« Oh, vous deviez me raconter une anecdote sur le tournage de Captive ! d'un pirate, je l'attends toujours ! J'espère que tout le monde a vu la première saison, mais moi je l'ai dévorée. »
Tu souris, plus encore, crispée, souris encore et les fils qui te retiennent vont finir par céder, tu vas finir par exploser, imploser, ou les deux à la fois. Machinalement, ta main vient chercher celle de Lyon, là, posée là sur sa jambe, trois fois tu appuies ton pouce contre sa paume. N'y voyez là pas de douceur, juste une façon de lui dire réponds j'ai besoin d'air.
D'habitude tu lâches sa main, après ça, mais pas cette fois, tu es presque sûre qu'elle va enchaîner les questions, et il faut toujours plus de détails plus d'infos sur votre vie personnelle, sur les tournages. Quelle tête elle ferait si elle savait que t'as une immense gueule de bois parce que t'as bu tout ce que tu pouvais seule dans ta cuisine impeccablement vide, la veille au soir ? Quelle tête elle ferait, tu te demande.
Presque sûr d'avoir refusé, presque sûr d'avoir repoussé l'entrevu. Mais il faut avouer que ces derniers mois, tu as plutôt la tête ailleurs. Le retour de Fauve, par exemple, ou bien ta dernière entrevu avec Spica et Ruvik, pour ne citer que ça. Tes doigts te démangent, et malgré tous les conseils de ton étoile, tu n'arrives pas encore à te débarrasser de ce sentiment d'impureté qui te ronge les entrailles. Tu es un gouffre à vie, et tu peux encore sentir chacune d'entre elle gigotait comme des vers à l'intérieur de toi. Elles ont pourtant été transférées ou perdues, mais leurs marques d'agonies restent comme gravés sur tes os.
Vous vous retrouvez donc là, Dahlia et toi, l'un à coté de l'autre, cadre parfait d'un duo parfait dans une série parfaite. Tout n'est que sourire, bavardages et légèreté. Pourtant chacun de tes mots est méticuleusement réfléchi. Chaque regard et chaque geste sont le fruit d'un calcul évident. Donna McKlei s'essaye à une plaisanterie avant que ne se lance les cameras ? Tu y réponds complaisamment, cherchant à la faire rire. Elle se prend au jeu et par réflexes, tu te retournes vers Dahlia, cherchant cette complicité maintenant artificielle, mais depuis quelques semaines maintenant, la jeune femme s'efface, sombre et ne réagit plus. Ô, pas pour Donna - ou tous les autres- qui n'y voient que du feu, mais pour toi... de minuscules détails te sautent aux yeux.
Sa main venant saisir la tienne le confirme. Ce genre de geste est devenu rare et, sans pour autant le montrer, cela te surprend. Vous avez ces codes d'enfants perdus, ces petites attitudes rien qu'a vous qui malgré les années, sont restés. Mais la complicité elle... n'est plus. Tu serres sa main et tu peux sentir l'une des caméras lécher cette étreinte avec gourmandise.
Hah, merci, c'est un véritable plaisir de travailler sur cette série. Vraiment. Je pense que toute l'équipe ne s'attendait pas à un tel succès pour la première saison. Ne rater surtout pas la seconde, je vous assure qu'elle sera encore meilleure. Tu te tournes vers Dahlia, lui partage un de ces sourires bizarres qui se veut d'apparence complice, bien scintillant, bien charmeur, comme tu l'a appris. Tu fais tout pour la couvrir, n'arrivant surement pas a lui dissimuler une inquiétude irritée. Tu commences a rire, attirant toutes les attentions, laissant de l'air rouler dans ta gorge, semblant pensif.
Alors, tu t'appliques à fleurir de détails pompeux votre dernier entrainement à l'épée. Les échanges preux et durs de l'amiral Belligrad face au fourbe et déstabilisant Reaver. Tu apprends vite, mais l'interprète de l'amiral l'est tout autant, si ce n'est plus, et bien vite ce qui aurait dû rester un simple entrainement s'est métamorphosé en véritable tournoi, où - pour ton plus grand malheur- tu n'en ressortiras pas vainqueur.
Tu finis en parlant directement à la caméra, l'air faussement déterminé.
Si tu vois cette interview Wilhelm, tiens-toi prêt pour la revanche ! Tu mens comme tu respires, malgré le fait que tu sois mauvais perdant, tu ne tiens pas particulièrement l'autre comédien en estime. Moins tu le croises, mieux tu te porte. Ainsi, tout est léger, et tout le monde rigole. Mais tu es crispé. Crispé par cette ambiance qui s'apaissi, par la main de Dahlia qui se fait lourde dans la tienne.
