il tourne en rond, Mica.

il fait le tour du quartier, observe les toitures, les façades, se demande s'il ne devrait pas laisser quelques cartes de visites dans des boites aux lettres, et repasse devant le même immeuble, qui n'a pas spécialement besoin de ses services.

les espaces verts sont plutôt bien entretenus dans ce quartier, la chaussée tient encore bien le coup, les lampadaires ne sont pas si rouillés que ça, et la peinture est plutôt bien faite sur les boîtes aux lettres de cet immeuble, non ? ah, et tiens, c'est le nom qu'il cherchait, là, sur une boîte aux lettres.
ce n'est pas le nom de la personne qu'il veut voir, mais ka boulangère lui a à peu près tout dit.

trop, et pas assez en même temps, et même s'il avait peur de tout révéler en aller parler à mademoiselle Charlotte, qu'est-ce qu'il sait vraiment, en fait ? pas grand chose. pas assez pour toutes les questions qui tourbillonnent dans le noir, dans son lit, quand il essaye de trouver le sommeil, quand la cicatrice qui s'étale sur son flanc droit le coupe le souffle d'un coup à cause d'un mauvais mouvement.

elles tourbillonnent encore, les questions, quand Mica franchit la porte de l'immeuble, après avoir demandé à quelqu'un au hasard de lui ouvrir en bas : les vraies rencontres se sont en face, pas à l'interphone. il essaye d'organiser ses pensées, de trouver quoi dire, et quoi demander en premier, mais tout est trop brouillon. il monte les marches en resserrant son manteau, aussi blanchi que ses mains par la poussière du plâtre. il n'a même pas pensé à se changer avant de venir... ce qui se passe, c'est plus important que de faire tout un détour juste pour une douche.


enfin, il y est, devant la bonne porte,
et toque énergiquement.

il n'a pas l'air vraiment à sa place sur le palier trop étroit pour sa carrure. gelé, sali par le travail, c'est sûrement une vision bien repoussante qui s'offre à l'homme qui ouvre la porte, mais Mica ne s'en soucie pas. il est là, c'est tout, et il veut parler.
Kees Vanobbergen ? déformation professionnelle, sa main tend par réflexe une carte de visite. Mica Placo. On ne se connait pas, mais mademoiselle Lumaria m'a parlé de vous.

Kees, comme il demande à être appelé, n'a pas l'air d'être surpris de cette visite, mais Mica est trop préoccupé par le fait d'avoir pu le reconnaître immédiatement sans s'être vus avant, donc il ne remarque même pas vraiment ce détail.

la liste des questions se rallonge.

Enchanté.

l'entrée n'est pas très grande, mais Mica a l'habitude, et se voute un peu sans vraiment y penser. il est surtout gêné par... son état général, en regardant la salle de bain, y comprenant une invitation plus ou moins subtile.

désolé. il essuie ses pieds du mieux qu'il peut sur le paillasson et se dirige directement vers la salle de bain, les bras soigneusement gardés le long du corps pour ne rien salir ou ne rien renverser. Un verre d'eau s'il vous plait. il se lave soigneusement les mains, mais garde son manteau, peut être car il a encore trop froid, peut être pour se protéger.
se protéger de quoi ? mademoiselle Lumaria lui a dit qu'il pouvait lui faire confiance, et il le sent, au fond de lui.

mais il se sent vulnérable, là, debout dans cette pièce remplie d'œuvres d'art, face à cet homme qui semble en savoir tellement plus que lui. il n'aime pas ça, Mica, cette sensation d'être perdu. d'habitude, c'est lui qu'on écoute. c'est lui qui décide, qui choisit comment on s'y prend, qui surveille, qui conseille. là,
il ne peut que s'asseoir, gêné.

J'ai beaucoup de questions.

