roi du barbec' —

Ah tu n'as pas été aussi heureux depuis des siècles ! Enfin, depuis ton arrivée à la capitale. Ton retour, serait plus juste. Tu te prends pas trop la tête avec les chasseurs, Hazel a décidé de calmer son slip, tu as pris des vacances d'Athéleïs, et votre relation va bien mieux. Tu dors dans une chambre confortable, chez une personne que tu apprends à apprécier un peu plus tous les jours : Charlotte. Ta pauvre petite Charlotte est dans un sale état, et même si tu sais tout à fait pourquoi, tu as fait promettre à Prudence de ne rien dire, même si elle n'a pas eu besoin de beaucoup de motivation. Charlotte fait partie de la famille, après tout.

Bref, adossé contre la baie vitrée du côté extérieur, tu grilles tranquillement tout ce que tu peux griller sur la grille graisseuse du barbecue bon marché, empilant distraitement merguez et autres légumes bien grillés dans un grand plat. Il y en a pour tout l'immeuble, peut-être même pour tout le quartier.

Tu n'as pas envie de penser aux épreuves qui vous attendent et à celles que vous avez déjà vécu. Tu n'as pas envie de penser aux funérailles de ton vieil ami Andromède, où tu te tenais en retrait, des sanglots dans la gorge. Tu n'as pas envie de penser à tous ceux sur la liste, qu'il faudra bien chasser à un moment où à un autre. Tu n'as pas envie de penser aux petits monstres de Charlotte, ou plutôt tu veux penser à leur retour, dans une maison conviviale, pleine de vie avec une mère heureuse et rayonnante. Comme ça devrait se faire. Comme ça doit se faire.

Ramenez vos fesses les filles, je veux savoir si c'est assez cuit pour vous ! Tu chantonnes, sifflottant gaiement alors que tu enfumes le salon via la porte vitrée, et que tu enfumes aussi sûrement tout le quartier.

roi du barbec' —

C'est fou ce que Charlotte te fait de la peine. Tu n'es pas complétement stupide, tu sais que vous y êtes pour quelque chose. Toi, Prudence, et toute cette affaire de chasseurs et d'étoiles. Sans savoir que ta petite Charlotte est impliquée là dedans, tu sais qu'elle a poussé ses enfants à partir parce que la situation devenait dangereuse. Inconsciemment, tu sais, peut-être, mais si tu ne formules jamais la pensée, tu n'auras jamais à affronter les conséquences de celle-ci, pas vrai ? Bref, ce n'est pas le moment de penser à ça.

Eh ! En plus tu oses te plaindre ! Tu as le roi du barbec' sur ton balcon et tu oses te plaindre ! Non mais je rêve. Léger rire amusé, tu entends un voisin glousser en t'entendant, supposes que tu en fais sûrement un peu trop. Depuis que vous êtes arrivés, tu as commencé à réparer et bidouiller nerveusement tout ce qui posait problème à la petite Charlotte, et même si maintenant vous êtes un peu plus à l'aise l'un avec l'autre, la situation est toujours sacrément bizarre. Tu essayes de ne pas penser à ce qui peut se tramer dans sa tête. En parlant de ça tu prendras pas peur mais j'ai décroché le truc à la con qui bipait sans raison. Tu désignes le détecteur de fumée sur la table du salon, les piles à côtés. Ça avait été un combat acharné mais tu avais gagné. C'est quasi prêt, tu veux qu'on s'ouvre une bière ?

Tu te demandes quand même où était Prudence, sûrement quelque part dans la chambre où vous dormiez, ces derniers temps elle était spécialement épuisée et inquiète.

roi du barbec' —

Une bière, une merguez, un bout de pain et Charlotte pas loin, ça te semble être tout de même la bonne combinaison pour une bonne soirée. Bien sûr, tu essayes de ne pas penser à tout ce qui ne va pas dans cette putain de ville, de l'incarnation de ces fichues étoiles à la mort de l'hôte du cercle de Prudence, tu essayes de ne pas penser aux petits qui sont loin de chez eux, et à ceux sur lesquels Athéleïs, Zalera et Hazel sont passés tout court.

Merci ma p'tite Charlotte, tu gères. Tu lances, donnant un petit coup dans la fumée pour la chasser un peu maintenant que tout est cuit, le temps que les braises meurent tranquillement. Tu l'observes, ce petit brin de Maman paumée, et soupire faiblement. Eh, elle va bien, elle a juste besoin de se reposer. Tu essayes de ne pas penser à tout ce qui arrive et à te contenter de penser à la suite, à la fin, pas la mort mais avant, quand tout ira bien et que vous pourrez fêter vos victoires sur la vie. (Même si au fond tu n'y crois pas. Tu ne crois plus à rien, surtout pas à votre liberté, surtout pas au fait de survivre.)