«Ohoh ! Que j'aurais voulu me faire petite souris pour voir ça ! Mais parlons en justement, de Reaver & Belligrad. Dahlia, si vous deviez personnellement choisir lequel serait plus à même d'être l'élu de votre cœur ? »
Ta main fuit celle de Dahlia pour mieux la reprendre. Du pouce, tu en caresses le dos de sa main. Ce n'est rien d'autre qu'un énième code, un simple tiens le coup. Après tout, ils ne peuvent vous garder ici qu'une petite heure.
(c) SIAL
McKlei te réaligne dans sa ligne de mire, tu sais ce qui t'attend, cette question qu'on te pose sans arrêt. Tu sais ce que tu dois répondre, mais parfois tu te perds dans la question, ces questions que tu te poses vraiment et qui ne sonnent plus si faux. La main de Lyon est chaude sur la tienne, si chaude qu'elle te brûle, et tu voudrais la fuir, et tu voudrais la fuir et tu voudrais fuir, prendre tes jambes à ton cou, t'enfoncer dans ce siège trop cher et disparaître, les rejoindre, mais. Mais, c'est ton travail. Alors tu souris et tu te défais de cette main, sans doute un peu trop brusquement.
— Oh vous savez, Donna, c'est un peu choisir entre la peste et le choléra.
Tu dévies du chemin tout tracé, te perds dans les sous-bois dangereux. On te tapera sûrement sur les doigts ce soir, et tu ignoreras les messages.
— Comprenez que les deux ont de sacrés torts, tout de même. Enfin, pour mon cas... Il faudra sûrement attendre la prochaine saison pour en savoir un peu plus. Ou la semaine prochaine, où sera lancé la chaine Youtube du Behind the Scene !
Tu sais qu'un peu de pub pour la-dite chaine pourra te mettre dans les bonnes grâces de ton manager et du producteur. Avec un peu de chance, tu pourras échapper aux remarques encore ce soir. Tu jettes un regard à Lyon, puis à McKlei, puis au producteur de l'émission, puis à l'horloge digitale, derrière.
« J'ai vraiment hâte de voir ça, comptez sur moi pour ne manques aucune miette des anecdotes croustillantes du tournage. Je vois que nous avons encore un peu de temps pour une dernière question, alors c'est le moment de vous demander, enfin, la question que nous nous posons tous : Vous deux, il y a quelque chose ou toujours pas ? Vous avez presque grandis ensemble, sur les tournages d'Entre les mondes, et vous semblez si bien vous entendre, comprenez qu'on finisse par tous se poser la question ! »
Autrefois, il y avait un code de détresse entre vous, à n'utiliser qu'en cas d'extrême urgence, et présentement, c'était un cas d'extrême urgence. Mais cette question était récurrente, tu n'avais simplement pas du tout envie d'y répondre, pour l'instant, alors, tu pouvais être injuste et faire payer Lyon pour des choses dont il n'était pas responsable.
— Hé bien, Lyon, où est-ce qu'on en est nous deux, c'est le bon moment pour officialiser, non ?
Tu ris, c'est nerveux, des larmes plein les yeux, mais elles ne couleront pas, elles ne coulent jamais. Tu poses ta main sur son épaule.
— Je plaisante, évidemment, je plaisante !
Dahlia fait des efforts. Mais ce n'est pas assez. Ce n'est jamais assez. Elle ne parvient pas à te duper. Où peut-être te passes-tu des films en boucle, des espèces de court-métrage où tu es le héros, le seul. Une sorte de clip où elle doit te subir, toi, le pire des protagonistes... Peut-être que tu crois en des choses qui n'existent pas. Peut-être qu'elle n'a pas besoin de toi.
Mais tu as ce sentiment si profondément ancré dans l'âme que l'ignorer te donne la nausée. Et pourtant Dieu sait que tu aimerais t'en détacher. Tu n'arrives pas à l'oublier. À vous oublier. Loin est le temps où l'un ne marchait pas sans l'autre, où tout était Dahlia ceci, Dahlia cela... Des temps d'enfants qui te semblent si lointains... que tu en viens à te demander s'ils ont vraiment existé.
