Baby crib
Danaé est enceinte. Danaé va avoir un bébé. Là. Bientôt. Dans quelques mois à peine. Une part de toi est terrifiée pour elle. Tu as peur pour cet enfant. Tu as peur de voir dans quel monde il va grandir. Avec des parents hôtes. Des étoiles à ses côtés. Le danger en permanence. Et en même temps, tu es heureuse. Y penser te remplie d’une joie que tu ne pensais plus pouvoir ressentir. Que tu pensais évaporée, partie avec tes enfants dans ce train à sens unique. Tu es contente pour elle. Contente pour Nori. Tu te rappelles avec nostalgie de tes grossesses. De celle de Coraline, horrible parce que tu étais trop jeune. De celle de Zephyr pendant laquelle tu as pris beaucoup de poids. Otis te l’a reproché d’ailleurs, tu aurais dû voir les red flags plus tôt. Enfin, de celle de Molina qui n’a pas pleuré tout de suite. Raconté comme ça, tu imagines que ça pourrait faire peur. Que ça pourrait présenter plus de négatif que de positif. Pourtant, si c’était à refaire, tu referais tout de la même manière. Parce que tes enfants sont ton trésor le plus précieux, le plus inestimable.
Il y a un plan par terre. Des outils dans la poche avant de ta salopette. Et puis toi, concentrée sur la construction du berceau. C’est toi qui a monté ceux de tes gamins, parce qu’encore une fois Otis avait refusé de t’aider, alors tu commences à avoir une certaine expérience. C’est surtout que tu veux te rendre utile. Tu n’en peux plus de rester enfermée chez toi, ou bien derrière la caisse du Mini-Market. Tu as besoin de distraction. Tu as besoin de ne pas penser à eux. Aux enfants. Tu as besoin de te vider la tête. La théorie voudrait que tu t’éloignes de tes problèmes et de ce qui les crée. Donc de Danaé. Mais c’est impossible. C’est quand tu ne vas pas bien que ton instinct te hurle encore plus fort de la retrouver.
« Danaé ! J’ai fini si tu veux venir voir ! »
Bientôt, tu remplaceras Viktor dans le bricolage à l’appartement.
* J'arrive ! Attends une minute.
La jeune femme est enceinte jusqu'aux yeux. Elle est bien entourée, mais elle regrette un peu tout. Elle sait. Elle sait. Elle sait.
Elle sourit en voyant le berceau, mais elle sait. Elle fait quelques pas, aidant vaguement Charlotte à se relever, même si cette dernière fait tout le travail. Danaé pose ses mains sur le rebord du berceau, un sentiment indescriptible au bord des lèvres.
Elle espère que cet enfant, "Shizue", ne verra jamais le jour. Elle l'espère sincèrement... parce qu'elle sait. Son instinct a toujours été juste, et ses doutes, ses peurs ont été confirmées.
* Tu as fais un super travail ! elle s'exclame, ne laisse rien transparaître. Heureusement que je t'ai demandé à toi plutôt qu'à Nori. Elle ricane un peu, moqueuse.
Elle caresse le rebord du bout des doigts. Oui, définitivement...
* Je t'ai préparé un jus de fruits, si tu veux. Je me suis dis que tu devais avoir chaud.
Baby crib
Tu esquisses un sourire quand tu la vois arriver. Quand tu vois son ventre arrondi. Quand elle t’aide à te relever. Pendant longtemps, tu n’as plus eu de nouvelles de Danaé. Tu es contente que cette période soit derrière vous. Chaque appel non répondu, chaque message non retourné, étaient de nouveaux coups de poignard dans ton cœur. Tu t’es bien trop inquiétée. Tu es toujours bien trop inquiète. Un sentiment qui te dévore de l’intérieur. Mais tu souris. Un peu pour de vrai. Beaucoup pour faire semblant.
« Oh tu sais, ça devient plutôt simple après un certain nombre. » Léger rire qui s’échappe et qui, d’une certaine façon, sonne faux. « Eh, il peut pas être bon partout ! En tout cas, je suis contente de t'être utile !»
Tout pour penser à autre chose. Pense à autre chose Charlotte.