« J'espère avoir des réponses. »
la façon dont Kees répond arrache un faible sourire à Mica.

il n'est pas à sa place, ici, et pourtant si, toujours un peu vouté sur la chaise, mal à l'aise. alors il prend le verre d'eau, comme un pilier, comme un moyen de combler le silence. il boit deux gorgées, c'est une excuse pour ne pas parler tout de suite.

le temps de rassembler ses pensées. de se rappeler ce qu'il a retenu de sa courte discussion avec Ange Lumaria. à vrai dire... à ce moment, il n'avait pas très envie de savoir tout ça. il l'avait laissée parler, avait hoché la tête et puis... dès qu'elle avait fini, il l'avait remerciée et était parti. toutes ces choses, ça lui faisait trop penser à cette soirée dans les souterrains, la soirée à laquelle il ne faut pas trop penser, alors il avait essayé d'enterrer tout ça au fond de son esprit. jusqu'à ce qu'il ne puisse plus faire semblant, jusqu'à...

Que c'est une... une étoile, il répond enfin. ça semble fou. c'est fou. pourtant ils sont là, réunis dans ce salon qui sent la glaise et la térébenthine, réunis pour discuter précisément de ça. Qu'elle se lie à des humains pour la protéger. Moi. Toute une liste de noms... dont le votre. Et qu'il y en a d'autres, qui veulent lui faire du mal.

il baisse les yeux sur ses mains, elles tiennent toujours le verre. certains sont déjà morts pour ça, Charlotte le lui a dit. ça ne fait pas peur à Mica, et s'il est convaincu, il portera fièrement le poids de cette nouvelle responsabilité. mais pour ça, il a besoin de comprendre.

Ça fait combien de temps que ça dure ?

Mica ne pouvait pas le savoir, mais il venait visiblement de briser le barrage. les mots surgissent et emplissent la pièce, et lui, il écoute comme il peut, et coule.

il essaye vraiment de suivre et de comprendre, après tout, de ce qu'il a compris en parlant à Charlotte, sa vie est maintenant en danger, alors ces informations sont cruciales. mais c'est dur ! il y a trop de choses. alors les yeux de Mica se perdent sur les œuvres de la pièce, sur les poteries et les peintures, pendant qu'il continue d'écouter, d'une oreille. tout ce qu'il retient, ce sont les morts.

cinq personnes.
une enfant.
l'ancienne hôte.

est-ce que les étoiles n'apportent que la mort sur Terre ? est-ce que c'est ça qui l'attend, maintenant ? risquer sa vie, et celle de ceux autour de lui ? ... s'attaquer à d'autres... ?

J'ai failli tuer quelqu'un.

c'est sorti tout seul.

il ne voulait pas vraiment en parler, mais les mots sont sortis tout seuls, lui ont échappé.
c'est ça, qui le préoccupe vraiment. c'est ça, qui l'a poussé à aller toquer ici, chez Kees Vanobbergen, pour lui réclamer des réponses, mais il s'est retrouvé noyé sous les mots, englouti par des choses qu'il comprend mal. ce qui l'inquiète, c'est juste ça.

il finit son verre d'une traite, le pose, et continue :

Un des employés, ça... peut arriver qu'on en vienne aux mains. je mesure toujours ma force. Il a presque volé jusqu'à l'autre bout de la terrasse. C'est aussi à cause de... le nom est si étrange, c'est dur, d'accepter que deux personnes partagent un corps. ... Cursa ?

une
particularité
surnaturelle.

super. une « particularité surnaturelle ». avec laquelle il a failli tuer quelqu'un.
et là, c'est une grande énumération, encore dure à suivre, après les nom des liés et puis les noms des autres étoiles, voila à nouveau tous les liés, et leurs pouvoirs respectifs. Mica est à nouveau perdu, noyé sous les informations qu'il doit retenir, alors il ne mémorise rien, et se contente de regarder le jeu de l'eau entre les doigts de Kees, impressionné. l'eau qui finit jusque dans son verre, et même s'il a la gorge sèche en comprenant qu'à partir de maintenant il devra toujours retenir le moindre de ses gestes par sécurité, il ne boit pas.

de toute façon, il n'a pas vraiment le temps de penser à ça, car il y a encore autre chose à comprendre, leur lien, et Mica espère que c'est bien la dernière chose à savoir. au moins, il comprend un peu mieux pourquoi il sait immédiatement que tout ce que dit Kees est la vérité, pourquoi il boit ses paroles sans hésiter, pourquoi il a cru mademoiselle Lumaria, aussi, même s'il avait envie de fuir.