Ta réalité a un drôle de goût. Il faut avouer que tu donnerais n'importe quoi pour que Fauve sorte de la lentille de la caméra et t'embarque dans le monde miroir. T'as envie de voir débarquer Priam, pour qu'il te sauve la mise en demandant à tout le monde de sortir. T'as envie de croiser la mort, pour retrouver un semblant d'existence. T'as peut-être même envie de placer tes mains contre la peau mate de McKlei et d'en retirer le sourire d'une caresse. Bizarrement, tu n'as aucun mal à imaginer son teint blêmir, ses épaules s'affaisser et son cou basculer sur le côté, vidé de toute vie.
Car elle n'a pour toi que l'utilité d'une plante verte.
•••
Une main sur ton épaule. Un rapide retour à la réalité. Tu soupires, esquissant un faux sourire.
Toujours cette même question. Je pense que cela vous ferez trop plaisir que je dise la vérité, je vais plutôt m'en tenir à garder une certaine forme de mystère. Tu sembles... agacé, mais pour les cameras tu aiguises un clin d'œil charmeur. Ce n'est pas la première fois que la question revient sur le tapis, ni la dernière pour être honnête. Mais depuis quelques années maintenant elle sonne de plus en plus comme un galet dans une mare. Lourde et dénué d'intérêt, si ce n'est d'éclabousser. Tu viens poser à ton tour une main sur celle de Dahlia et en profites pour te lever. Et puis, hélas pour vous. Au même instant, ton téléphone se met à sonner. Le timing est mauvais. On doit partir.
Tu attends que Dahlia se lève, et finis par sortir à sa suite, ignorant simplement l'appel du bout des doigts. Tu observes ta collègue, que tu as pourtant encore envie d'appeler amie, mais t'y résous d'un grognement, sentant une vague de colère te croquer la tête. Sur le chemin vers vos loges, dans ce couloir noirs au tapis rouge, des mots s'alignent.
Tu veux pas m'en parler ? Un peu comme on faisait avant. Si j'ai bien compris t'as déménagé. T'es allée où ?
Parle moi.
(c) SIAL
Peut-être qu'il s'en fiche.
Tu soulignes, un poil d'agacement dans la voix. Il a l'air de ne pas savoir, mais tout te hurle qu'il sait déjà tout. Tu ne connais personne qui ment mieux que Lyon. Tu te laisserais avoir par toutes ses interprétations, alors comme savoir quand c'est vraiment lui, et comment savoir s'il y a vraiment un lui, autre qu'un prénom et un nom. Un prénom et un nom, ça ne veut rien dire.
Tu veux le repousser, même, tu veux l'attaquer de plein fouet, tu rêverais de le faire, tu as tellement de moyens, il te semble. Pourquoi est-ce que tu disparais sans explications pendant des jours, pourquoi tu n'es pas toujours là aux répétitions, pourquoi tu guettes ton téléphone tout le temps, pourquoi tu n'es plus toi même - je n'sais pas qui tu es - pourquoi pourquoi pourquoi Lyon ? Porte des loges close derrière toi, tu fais volte face pour attraper ses poignets et y planter tes ongles. Il n'y a personne d'autre que vous. Il faut te le répéter au moins dix bonnes fois dans la tête pour que ça rentre. Il n'y a personne.
Parle-moi.
Je t'en prie, parle-moi.
Tu as le rugissement noué dans la gorge et tu fais tout pour te calmer, pour avaler le poisson de ta salive.
Et maintenant, tu es où ? Des mots qui s'échappent.
Où est-ce que je pourrais te trouver ?
Avant on se disait tout. Tout. Tout le temps.
On savait redevenir nous-même.
On savait se retrouver.
On savait ramener l'autre vers la lumière.
C'est con parce que, c'est le moment parfait pour couper les ponts. Pour lui dire d'aller se faire foutre, pour l'oublier, pour la laisser dans son coin et dans ses problèmes, pour l'épargner de tout le reste. Tout te cri de la laisser là, d'hausser les épaules et peut-être même d'en rire, de la blesser si profondément qu'elle en serait crucifiée.
Mais tu as ce nœud de cœur qui jamais ne te lâche.
Et secrètement, tu fais le vœu que ses ongles dans ta chaire y restent pour toujours. Tu as le dos qui doucement se pose contre la porte, comme pour prendre tes aises, laissant tes nerfs couler le long de ta peau. Pas un bruit, juste le sifflement des néons de votre loge pour accompagner tes mots.
Ma mère. Que j'ai tué.
Toi.
Spica.
Le cercle.
Moi.
Eux.
Mais on s'en fout de moi. Tu ramènes tes bras vers toi, essayant de forcer Dahlia à se rapprocher. Que son emprise sur toi soit son propre piège.
Qui t'a fait ça ?
(c) SIAL
Parce que personne ne t'aimera jamais, Dahlia
Personne ne t'aimera jamais comme je t'aime, Luci
Et surtout pas Lyon.