Tu ne peux pas. C’est toujours là, dans l’arrière de ton crâne. Même quand tu es concentrée sur autre chose, c’est là. Des images, des sons, des odeurs, des paroles, des sentiments. Pour la plupart, que tu as envie d’oublier. Le rire d’Ether. La douleur de ta blessure. La sensation de perdre un lié. Puis deux. Puis trois. Vega. Naolane. Dusk. Celle du lien qui se crée. Megumi. Tu n’as jamais voulu ça. Tu n’as jamais rien demandé. Tu mens. Tu as prié pour que ta vie change. Pour qu’il se passe quelque chose. N’importe quoi. Dans ton mariage, dans ta vie en général. Tu as eu ce que tu demandais.
« Ça se voit tant que ça ? » Second rire. Oui, forcément que ça se voit, tu rougis rapidement dès que tu as chaud. Et tu es littéralement une tomate. « Merci Danaé, c’est gentil de prendre soin de moi. »
Est-ce qu’elle sait que tu viens la voir pour te changer les idées ? Pour ne pas avoir à te torturer l’esprit à propos des enfants ? Est-ce que c’est pour ça qu’elle t’a proposé de monter le berceau ? En toute franchise, tu n’en sais rien. Mais la distraction est de courte durée. Air plus grave sur le visage. Hego va bien ? Et Ceylan ? Megumi ? Tu es inquiète.
* Charlotte, tu...
Comment lui faire comprendre ?
* Je suis là pour toi, tu sais ? Ca va aller. On... on va s'en sortir.
Non seulement elles allaient s'en sortir, mais ils allaient tous s'en sortir. N'est-ce pas ? N'est-ce pas... Elle lui adresse un sourire fatigué.
* Et puis faut qu'on reprenne un peu de punch, sinon le bébé ne va vraiment pas nous apprécier.
Rire jaune. Elle ne veut pas de cette chose, de ce bout de monstre, ce bout d'étoile. Elle refuse de le regarder dans les yeux, ses yeux qui seront sûrement ceux de Sirius.
Elle sait qu'il y a une solution.
Et en même temps, cet enfant... elle le protègera au péril de sa vie. Elle le sait.
Baby crib
Tu t’arrêtes un instant, les yeux ronds. Ça se voit tant que ça ? Merde. Toi qui pensais leurrer tout le monde. Toi qui pensais pouvoir tous les porter à bout de bras. Que mettre de faux sourires suffirait. Tu n’as jamais su jouer la comédie, bien malgré toi. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer, de faire des efforts. Est-ce qu’ils s’en rendent tous compte ? C’est évident. Ça saute aux yeux que tu vas mal. Que tu n’es plus que l’ombre de toi-même. Déjà parce que ton débit de parole s’est considérablement réduit. Aussi parce que tu es simplement moins spontanée. Et probablement que les cernes au milieu de tes joues n’aident pas non plus. Tu en as passé, des nuits blanches assise dans ta cuisine à attendre. Attendre quoi ? Tu n’en sais rien. Ether peut-être. Ces autres personnes qui vous veulent du moi, peu importe leurs identités. Tu vis avec eux Charlotte.
« Moi qui pensais être convaincante ! Désolée Danaé, je ne voulais pas t’inquiéter. Ni toi, ni les autres. » Ta main effleure son épaule comme pour la caresser d’un geste se voulant tendre, rassurant. « Je sais… Je sais qu’on va s’en sortir. Tous ensemble. »
Parce que si vous perdez quelqu’un d’autre… Tu ne veux plus ressentir cette douleur. C’est trop. Tu n’as jamais été très proche de ceux qui ne sont plus là. Mais tu aimes profondément ceux qui restent. Tu as besoin d’eux à tes côtés. Tu prétends vouloir leur maintenir la tête hors de l’eau alors qu’en réalité, c’est leur présence qui te permet de ne pas te noyer.
« Tu rigoles ? Il va nous a-do-rer. C’est obligé. Regarde-nous ! Super-Maman et Super-Tata-Charlotte. »
Ouais bah en attendant, tata Charlotte elle fait pitié.
