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spare the sympathy ⁞ ꜰᴛ. ᴛɪᴍᴏꜰᴇʏ
spare the sympathy
Pour la défense de Dante - il avait fait de son mieux. Ah, oui, il avait vraiment fait ce qu'il pouvait, il avait détalé aussi rapidement que la politesse (vite fait) le permettait, il avait même martelé les boutons de l'ascenseur, surtout celui pour refermer la porte, et il avait offert son meilleur regard menaçant à Vakhrouchev pour le dissuader de le rejoindre dans l'ascenseur. Don't you dare, il avait dit en bleu et en brûlé, n'approche pas, ne me parle pas, lâche-moi, menteur, menteur ! Mais il avait fallu que la vie soit une grosse pute, et ça aurait été plutôt drôle si ça n'avait pas été aussi terrible.
On se calme et on reprend.
Le lendemain de sa rencontre avec Breckenridge, Dante s'était rendu à la faculté comme à son habitude, les pensées frustrées de sa fausse piste, de cette impasse, de ce filet d'espoir qui n'avait rien donné. Le propriétaire du Lucky Cat n'avait rien pu lui dire et cette entrevue n'avait été qu'une perte de temps. C'était ridicule. Dante avait réalisé qu'il était plus intéressé par cette enquête impromptue que par son propre travail, et en même temps, pouvait-on vraiment lui en vouloir ?
Il avait donné un cours en amphithéâtre pendant trois longues, et éprouvantes, heures, avant de congédier ses étudiants et - il avait tourné la tête et il était là. Tyoma ? Timofey Vakhrouchev. Dante l'avait regardé avec de grands yeux, interdit, stupéfait. Comme si Vakhrouchev était un fantôme du passé, un mort-vivant de retour sur le devant de la scène.
Il avait demandé s'ils pouvaient parler. Dante n'avait pas attendu qu'il explicite pour siffler que c'était hors de question, récupérer ses affaires et fuir comme une collégienne en pétard. Glorieux - tout simplement glorieux.
Le chemin était simple et s'il était court, il était peu prompt à semer l'autre homme, si celui-ci avait le toupet, que dis-je, l'audace de le suivre - ce qu'il avait fait. Audace, toupet, c'était des mots qui qualifiaient bien Timofey Vakhrouchev, après tout. Détestable. Dé-tes-ta-ble. Dante avait accéléré,
(se rappelant avec peine qu'il fut un temps où Tyoma le rattrapait systématiquement et que c'était une perspective bienvenue, oui il fut un temps où Tyoma faisait attention à ne pas le distancer parce qu'il marchait plus vite que lui, il fut un temps où ils évoluaient côte à côte)
il avait accéléré jusqu'à se réfugier dans la cage de l'ascenseur et s'était mis à marteler le bouton pour rejoindre le rez-de-chaussée, puis le bouton pour fermer les portes de l'ascenseur. Mais voilà que Timofey coince son pied contre la porte, et en profite pour se glisser dans l'ascenseur.
Ah bah bien. Bravo, champion. Et maintenant ? Et bien maintenant ils allaient passer cinq minutes à ne surtout pas se regarder dans une ambiance absolument délétère en attendant que cela passe, parce que Timofey n'allait pas trouver ses mots et Dante préférait mourir que de lui adresser la parole, et -
Et l'ascenseur se bloquer entre deux étages.
Re: spare the sympathy ⁞ ꜰᴛ. ᴛɪᴍᴏꜰᴇʏ
Dante, j’aimerais qu’on parle.
Non. Non ça n’allait pas, non, le ton n’était pas approprié, ils ne devaient pas parler, c’était lui, et lui seul qui devait s’expliquer.
Mais expliquer quoi. Comment est-ce que tu expliques l’impardonnable ? Difficile, ardu, surtout avec Dante, ça faisait bien longtemps qu’il ne se laissait plus avoir par ses petits jeux de séduction, il le connaissait par coeur, à force, quarante-trois ans de vie commune, quarante-trois ans qu’ils se connaissaient, bien sûr que Dante lisait entre toutes les lignes, mêmes celles dont il ne voulait pas prendre connaissance.
Personne ne le connaissait aussi bien que Dante Rhapsodos et personne ne le connaîtrait jamais aussi bien, et pourtant qu’est-ce que c’était compliqué de trouver comment lui parler. Qu’est-ce que que c’était compliqué de tendre une main hésitante vers la personne que tu aimais le plus au monde.
que tu aimes le plus au monde
Des semaines, presque des mois qu’il se repassait la scène en boucle. Le coincer à la fin d’un amphi quand lui n’avait pas cours. Se dresser entre lui et la porte. Lui parler, ne pas lui laisser le temps de s’enfuir.
