tente de s'enfuir, il n'entend plus, il ne pense plus à rien,
il ne voit plus rien que le ROUGE.