Il parle de sa mère, elle est morte. Tu meurs d'envie d'écraser tes mains sur sa bouche pour le faire taire. Ne parle pas de ça, ne parle pas de ça, ne parle pas de ça. Tu n'as pas le droit Lyon ! Mais il balaye aussitôt la remarque et te ramène à lui, tu vas pour lui dire de se taire mais quelque chose t'en empêche. Tu frissonnes de tout ton être, parcouru par un courant électrique et glacé.
nous
Y a-t-il encore un nous, Lyon ?
Tu heurtes son corps avec le tient, ne cherche pas à l'esquiver. Ton front heurte son menton, tu t'échoue contre son épaule et soupire. Ce n'est plus du cinéma. C'est juste toi, et lui, loin des caméras et des journalistes. Tu ne trouve rien à ressentir qu'un grand vide, un vide si immense qu'il pourrait aisément vous engloutir tous les deux.
Plus importants que toi, c'est ce qu'on t'avait bien fait comprendre. Tu fermes les yeux, enfonce tes ongles dans sa main. Tu ne veux pas la quitter, tu ne veux plus te passer de sa chaleur.
Tu ne veux pas perdre ce qu'il te reste.
Et,
peut-être que
tu ne veux surtout pas
le perdre lui.
((86))
Je viendrais te voir.
Voilà que cela reste bloqué. Bloqué au fond de toi, impossible de parler, de lui dire. T'as envie de croire qu'elle le sait déjà, qu'elle s'en doute un peu.. juste un peu ou peut-être qu'elle se l'imagine.
Il y a comme un gouffre qui vous sépare, tout un monde. Le tien, le sien, sans doute deux opposés qui ne peuvent s'entrelacer. Est-ce que ça a toujours été ainsi ? Est-ce que depuis le début tout été écrit pour vous séparer?
Tu doutes de tout
et surtout de vous.
Il n'y a jamais eu de vous.
Des vous, ils n'en existent que dans les films.
effervescence éphémère.
Tu l'attires vers toi. Elle s'y heurte. Ce qui vous reste de vous-même avait à tour de rôle brulé l'un puis réchauffé l'autre, comme ce feu qui torture ou conforte. Il vous fallait trouver un juste milieu. Il vous fallait trouver une réponse, la réponse. Tu aimerais qu'elle te brûle jusqu'à l'os et à l'inverse que tu sois une flamme solennelle auprès de laquelle elle pourrait toujours venir s'y réchauffer.
Alors tu écoutes. Tu écoutes ce que tu sais déjà et ça te blesse, ça te fait mourir un peu. Ça te rend fou.
et tout se met à gronder à l'intérieur de toi. Quelque chose se brise.
Craquements. Déchirements.
Ça frappe et des grincements horripilants de cœur résonnent. Tu veux lui enlever ça, lui ôté tout ça du corps et de l'esprit. Qu'elle oublie. Tu veux tout gratter, écorcher, démantibuler ce qui la ronge. Tu veux dévorer son mal comme une vulgaire bête.
Il n'y a que des odieux échos de mastication et son nom qui s'entremêlent dans ton esprit.
Pulsation. Main qui se lève.
Un cœur qui en appel un autre.
Main qui se baisse, qui touche.
Petite lumière écarlate qui lèchent tes doigts.
Tu la tuerais ?
Tu la tues ?
Non...
Attends.
Non je-
Non.
NON.
Non non non non non non non non !
Pas elle.
TOUT MAIS PAS ELLE.
(c) SIAL
Sous le choc d'une sorte de trahison ?
Non, non.
Tu as la sensation qu'il veut aider, tu as la sensation qu'il chercher à exorciser le mal.
Et l'instant d'après tu ne sens plus rien. Plus rien d'autre que l'engourdissement de tes membres et le son ténu de la voix de Lyon, tu ne sais pas ce qu'il dit, ni pourquoi il a l'air si inquiet, tu n'entends rien. Et tu as envie de lui dire haha Lyon parle plus fort j'entends rien mais tes lèvres ne veulent pas bouger, tout est si fatiguant tout est si difficile, tu te sens t'écrouler, sur lui, loin de lui, quelque part dans la pièce, tu ne sais pas. Tu ne sais pas si ta tête heurte le moindre meuble, il ne te semble pas ? Tu en sens rien, que vaguement la moquette du sol qui amortit ta chute et le noir de la pièce
qui a éteint la lumière
ne me laisse pas ne me laisse pas ne me laisse pas ici lyon par pitié