Dante, il faut que je te parle.
Mais c’était sans compter que Dante était une véritable murène. Il l’esquiva avec une rapidité qui laissa Timofey pantois, sifflant de mépris entre ses dents serrées, s’enfuyant en courant presque vers l’ascenseur réservé au personnel.
Oh non, il n’osait pas l’esquiver alors que Timofey avait puisé tout ce qu’il avait au fond de lui pour lui parler sincèrement. Oh, mais quelle fouine !
Il lui emboîta le pas, rapidement, profitant de sa grande taille pour gagner du terrain, il ne voulait pas le perdre de vue, il ne voulait pas qu’il lui échappe alors qu’il avait prévu de lui parler ! Pas aujourd’hui ! Pas alors qu’il se préparait depuis une semaine !
Heureusement Timofey était rapide, heureusement Timofey était solide, heureusement Timofey était une incroyable tête de mule, et il ne s’avoua pas vaincu en voyant les portes se refermer, et bondit en avant, juste à temps pour coincer son pied dans la porte (aïe), et se glisser dans la cage de l’ascenseur avec Dante.
Dante.
Ça faisait longtemps qu’il ne l’avait pas vu d’aussi près.
Ils s’évitaient soigneusement, depuis… l’accident, ils ne se croisaient plus jamais, plus dans aucun couloir, plus dans aucune salle, et Timofey se doutait un peu que Dante devait rebrousser chemin ou longer les murs dès qu’il l’apercevait.
Pouvait-il lui en vouloir ? Pas vraiment.
Et en même temps ce n’était pas lui qui s’était fait chasser de chez lui comme un malpropre. Ce n’était pas lui qui n’avait rien voulu savoir, rien voulu entendre.
Si Tyoma était une tête de mule, Dante, lui, était champion né des bornés, toutes catégories.
Quelque chose qu’il avait aimé chez lui, et qui maintenant lui retournait l’estomac de douleur.
Étrange à quel point une relation peut se briser en un rien de temps. Étrange, à quel point quarante-trois ans peuvent s’oublier en quelques minutes.
Comme la vie était étrange, et, à soixante-trois ans, Timofey s’en étonnait toujours.
Il se glissa dans l’ascenseur et se planta à côté de Dante.
Et n’osa pas ouvrir la bouche.
Oh. Misère.
Étrange à quel point on se dégonfle.
Oh, il se serait insulté pour ça.
Il n’osa même pas lui jeter un regard.
Ils étaient tous les deux debout, côte à côte, tendus comme des bâtons, et il devinait qu’aucun n’osait faire le moindre mouvement. Un souffle de trop et tout changerait. Un souffle de trop et ils devraient parler, pour de vrai, et Tyoma n’était pas PRÊT à parler. Il se l’avouait enfin, il n’était pas prêt à parler, il ne voulait pas parler, il ne voulait pas aborder le sujet qui fâche, parce qu’il savait que Dante lui en voulait toujours, comment ne pas lui en vouloir, en vérité, mais merde, parle-moi, regarde-moi.
Mais non, Dante ne regardait pas et Dante ne parlait pas, il ne le faisait jamais et ça commençait à poser problème.
dégage, casse-toi, tu fous le camp, TU FOUS LE CAMP !
Et puis le silence.
Et depuis, le silence.
Le silence pensant de cet ascenseur, et Timofey regretta d’y être rentré.
Il était trop tôt pour parler, ou peut-être qu’il était bien trop tard, il ne savait pas vraiment. Mais ce n’était pas le bon moment.
Et l’ascenseur se bloque.
Timofey battit lentement des paupières ; était-il en train de rêver ? Mais non, il n’hallucinait pas, l’ascenseur était bloqué, c’était digne des plus mauvais films. Il jeta un regard en coin à Dante.
... On dirait bien qu’on va rester l’un avec l’autre un peu plus que prévu.
L’univers le mettait à rude épreuve, aujourd’hui.
Il faut vraiment que je te parle.
Mais il s’en savait incapable.
Re: spare the sympathy ⁞ ꜰᴛ. ᴛɪᴍᴏꜰᴇʏ
spare the sympathy
L'ascenseur est bloqué. L'ascenseur est bloqué. Une partie du cerveau de Dante râle et soupire, ah vraiment super, les infrastructures de cette université ! Et on était sur le meilleur campus du pays ? Mon cul oui, depuis quand le "meilleur campus du pays" a des monte-charges à la con comme ça ? L'autre partie de son cerveau commence à hurler comme un frein mal huilé, parce que la perspective d'être bloqué dans une petite boîte en compagnie de Vakhrouchev, si elle aurait été plaisante quelques années auparavant, ne l'était plus du tout, et il avait envie de le tuer à mains nues.