Si elle se pointe pas pour manger, t'inquiète, y en a assez pour nourrir le quartier, alors on se contentera de lui en donner plus tard. Tu lui donnes une petite tape sur l'épaule avant de lui sourire. Tu sais que ça ne va pas, qu'aucun de vous ne va, mais si vous faites tous semblant, peut-être que vous pourriez finir par ressembler à une vraie famille ? Je sais que j'ai bidouillé un max de trucs chez toi, mais est-ce que je peux faire quoi que ce soit d'autre pour t'aider ? Tu penses à l'énorme somme que tu caches quelque part, fruit d'un héritage de longue durée, tu es passé voir un connard de notaire dans la semaine, en cachette, histoire de t'assurer que s'il devait t'arriver quelque chose, Charlotte récupère tout. Tu veux pas que ce gouvernement de connard s'engraisse d'un centime sur ton dos.

roi du barbec' —

Tu la regardes manger sans appétit, mais au moins elle mange. C'est déjà un début. Que diraient les gamins si tu leur rendais leur mère toute sèche et toute maigre. Non, non, ce n'est clairement pas une option ça. C'est évident qu'avec le temps, Charlotte a fini par s'attacher à Prudence, et l'idée qu'elle puisse se faire des amis en ville - oh, en soi, tu le savais déjà, elle t'en avait vaguement parlé - te serrait le cœur. Prudence ne pourrait jamais rentrer au village, il n'était pas trop tard pour s'intégrer à la capitale. Même si, dans l'absolu, tu aurais préféré que vous vous trouviez un coin tranquille quelque part, pourquoi pas vers les campings de Pulsar dans lesquels tu avais sûrement encore des dettes et jamais remis les pieds, ou dans un bled paumé comme Parsnip ou Pleurallis. N'importe où ailleurs qu'ici. Était-ce même possible ?

T'en fais pas, si y a un 'blème je serai le premier à te le dire. Si ça ne concerne pas les chasseurs, ni les liés. Ni rien qui puisse te mettre en danger, gamine. Elle te souligne que tu as réparé tout ce qui était possible de réparer ici, et tu grommelles quelque chose en rajoutant de la moutarde dans le monticule de ketchup et de gras - du bon gras, tu te défendrais. Eh, je fais juste ce que je peux. Un silence. Enfin, chacun fait ce qu'il peut, j'imagine. Tu ricanes, mais le cœur n'y ai pas vraiment.

Un regard vers le couloir, vers la chambre où Prudence doit sûrement roupiller tranquillement. Tu sais, je t'en ai que vaguement parlé, mais elle vient d'un village dans les Astrales. Tu ne sais pas comment aborder le sujet, mais tu as baissé le ton. Si elle t'entend, cette discussion n'aura plus lieu d'être. Elle pense qu'elle est bannie de là bas, parce que quand tu pars, tu peux pas revenir. Le truc, c'est que son père était le chef du village, il est décédé peu après qu'elle soit partie, et c'est en partie pour ça qu'on m'a envoyé la chercher. Mais vous ne pourriez jamais rentrer, dans tous les cas, alors pourquoi lui dire. J'ai pas trouvé la force de lui dire, je sais pas comment je vais le faire.

roi du barbec' —

Charlotte est un amour. Revoir Danh, que t'avais vu à Polaris si petit qu'il pouvait à peine atteindre les coins de table, c'était quelque chose, mais rencontrer Charlotte, c'était autre chose. T'en avais juste entendu parler, de ce brin de fille, et cette fille là, tu aurais tout fait pour que ça aille dans sa vie. Tu aurais bien aimé commencer par rencontrer ses mômes, les couvrir de cadeaux, leur apprendre à tirer - on est astérien ou on l'est pas - et leur faire faire du camping - sauvage, pas le camping de plouc en bungalow. Mais tu étais arrivé trop tard. Tu te raccrochais encore et toujours au fait qu'il y aurait, de toutes façons, d'autres occasions. Quand tout ça finirait par se calmer, sans doute.

T'inquiète ma grande, on a d'autres choses à penser, ça occupe. Sourire amusé, feint sûrement, après tout tu n'as pas envie de penser en détail à ce à quoi vous devez respectivement penser, dans cet appartement. Ici tu as pris le temps de te détendre, depuis la première fois depuis que tu étais arrivé du village. On va déjà commencer par bien grailler comme il faut, et ensuite on boira un coup. T'en dis quoi ?

Et le fait de se faire traiter de boomer, sérieux, tu n'avais pas envie de revenir là dessus mais... Et ta p'tite Cora, si je la prends en train de me traiter de boomer, je lui ferai comprendre par a + b comment c'était mieux avant, ok ?