il a encore envie de partir. un regard vers l'entrée, Mica hésite réellement, un regard vers son verre, que faire ? il n'a jamais demandé tout ça.

il n'en veut pas.

et pourtant... il sent cette main posée là sur son bras, entend le mot « faiblesse », et s'il y a bien une chose qu'il n'est pas, c'est faible. il regarde cette main, si petite comparée aux siennes, rugueuses et grossières. si c'est son nouveau travail de protéger cette fille, il le fera, avec toute la force qu'il a. c'est son rôle, celui d'être fort. il le fera. d'accord. on ne lui a jamais demandé son avis, mais c'est maintenant qu'il accepte vraiment.  d'accord, je retiendrai ça. je vous protégerai.

en lui, il sent une émotion qu'il ne peut nommer. une bouffée de quelque chose, qui l'avait déjà pris à la gorge, il y a très longtemps, devant l'autel, en jurant protection et fidélité, en la regardant dans les yeux.
il jure à nouveau, même si le regard qu'il fixe est ambré, même si ce ne sont pas les yeux bleus.

est-ce que c'est car Mica vient d'accepter son sort ? il se sent étonnement bien mieux que lorsqu'il avait toqué à la porte, bien mieux que toute cette semaine éreintante, bien mieux que depuis que mademoiselle Lumaria lui avait dit toutes ces choses qu'il avait voulu refuser.
bien mieux, si bien qu'il renvoie même le sourire de Kees, et il fait un vrai sourire, sincère, croix de bois, croix de fer.

il est même assez à l'aise pour hocher la tête quand son hôte suggère qu'il l'a un peu assommé avec tout ce qu'il faut savoir de sa nouvelle condition.  c'était beaucoup, oui... mais ça ira. un haussement d'épaule, accompagné d'un autre sourire. au pire, je serais les bras, et vous la tête. j'ai l'habitude.

à travers son manteau, il sent à peine la paume de Kees, et pourtant il a l'impression d'être un peu réchauffé, juste à cet endroit précis, à travers les couches de poussière et de laine. il se demande si c'est ça, ce fameux lien dont il parlait, si c'est bien cette chose qu'il sent là, et qui dissipe sa confusion. oh, il est toujours largué, mais... il se dit que ça va aller. c'est peut être aussi ce « lien » qui le pousse à accepter l'invitation.

ça, où le fait qu'il n'ai pas envie de rentrer chez lui, et se retrouver à nouveau seul avec ses pensées, ses questions, et ces nouvelles informations.

je veux bien boire, si vous avez... quelque chose de plus fort ? un autre sourire, un sourire complice.

tout le monde est perdu, et dans cette histoire aux proportions cosmiques, Mica se sent fourmi.

ce n'est pas exactement la première fois qu'il se sent prit dans un torrent où il est impossible de nager contre le courant, mais c'était simplement une histoire d'Hommes. des salles d'interrogation crasseuses dans le commissariat, des rendez vous sans fin avec des avocats, abreuvé de charabia juridique incompréhensible. ... cette fois, au moins, il peut se défendre lui même.

mais plus le temps de se morfondre sur des souvenirs douloureux, car son hôte revient, avec un autre verre et une bouteille que Mica regarde, un peu étonné. je ne connais pas, mais... va pour ça. il sourit. il est si loin de tout ce qu'il connait, dans ce qui semble être un studio d'artiste, à boire des alcools inconnus, mais il n'est plus si confus.

il trinque et boit, za vaché zdarovié, trois gorgées d'une traite, il n'est pas habitué au goût de l'anis, mais pourquoi pas. ça n'est pas si mauvais... et ça réchauffe, oh, qu'est-ce que ça réchauffe les tripes. il ôte même son manteau, et accepte la feuille tendue, qu'il glisse dans une des poches intérieures, moins abimées que l'extérieur.

merci. je réviserai plus tard... un autre sourire blagueur, puis il montre du doigt toutes les oeuvres inachevées qui sont dans la pièce. c'est toi qui a fait tout ça... ?