Il aurait pu pleurer. Dante retient sa respiration un instant, ce n'est pas intentionnel. Il a l'impression que l'air lui manque, il va se noyer, il va se noyer. Et ce con de Vakhrouchev qui reste planté là. En même temps, qu'aurait-il pu faire ? S'il approche, Dante lui crève les yeux. Les lui arrache avec les dents. Sa main passe dans son dos, juste pour sentir la paroi froide et métallique de l'ascenseur, juste pour se rassurer. Le mur est encore là, solide derrière lui. Il ne se noie pas. Il n'y a rien. Juste un vieil ascenseur qui galère.
Il n'ose pas le regarder, alors qu'il prend la parole. Mais ferme-la bon sang! Il se retient de crier. Pourquoi est-ce qu'il avait toujours cette manie d'ouvrir le bec dans les pires situations ? C'était une mauvaise manie qu'il trouvait attachante dans le temps. C'était un problème de timing qui l'avait toujours fait sourire. Maintenant il lui donnait envie de l'étrangler. Tout ce qu'il avait jamais apprécié chez Timofey, désormais tout lui sortait par les yeux. Si ce qu'il avait apprécié était même réel. Et pas juste un triste spectacle que Timofey mettait en scène pour lui plaire.
Si seulement il avait pu être aveugle encore un peu plus longtemps. Qu'ils puissent partir en se tenant la main, au moins.
. . . Ce n'était pas Dante de rester silencieux. C'aurait pu être un silence accusateur, s'il n'était pas totalement en train de suffoquer.
Re: spare the sympathy ⁞ ꜰᴛ. ᴛɪᴍᴏꜰᴇʏ
Ce n’était pas faute de ne pas essayer. Enfin, de vouloir tenter d’essayer. Potentiellement. Peut-être. Il réfléchissait dur pour trouver quoi dire, comment aborder le sujet, comment lui dire ce qu’il avait sur le cœur sans que Dante ne se jette sur lui pour l’étrangler. Parce qu’il le connaissait. Parce qu’il l’en savait capable.
Il aurait dû noter ce qu’il voulait lui dire. Faire une liste. Un copion. Trouver une belle phrase d’introduction, pour lui exposer tout ce qu’il avait sur le coeur et dans les tripes, quelque chose de poignant, de touchant
de sincère
quelque chose qui ferait pleurer, oui, quelque chose de si cru, son coeur livré sur un plateau, bordel c’était pas compliqué, Tyoma était un redoutable orateur, c’était un charmeur de serpents depuis l’enfance, il avait les foules au creux de sa main, on lui mangeait dans la paume, il séduisait qui il le voulait comme il le désirait, alors, pas tous les Saints, pourquoi se sentait-il comme un enfant timide qui devait réciter un poème devant sa classe ?
Pourquoi se sentait-il aussi intimidé par Dante ? Le frêle Dante. Son Dante.
Non. Il n’avait plus le droit de l’appeler comme ça. Tout ça, c’était terminé. Tout ça s’était brisé.
Et c’était peut-être bien pour ça que ça coinçait.
Parce que, quoi qu’il veuille lui dire, c’était trop tard. Il le haïssait. Il le devinait rien qu’à la raideur de son dos.
Hm.
Il était bien silencieux. Dante n’avait jamais été particulièrement causant, mais il s’attendait tout de même à des reproches. Allez, voire un “ta gueule” qui ne l’aurait pas surpris ni choqué. Normalement, ça ne l’aurait pas empêché de parler.
Normalement.
Mais ce foutu ascenseur bloqué, ça changeait tout.
Et la respiration lourde de Dante aussi. Merde, il n’était tout de même pas en train de lui faire une crise de panique, si ?
Oh, pitié. Voilà qui n’arrangeait rien.
Je sais que tu ne veux plus me voir. Ni me parler. Ni entendre mon nom ou quoi que ce soit, tu as été très clair là dessus quand tu m’as balancé mes chaussures à la gueule, mais moi j’en ai besoin. Il faut… il faut que je t’explique. Il faut que tu comprennes mon point de vue, avant de te braquer comme ça. Parce que je… Dante, est-ce que tu pourrais au moins avoir la décence de m’écouter ?
Il se tourna vers lui, bras croisés, mécontent.
Ils étaient tous les deux coincés, alors merde, qu’il rende ça tolérable au moins, non ? S’il décidait de tout simplement l’ignorer, ça allait être très gênant. Et terriblement vexant.
Oh, il reconnaissait bien là son caractère de cochon. Il n’avait pas changé. Ça empirait même avec l’âge, ces histoires…