Winchester Nova est chez lui, mais pas seul.

c'est la première fois depuis... depuis toujours ? il y pense, il y pense beaucoup trop, en voyant l'Autre, trop grand, trop lui, trop tout, dans son espace à lui. il le fixe, et essaye de surveiller l'autre clébard du coin de l'œil. c'était une erreur, de les laisser venir. une grave erreur, qu'il referait pourtant sûrement. il ne peut pas avoir le même laisser-aller qui le prend habituellement dès qu'il passe le seuil de la porte et sombre dans le lit, souvent encore habillé. alors c'est perturbant, de voir un Autre dans sa tanière. il regretterait presque, s'il ne sentait pas le soulagement de leur proximité relative.

il lève son verre, et le termine d'une traite,
en même temps que Garance Giesler.
il s'en ressert un deuxième, qu'il vide aussi vite,
avant de ranger la bouteille et les verres pour la soirée.

ça bourdonne à peine, c'est juste... de quoi faire taire ses pensées. de quoi faire taire la haine, le dégoût, la colère, le doute. de quoi atténuer le fourmillement insupportable qui s'accroit quand ils s'éloignent l'un de l'autre.

le Sous-Lieutenant Nova reste debout, un peu trop raide, pourtant légèrement moins tendu. il continue de scruter le moindre mouvement de la part des deux (in)désirables, suit le chemin jusqu'au lit qui se jonche de vêtements, ignore les alarmes qui aboient dans son crâne et...

ricane.
oui, ça fait ricaner Winchester Nova, Giesler croit vraiment qu'il puisse être gêné par la nudité ? si seulement ce n'était que ça. la promiscuité, ça le connait bien, depuis les années de caserne. c'était pourtant mieux que d'avoir à rentrer à la maison, alors il restait même les weekend, à sa place au milieu des douches exiguës, de l'unique miroir pour toute la brigade et des dortoirs sans intimité.

la remarque le fait assez sourire pour qu'il oublie un instant le poids de ses pensées. assez pour ne pas culpabiliser de dévorer du regard l'étendue de peau blessée qui s'offre à lui. ses yeux se perdent sur ses cicatrices, cherchent un chemin à suivre, une histoire... en vain. il hait les siennes, qui dévoilent trop, et apprécie celles-ci, qui ne veulent rien lui dire.
je t'aurais bien prêté quelque chose, mais on va devoir te couper la moitié des jambes pour que ça rentre, et il sourit à sa mauvaise plaisanterie.


Winchester Nova a de lui même décrété que c'était l'heure de dormir, alors il s'y tient et s'avance vers le lit. à son tour, de se déshabiller. il répète les mêmes gestes machinaux qu'il fait toujours, avec ou sans public. d'abord ses chaussures, sa veste, sa chemise... un instant, il s'arrête, et sort son arme de service de l'étui contre sa hanche pour le poser sous son oreiller, son attrape-rêves à lui. (simple précaution) et il reprend son rituel habituel, et continuant de fixer Giesler, sauf pour jeter quelques regards noirs au terrible fauve dénommé Biscuit, qui aime un peu trop fouiner dans les affaires des autres à son goût. nu, les bras croisés, il regarde enfin son lit envahi. il est grand pour lui (qu'est-ce qui ne l'est pas ?) mais petit pour cet enfoiré de géant. si tu prends toute la place, je te pousse par terre. c'est énervant, qu'il soit aussi grand, c'est vrai, mais c'est trop tard pour qu'il puisse faire quoi que ce soit, à part se plaindre.

(c'est bien, se plaindre, ça permet de ne pas penser à Garance Giesler dans le lit, peau contre peau, c'est dangereux de penser à ça)

il s'éloigne juste le temps d'aller éteindre l'ampoule qui n'a toujours pas rendu l'âme, et chaque pas le fait grincer des dents. pourquoi ça lui arrive, à lui ? maintenant ? ce n'est pas juste. maintenant qu'il a commencé de cédé à cette envie là, il ne s'en sortira jamais, il le sait déjà.

chaque seconde de cette soirée scelle un peu plus son destin.

tout ça pour un type qu'il ne connait même pas. il sait juste qu'ils se comprennent. il sait juste qu'il y a ce terrain d'entente, cette violence commune qui les a dressés. il ne connaît même pas son nom, mais ça n'est pas le plus important. dans l'obscurité relative de la chambre aux volets cassés, ses yeux noirs cherchent les cicatrices qu'il n'a pas réussi à comprendre. il reste là, debout, pour une fois qu'il peut regarder l'autre de haut. dis moi un truc sur toi.

debout dos à l'unique fenêtre, l'ombre de Winchester Nova se projette sur les draps du lit.

il fixe l'Autre, le regarde se pencher, se rapprocher, non, juste bouger, si, si, si, il se rapproche, il est juste là, juste devant, il est là, là, là, là, si proche et pas tout à fait, pas encore, juste là,

l'ombre de Winchester Nova se projette sur le corps presque nu de l'Autre, qu'il continue d'essayer de déchiffrer. il voit les ecchymoses presque effacées, il voit des plaies qui commence à peine de cicatriser, il voit des blessures si anciennes qu'on dirait presque les veines du marbre qu'est sa peau, dans la pénombre. il pense à ses veines, les vraies, enfouies dans ses chairs, il pense au sang qui y coule, il pense à la chaleur du sang,
il entend le sien battre dans ses tempes.

