c'est vraiment con, ce qu'il fait, Mica.

il s'avance vers la supérette, et scrute à travers les vitres pour essayer de voir qui tient la caisse.

c'est un vague souvenir, quelques mots échangés aux urgences, quelques mots perdus, étouffés par la douleur qui irradiait dans tout son flanc droit. mais il croyait bien se souvenir que la mistinguette avec qui il avait partagé cette nuit confuse et douloureuse avait dit qu'elle travaillait dans cette supérette, dans ce quartier... il aurait pu juste répondre à ses messages, à vrai dire, c'était pour ça qu'il avait laissé sa carte de visite avec son numéro personnel, non ? pour rester en contact ?

mais en rentrant chez lui, cette nuit là, recousu, glacé, énervé, il n'avait plus du tout envie de penser à cette nuit là. ni le jour suivant, ni la semaine d'après, ni le mois d'après.

il voulait enterrer le souvenir de cette défaite cuisante et humiliante. tout ce qui le ramenait à cette nuit, en fait, dont les deux zouaves qui semblaient en savoir beaucoup plus sur pourquoi ils s'étaient retrouvés dans les souterrains. terminé, l'autre con avec ses clochettes, fini, hop,
on remballe.

mais... mais il s'est passé quelque chose, et maintenant, Mica essaye de reprendre le contact, à sa manière, dans ses vêtements de chantier blanchis par la peinture et le plâtre, en essayant de reconnaître la caissière. et quand il pense que c'est la bonne personne, il ose enfin entrer, et laisse sa trace, encore plein de poussière, jusqu'au rayon des boissons. il prend deux pack de bière, qu'il vient déposer sur le comptoir à côté de la caisse. c'est bien Charlotte Wheeler en face de lui, comme il l'a soigneusement noté dans ses contacts sur son téléphone, et, gros coup de chance, il n'y a personne d'autre à cette heure, en plein milieu de l'après midi.

bonjour. ça, heu, ça fait un moment. désolé de pas avoir vraiment répondu... il baisse les yeux, il se sent déjà un peu embêté pour son silence radio, mais avec les deux packs de bière, ça la fout carrément mal, non ? il se justifie immédiatement, un peu trop vite. heu, c'est pour mon équipe, on vient de finir un chantier.

il y a la confusion, la honte, la douleur, la peur,
mais il y a aussi ce petit sourire offert, et tout de suite des mots gentils, des mots qui ne pensent qu'à lui, et Mica a un peu moins froid que d'habitude. cette fois, tant pis s'il n'a pas son manteau.
il se demandait s'il faisait le bon choix, en hésitant devant la supérette, mais il se dit maintenant qu'il a sûrement fait le bon choix. et tant pis, si c'est le mauvais, car il se sent un petit peu mieux. un peu moins perdu. un peu moins en colère, aussi, car Charlotte a partagé la même douleur, même si elle doit sûrement en savoir un peu plus sur les raisons de leur présence là bas. même si Mica a maintenant quelques bribes... c'est encore trop dur de relier quelques points épars qui semblent trop éloignés.

ça pique encore un peu, mais ça va... un petit sourire, qui cache autant la douleur de la cicatrice dès qu'il ferme les yeux que la douleur de la honte de se faire battre par un gringalet. et toi ?

ça fait aussi plaisir, de revoir un visage connu. surtout maintenant...
est-ce qu'il devrait en parler ?
est-ce qu'il a le droit ?

après tout, la boulangère n'a pas donné le nom de Charlotte, dans sa liste du « cercle ». et puis, elle et Hego ont parlé de quelqu'un d'autre. ce n'était pas le nom d'Ange. mais... Mica a envie d'en parler. il n'a rencontré personne d'autre de ce fameux cercle, et puis, ils n'étaient pas là avec lui dans les souterrains,
ils n'ont pas saigné avec lui, en entendant ce rire grinçant.