« Je vais faire de mon mieux pour aller mieux. Je vais pas te promettre de redevenir comme avant, mais je vais faire des efforts. »
Il est faible, le sourire sur tes lèvres. Il est faible mais il est là. Il est sincère. Et c’est déjà beaucoup.
* Merci d'être restée à mes côtés.
Ce n'est pas comme si tu avais le choix, mais tu comprenais, d'une certaine manière.
Elle va pour dire quelque chose, quand soudain, ça sonne à l'interphone.
Elle te regarde pendant un instant, interdite.
* Tu... peux aller répondre ? C'est peut-être Nori, peut-être qu'il a oublié ses clés.
Au bout d'un minuscule instant de réflexion, elle t'arrête à nouveau.
* Je pense pas que ce soit quelqu'un de mauvais. Elle peut se tromper.
C'est l'heure du palier.
- aller répondre à la porte.
- ne pas aller répondre à la porte.
Baby crib
Danaé te serre contre elle. Ses étreintes te font du bien. Elle te rassure. Elle te soulage d’un poids, pendant un instant. Dans ses bras, il n’y a plus de distance, il n’y a plus le lien qui te tire. C’est comme si le lien n’était plus un fil mais un même point entre vous deux. Comme s’il s’étaient rembobiner. Ça te fait un bien fou.
Tu lui souris. Tu ne réponds rien, mais tu souris. Elle n’a pas à te remercier. Tu n’as jamais voulu être liée. Elle n’a probablement jamais voulu être hôte. Tu n’as pas eu ton mot à dire. Elle non plus. Vous êtes dans la même galère. Elle te remercie pour quelque chose qui te semble tellement naturel. Ça n’a jamais été dans tes projets de l’abandonner, de la laisser à son sort. C’était logique de rester à ses côtés. Pour le meilleur. Pour le pire.
Pour le pire.
L’interphone sonne et te fait presque sursauté tant tu étais ancrée dans ce moment. Mais tu ne paniques pas. Tu ne penses pas à grand-chose en vérité. Juste que quelqu’un vient lui rendre visite. Probablement Nori comme elle le suggère. Et quand elle te demande d’aller ouvrir, tu ne vois aucun problème à accepter. Alors tu acquiesces.
« Oui bien sûr, pas de soucis. »
Tu t’écartes, tournes les talons, te diriges vers l’interphone. Danaé t’interpelle et ce n’est que maintenant que ça t’effleure l’esprit. Ça pourrait être quelqu’un de mauvais. Ça pourrait mais ce n’est que Nori n’est-ce pas ? Ou Hego ? Ceylan ? Megumi ? Personne de dangereux. Elle ne pense pas que ce soit le cas mais… Elle peut se tromper. Tu n’en auras le coeur net qu’en allant répondre, ce que tu fais.
HRP: elle répond à la porte.
C'est la voix épuisée de Megumi qui sort de l'interphone.
Danaé ? C'est Gumi. Je devais parler à... fin, t'sais.
Ça fait un certain paquet de temps que tu n'as plus eu de nouvelles de Megumi, Charlotte. Tu savais qu'elle avait dû faire face à la disparition d'un ami, depuis peu - c'était Danaé qui t'en avait parlé, parce que la peine de Megumi se faisait sentir à travers le lien pourtant si jeune entre vous tous et que tu avais fini par lui poser la question.
Tu n'as pas souvent eu affaire à Megumi, à vrai dire tu la connais à peine. Mais cette voix qui te paraît atrocement fatiguée t'inquiète. Après un silence, elle reprend la parole.
Euh, Danaé ? T'es là ?
* Je suis là, Megumi, désolée. J'étais avec Charlotte, c'est elle qui est venue répondre. Ça ne t'embête pas ?
Après une petite réponse négative de Megumi qui renchérit en disant que ta présence ne l'embête effectivement pas, Danaé raccroche l'interphone et ouvre la porte - avant de soupirer, lourdement.
* Bon, je suis désolée d'avance... elle non plus, ce n'est pas vraiment la joie incarnée. Ça ira ?
En cet instant, Danaé a l'air d'avoir besoin de ton soutien. Elle te lance un regard presque suppliant.