il ne sait pas ce qu'il attendait, mais il reçoit un nom.
c'est tout ? il répond trop vite. il se retient de dire c'est nul.

pourtant, c'est plus fort que lui, il fait un pas, il est si proche, mais reste debout. n'obéit pas tout à fait, comme il trouve que l'Autre n'a pas tout à fait répondu. non, pas l'Autre, Garance.

garance, garance, garance, garance, garance, garance, garance, garance, garance, garance, garance, garance, garance,
il répète son nom jusqu'à ce que ça ne veuille plus rien dire.

il continue de le regarder de haut. il se délecte de cette position, à vrai dire, et ne compte pas s'approcher tout de suite, non, tant pis pour GARANCE. il espère qu'il est aussi torturé de sentir leurs corps si proches sans se toucher, car c'est infernal pour lui. quelques secondes, et il cède, faiblement, il s'en voudra plus tard pour ça. il s'en voudra plus tard pour tout. mais pour l'instant il est là, les yeux baissés sur GARANCE, et ses mains viennent se poser sur les épaules de GARANCE. il pose son genou entre les jambes de GARANCE, soucieux de ne pas le toucher, fausse preuve d'obéissance. il appuie son poids sur les deux épaules de GARANCE. son pouce gauche caresse la peau, jusqu'à trouver ce qu'il cherche. cette cicatrice là, celle là, c'est la Sienne, c'est lui qui a blessé GARANCE. sans malice, il serre un peu trop sa main gauche sur l'épaule droite de GARANCE. pas tout à fait sur la plaie, juste à côté, et il grogne immédiatement, surpris de ressentir la même douleur que GARANCE plus il appuie. il ne desserre pas ses doigts, pourtant, et ne relâche que sa main droite. toujours posée sur l'épaule de GARANCE. sa peau est brûlante sous ses mains moites, et il refuse de lâcher maintenant qu'il sent enfin la peau de GARANCE contre la sienne.

ça ne le soulage pas, ça ne fait qu'attiser des braises qu'il croyait éteintes depuis longtemps, sous les cendres. il ne lâche toujours pas GARANCE, ce n'est que quelques secondes peut être, ou une éternité.

(c'est tout ce tu mérites, cette douleur, tout ce que tu mérites pour oser espérer autre chose de GARANCE, pour croire bêtement que c'est possible de ne pas souffrir, pour prétendre y avoir le droit, pour avoir envie de)

(avoir envie de)

(de ?)
(??????????????????????????????????????????????????)

il a mal, mais il continue. ce n'est rien, comparé à la brûlure terrible qui noue ses tripes. dis moi autre chose, GARANCE.

Winchester Nova ne peut pas résister longtemps.

c'est autant une torture pour lui que pour Garance, cette distance infime qu'il impose, mais il a l'impression que c'est la dernière chose qu'il peut encore contrôler. ce centimètre à peine entre eux, et ses mains sur ses épaules, juste ça, pas plus, pas plus. c'est lui qui décide.
c'est lui qui choisit.

qui choisit quoi, au juste ?
qui décide quoi, hein ?

l'illusion de contrôle ne dure pas longtemps, de toute façon. pas quand les lèvres de Garance viennent enfin le trouver, et le soulagement se mêle d'autre chose qui ne devrait pas exister en lui. le compliment si bref le fait frissonner et finit d'achever ce qui lui restait de conscience. il n'a plus envie de penser, alors il ne pense plus. il n'y a que ce qu'il ressent, sa peau qui brûle contre celle de Garance. et pourtant il en réclame encore. il ne s'inquiète même pas de jusqu'où il se laisse mener, ce n'est plus à lui de décider. il déteste immédiatement le suçon, et il adore le détester.

quand le vertige le prend, il ferme les yeux quelques secondes.

(agacé et gêné par la tendresse de Garance,
il finit par le supplier de lui faire mal)

(...)

il dort, ni une bonne nuit, ni une mauvaise. il dort, et ne peut penser à rien.

puis les mouvements de Garance le réveillent immédiatement, et il pense trop. pourquoi tu es là qu'est-ce que tu fait qu'est ce que tu m'as fait pourquoi tu es là pourquoi tu es encore là pourquoi j'ai mal quand tu pars pourquoi j'ai encore plus mal quand tu restes pourquoi tu es encore là tu es horrible tu es dégueulasse tu es répugnant tu me dégoutes tu me donnes envie de vomir et je te hais oh comme je te hais pourquoi tu es encore là tu ne mérites pas d'exister tu ne mérites pas de vivre tu ne mérites pas de respirer pourquoi tu es encore là tu devrais déjà être très loin tu devrais aller crever dans un fossé tu devrais aller en finir dans les bois tu devrais mourir pourquoi tu es encore là POURQUOI TU ES ENCORE LÀ JE TE HAIS JE TE HAIS JE TE HAIS

P̷O̷U̸R̸Q̷U̵O̵I̶ ̷T̶U̵ ̷E̷S̷ ̵E̴N̸C̷O̸R̴E̶ ̴L̶À̶ ?

va t'en très loin, vas y,
souffre.