Mica a mal vécu la soirée d'halloween, mais il se rend compte qu'il n'est pas le seul, et que Charlotte en a peut être même plus souffert que lui.

il n'en prend conscience que maintenant, et se sent coupable de ne pas avoir donné de nouvelles pendant autant de temps, d'avoir laissé le silence parler à sa place pendant qu'il pansait ses blessures et son égo avec son oncle, terré dans la demeure familiale. c'est peut être compliqué pour tout le monde, mais il réalise que ça a surtout été compliqué pour Charlotte,
et maintenant il s'en veut un peu, mais ne sait pas comment lui dire. alors il écoute.

il comprend le stress, il comprend l'inquiétude, mais il découvre la vulnérabilité. oh, oui, il s'était senti vulnérable, dans les griffes de ce « marchand », mais il sait qu'il n'était pas réellement visé par tout ça, il l'a deviné. mais elle, et Hego, si, probablement. ils ne sont pas du même « cercle », c'est bien le mot employé par mademoiselle Lumaria ? bref, pas le même groupe, et il pense à la liste de noms trop longue qu'il a entendu, il a retenu 7 autres personnes à part lui,
et Charlotte, elle, dit qu'ils en ont perdu trois.

Mica serre les poings, il veut faire quelque chose, il veut pouvoir aider, mais c'est trop tard, il n'y a rien a faire. rien à faire que d'écouter.

Ne t'excuse pas. ça lui brule la langue, mais il hésite, est-ce qu'il devrait, est-ce que c'est bien, ne lui a-t-on pas dit qu'il fallait garder ça secret ? mais tant pis, il voit Charlotte qui souffre, et il veut au moins dire qu'elle n'est pas tout à fait seule là dedans.

Je... Je suis désolé pour ta perte. il hésite, et se décide enfin. Je comprends un peu mieux ce qui s'est passé. Je comprends un peu ce qui se passe, mais... c'est si confus...

Ange n'avait pas dit grand chose. enfin, Mica ne lui avait pas laissé le temps de dire grand chose. il avait écouté, avait essayé de retenir la liste de noms, avait plus ou moins suivi, mais... dès qu'il avait pu mettre un terme à la conversation, il s'était précipité, et était parti. sans donner de nouvelles. sans contacter personne.
juste le travail, trop de travail, assez pour s'épuiser et s'endormir plus facilement.

mais une pointe d'inquiétude se réveille, au fond de lui, en écoutant Charlotte. il prend enfin la mesure de ce que son... « étoile » ... voulait dire, quand elle disait que certains lui voulaient du mal, et pouvaient s'en prendre aux humains liés aussi. à lui. à toute cette liste de noms. à Charlotte.

Charlotte, qui lui dit qu'il ne peut pas comprendre, qu'il ne comprendra jamais vraiment. que ce sont juste des mots en l'air, ce qu'il dit. qui semble même vouloir que ce ne soit qu'une façon de la consoler. ... désolé, Charlotte, mais il est maintenant enfoncé dans cette affaire aussi, et même s'il ne comprend rien, il sait maintenant qu'il est aussi concerné qu'elle. mais dans quels camps sont-ils ? devront-ils s'opposer ?

Mica a du mal a être subtil. il sait se servir de sa force, être endurant. les travaux de précision... c'est difficile. mais ce genre de discussions, c'est encore pire, alors il finit par cracher le morceau. tant pis s'il n'avait pas le droit, tant pis si c'est dangereux. il se sent perdu et confus, et peut être que Charlotte pourra l'aider.

Une étoile est venue me parler.

Mica avait besoin de parler. il fallait que tout ça sorte, qu'il se libère un tout petit peu de ce poids qui pèse sur lui depuis des semaines. mais immédiatement après sa confession, il regrette un peu, en voyant l'expression de Charlotte. mais à qui aurait-il pu en parler ? il n'était pas prêt à faire face aux autres qui font partie de son... « cercle », drôle de lexique, drôle de situation.

c'est pour ça, au final, qu'il était venu là. pas juste pour prendre des nouvelles, mais aussi pour se libérer d'un poids, pour pouvoir en parler avec quelqu'un qui semble en savoir plus, et qui a souffert avec lui.

alors même si elle semble inquiète, Mica sait qu'il lui doit la vérité. peu de temps après la soirée d'halloween... il se souvient du discours de Mademoiselle Lumaria, que sa vie était en danger, mais il se dit qu'il peut sûrement faire confiance à Charlotte. assez pour mettre de côté ces querelles célestes qui les concernent à peine, au moins le temps d'une discussion. une femme est venue me parler. pour me lier.

Mica annonce tout ceci un peu froidement en apparence, mais en vrai, il ne fait pas le fier. au contraire, il est inquiet. au fond de lui, c'est un flot de questions sans réponses, et de l'inquiétude, tant d'inquiétude et de soucis. qu'est-ce qu'il est censé faire ?

il est perdu.