Baby crib
Ton corps s’affaisse de soulagement quand tu entends la voix de Megumi. Tes épaules se baissent. Et les plis soucieux de ton visage se lissent. Il n’y a pas de danger derrière la porte.Seulement la dernière liée en date. La plus jeune du groupe. Te voilà rassurée. Si ça avait été l’un de ces chasseurs - déjà pourquoi est-ce qu’il aurait sonné ? - et ensuite, tu n’aurais pas servi à grand chose. Tu ne sais pas te battre. Tu n’as jamais voulu apprendre, tu ne veux toujours pas. Tu as une arme à feu mais refuse de t’en servir. Mais pour protéger Danaé ? Oh pour la protéger, tu ferais n’importe quoi, quitte à renier tes plus grands principes.
Tu t’écartes de l’interphone pour laisser la place à l’actrice. Elle parle avec Megumi. Megumi que tu n’as pas vu depuis… Combien de temps déjà ? Tu as essayé de prendre de ses nouvelles. Exactement comme pour Ceylan. Comme pour Hego. Mais tu n’as pas eu autant de chance avec elle. Peu ou pas de réponses. Si bien que tu as fini par en demander à Danaé. Elle avait perdu quelqu’un. Encore des morts. Ça n’allait donc jamais en finir dans cette maudite ville ?
« Ne t’en fais pas pour moi Danaé, ça ira oui. Et puis, si elle peut voir que je suis là pour elle moi aussi, si elle peut voir que je veux l’aider autant que j’essaie de t’aider toi, Ceylan, ou Hego, peut-être que ça lui fera du bien ? »
Est-ce qu’elle se sent seule Megumi ? Tu sais que toi oui parfois. Tu t’occupes d’eux pour ne pas avoir à t’occuper de toi. Et quand ils ne sont pas là, quand tu ne leur parles pas, tu te sens si vide.
Il y a quelques minutes de flottement, et puis Megumi est là. Drapée dans une robe noire, elle vous adresse un sourire fatiguée. Elle adresse un regard que tu ne comprends pas à Danaé, et puis se laisse guider jusqu'au salon. Vous discutez un peu, tu comprends que Megumi n'est pas dans son assiette.
Elle t'explique,
à demi-mots,
le sort du jeune homme qu'elle hébergeait chez elle.
C'était un lié, donc ça devrait pas m'étonner j'imagine, elle marmonne entre deux gorgées du thé que Danaé lui a servie -
et tu prends conscience de quelque chose.
Baby crib
Tu l’écoutes attentivement, Megumi. Tu prends le temps de lui prêter ton oreille. Ton épaule si elle a besoin. Tu sais que ce n’est pas toi qu’elle est venue voir. Que ce n’est pas à toi qu’elle voulait parler. Tu es chez Danaé après tout. Et c’est toujours par cette dernière qu’elle passe. Mais tu es là pour elle. Ça doit valoir quelque chose non ?
Ce qu’elle te raconte te peine profondément. Tu ne connaissais pas ce garçon. Tu n’en avais même jamais réellement entendu parler auparavant. Et pourtant, chaque nouvelle mort te pèse sur le cœur. Tu es fatiguée d’apprendre mauvaise nouvelle sur mauvaise nouvelle. Tu as l’impression que ton monde n’est rempli que de ça désormais. Les petits moments de joie, tu ne les vois presque plus. Quand Viktor raconte des idioties qui auraient fait éclater ton rire. Quand tu regardes Hego de tes yeux amoureux et pourtant si triste. Il y a toujours des sourires sur tes lèvres, mais ils ne veulent plus rien dire.
Megumi t’explique que c’était un lié. Et tu en viens à te demander qui était son étoile. Ce n’était pas Sirius, ça c’est sûr. Était-ce celle de Mica ? Impossible de le savoir. Combien y a-t-il d’étoiles dans cette ville ? Et combien de liés sont morts sans que tu ne le saches ?
Mais dans tout ça, il y a quelque chose qui te fait tiquer. Tu ne saurais pas précisément mettre le doigt sur quoi en particulier. Alors tu restes silencieuse. Tu les écoutes, les regarde. L’une. Puis l’autre.