22.06.22
Manoir abandonné
@Odette Andrianasolo

C’est une idée stupide, de celles que je croyais faire partie d’un passé mis sous scellés. Elle me rappelle ces jours – et ces nuits – où les âmes innocentes que nous étions buvaient trop, parlaient trop fort et s’entendaient dire de « fermer vos gueules » sous peine qu’« on appelle les flics »… À l’époque j’en souriais, et aujourd’hui encore j’en souris. Parce qu’avant, je savais qu’il ne pouvait rien m’arriver. Karel était là pour me sauver le cul lorsque je déconnais un peu trop. Et aujourd’hui, ah, aujourd’hui… Tout peut arriver. L’acquisition de pouvoirs magiques, une main qui repousse, des étoiles qui s’incarnent ; ce genre de trucs on ne peut plus ordinaires, quoi…

C’est une idée stupide que de vouloir tenter de déverrouiller cette chose en moi dont j’ignore tout. De de la provoquer par la force des choses. Cette soi-disant magie qui viendrait de cet « ami commun » et qui serait partagée par tous ces « liés »…

Je presse ma paume sur mon oreille. Ces foutus acouphènes ne m’ont pas quittée depuis que j’ai repris connaissance chez moi, et ça ne va pas en s’arrangeant. C’est la seule chose que je sais, et je suspecte mon pouvoir d’avoir quelque chose à voir avec le son.
Mon pouvoir… Ah.
Ce monde marche sur la tête.

J’ai donné rendez-vous à Odette dans ce vieux manoir abandonné pour tester ma théorie. Naturellement, je ne lui pas fait part de la véritable raison, quoi que celle que je lui ai filée soit tout aussi valable. Ça fait un moment qu’on se dit qu’il faudrait qu’on improvise un morceau ensemble quelque part, dans un lieu absolument inédit, à l'acoustique grandiose... Le moment est venu de faire du bruit.

22.06.22
Manoir abandonné
@Odette Andrianasolo

Odette n’a, je crois, jamais été capable d’arriver quelque part sans s’annoncer. Les feuillages et les herbes folles qui ont pris d’assaut les alentours du manoir frémissent à son passage et depuis l’œil de bœuf du premier étage, j’aperçois sa petite silhouette se faufiler jusqu’à l’entrée. Je descends l’accueillir d’une tape dans la main.

« Odd’, ça fait un bail. »

Je suis sincèrement contente de la revoir. Les récents événements ont été éprouvants et, à vrai dire, les visages que je croise en ce moment ont tendance à m’évoquer davantage de mauvaises choses que de bonnes – même ceux que je croyais réconfortants. Alors le sien est comme une lumière dans l’obscurité.

« Boh, ça va. Et toi, tu deviens quoi ? »

Je ne sais même pas si elle est au courant, pour Karel. Elle a sans doute dû entendre les nouvelles quand c’est arrivé mais elle n’a peut-être pas fait le lien. Odette est peut-être une des rares personnes à qui je n’ai pas parlé de ma sœur. En fait, du plus loin que je me souvienne, on n’a jamais vraiment échangé sur nos familles respectives, bien trop occupées à parler musique et matos. Et, en fin de compte, ce n'est pas plus mal.

« Et comment ! Je suis même prête à danser avec eux s’ils veulent. »

Sourire carnassier. S’il s’agit là de mon dernier instant pour m’amuser avant d’affronter je ne sais quel problème – entre ce taré au pistolet qui a menacé mon cheval et cette histoire d’étoiles, il y a de quoi faire –, autant en profiter à fond.

Je remonte d’un étage pour rejoindre mon matos – un PC portable qui se fait un peu vieux et un clavier Yamaha PSR-E373 – abandonné sur un buffet. Bien noirci, ce dernier semble avoir survécu à l’incendie qui a ravagé les lieux.

« Tu veux qu’on fasse un tour avant ? Histoire de trouver le bon spot… »

… Et de visiter car c’est bien la première fois que je mets les pieds ici.

« Tu sais ce qu’il s’est passé ici ? »