Tu ne la connais pas, mais au vu de votre conversation, tu penses qu’elle t’a parfaitement écouté. Et tu penses, quelque part, qu’elle recherche de l’aide. Sinon, pourquoi discuter avec un parfait inconnu ?
Sa réponse te laisse sans voix.
Tu t’arrêtes net. Ton cœur bout ; cette sensation d’injustice, c’est pour elle que tu t’es battu toutes ces années contre ces fouteurs de merde. C’est hors de question que tu laisses passer ça. Pas avec tout ce que tu as vécu.
Tu te sens désormais concerné.
Tu ne comprends que trop bien le sens de cette phrase, et ça t’enrage. Ce sang-froid que tu n’as jamais eu disparaît soudain. Tu oublies la politesse, le vouvoiement, tu retrouves ton âme rebelle et abandonne la forme.
— Attends… quoi ? Non ! tu tentes le tout pour le tout pour obtenir ne serait-ce qu’un peu son attention, qu’elle se retourne, qu’elle penche la tête, qu’elle ose un regard… n’importe quoi. Une expression de révolte sur ton visage, tu lui tiens ces paroles : Si tu es menacée, si quelqu’un te veut du mal… viens vivre avec nous quelque temps. On te protégera. Ne reste pas seule. Qu’ils viennent, c’est nous qui allons les buter ! Et si tu ne peux pas, alors c’est moi qui viens avec toi.
Franchement, tu aurais l’air de quoi, à tourner les talons après un tel aveu ? D’un lâche, rien de plus, rien de moins. Tu as vécu dans ces merdes-là, pour protéger ceux qui ne pouvaient pas le faire eux-mêmes ; c’est bien à ça que ça t’a servi, non ? Protéger. Ce n’est pas dans tes habitudes de reculer face à un problème. Tu fonces, tout droit, sans jamais te retourner.
C’est loin d’être la première fois que tu te tapes pour sauver un inconnu. Avec Elias, c’était ton quotidien ; buter des déchets humains pour des gens que t’as jamais vu de ta vie. Parce que c’est grâce à ça que tu es toujours en vie aujourd’hui. C’est toi. Le cœur de ton être. Tu es bon pour tuer, tu es bon pour te battre ; arrête de te réfugier dans les bonnes apparences.
Tu es très sérieux. Ton regard s’enflamme, et les braises qui s’en échappent semblent batailler pour atteindre la femme face à toi. Tu oublies le lac, tu oublies la balade, tu oublies tout ; tu as la rage de vaincre tout et n’importe quoi, en cet instant. Et tu la suivras jusqu’au bout du monde s’il le faut - sans que tu puisses l’expliquer, cette flamme au cœur de ta poitrine se rallume. Tu t’es égaré bien trop longtemps, il est temps de retrouver ton chemin.
* Tu n'as aucune idée de ce dont tu parles.
Elle annonce, et pourtant tu sens qu'elle a sans doute envie d'accepter, que toutes les pistes sont bonnes à prendre.
* Tu as ta vie, et j'ai la mienne.
...
Tu vis pour ça. Tu l’as toujours fait. C’est ton rôle, ce pourquoi tu respires encore aujourd’hui ; et quand bien même tu as longtemps essayé de faire passer l’éthique avant la réalité, tu te rends bien compte que tu n’es pas à ta place.
Ta place est auprès des gens comme elle.
Des gens qui veulent se battre, mais qui n’ont aucune chance de survivre.
Des gens menacés. Des gens à protéger. La seule chose pour laquelle tu sais vraiment vivre. La seule chose pour laquelle Elias t’a fait vivre.
Elle ne te fait pas peur.
Tu l’as touchée, en plein dans le mille ; elle est là, à te répondre, face à face, et tu lui tiens tête.
Tu ne lâches pas ses prunelles de ton regard insistant.
Tu rétorques dès sa première phrase.
— Qu’est-ce que ça change ? Dis-moi, montre-moi !
Elle enchaîne, et tu comprends qu’elle n’a plus le choix ; tu es décidé.
— Exactement ! Et quoiqu’il arrive, je passerai la mienne à protéger les gens comme toi : elle est là, ma place. Quoiqu’il se passe autour de toi, ça n’y changera rien ; c’est moi qui viens avec toi. Si tu ne peux pas assurer ta survie, alors je me battrai pour.
Tu es catégorique.
Tu l’as toujours été.
Mais cette conversation ravive en toi des choses que tu n’espérais plus.
Tu ne la connais pas.
Tu n’as jamais connu ceux pour qui tu te battais jusqu’au sang.
Parce que tu n’as pas besoin d’une raison pour le faire.
C’est toi, c’est dans tes veines. Ta propre justice.
Les bons, les mauvais, c’est toi qui décide pour qui tu te bats. C’est ça, le libre-arbitre. C’est ça, la rage de vivre.
T’as jamais rien eu d’autre pour toi dans la vie que tes poings et ta volonté. Tu n’as jamais su t’exprimer autrement. Pas même avec Louise, que tu as dû quitter pour son bien - avant de tout détruire, comme tu le fais si bien avec tout semblant de vie normale que tu pourrais toucher du bout du doigt..
La musique, c’est ton masque.
Tout est fade dans ce putain de monde.
La vie n’a aucun goût sans tout ça.
Ça te manque.
Ton regard nage dans le sien.