Ce n'était pas inhabituel pour toi de te retrouver dans un endroit aléatoire sans savoir ce que tu faisais l'instant d'avant, mais là l'occasion était spéciale. Tu avais ouvert les yeux en panique à l'entente du coup de feu et t'étais redressé - pour immédiatement rechuté sur les genoux, désorienté à cause des ténèbres autour de toi... vous ? Είναι κάποιος εκεί ? tu avais bafouillé, paniqué. Attendez une minute. Αντρέα ? Tu avais appelé Andrea ensuite, plus timide.

Le bruit me tire d'un sommeil dans lequel je ne me souviens pas avoir sombré. Je ne sais pas où je suis, l'obscurité est impénétrable, suffocante, et l'écho dans mon crâne et les chiens qui hurlent et un mouvement près de moi soudain une silhouette la peur me prend à la gorge et je

– Vassili? C'est toi?

Oh le con, je viens de frôler la crise cardiaque, qu'est-ce qu'il a encore foutu? Je tâtonne autour de moi, le lieu où nous sommes ne ressemble pas à ma chambre, ne ressemble pas à une chambre tout court, il fait froid, humide, l'odeur est désagréable, le sol dur. Drôle de soirée pyjama.

– … Waar zijn wij?

Vois le bon côté des choses, Vassili. C'est peut-être la fin du monde, mais au moins, c'est la fin du monde entre amis. Quoi de mieux finalement. Tu expires un soupir soulagé en entendant la voix de Kees - soupir que tu ravales en entendant la voix d'Andrea. Ah, elle est là. Tu te tends mais ne pipes mot. L'obscurité joue en ta faveur. Tu vas chercher sa main dans la nuit. Bon, essayons au moins de rester ensembles... il n'y a que nous ?

Pour la première fois de ma vie, entendre la voix d'Andrea m'est insupportable.
Je sais ce qu'il se passe. J'ai compris. J'ai voulu croire, dur comme fer, que tout cela n'arriverait jamais, que le Destin nous oublierait tous les trois. Ou au moins qu'il l'épargne elle.
Nos trois mains se rencontrent. Dans d'autres circonstances, ça m'aurait fait rire. Une belle brochette d'imbéciles.
– Nous trois, contre le monde.
Je vais pour prendre mon téléphone dans ma poche mais les aboiements qui résonnent tout autour de nous m'en dissuadent. Pour vivre heureux, vivons cachés… au moins pour l'instant.
– Une idée d'où on est?

Ce n'est pas que tu as envie de pleurer, mais honnêtement, ta matière grise se fait faible et tu as peur d'oublier en cours de route ce que tu fais là. Non, non. Tant que tu restes avec Kees et Andrea, ça devrait aller. Pas moyen que tu oublies ce que tu fais là, la situation est tellement complexe ! Enfin. Tu observes autour de toi, l'obscurité est partout. Qu'est-ce qu'on fait ? Kees, on a tous les deux un pouvoir, on pourrait s'en servir. Bon, après, vu la solidité de ces galeries, évite de faire des trucs avec l'eau, en fait. Est-ce que j'essaie de rallumer la lumière ? Je me sens de le faire.

– Andrea? Qu'est-ce qui ne va pas?
Question idiote. Rien ne va. Mais je peux sentir sa détresse se communiquer à moi par vagues et… on a toujours été proches, elle et moi, on se comprend sans avoir besoin de se parler, mais là c'est différent, c'est plus fort, plus viscéral, comme, comme si…
La voix de Vassili qui résonne à côté de moi. Il y a plus pressant, peut-être, c'est vrai, mais j'abandonne le sujet avec un goût amer en bouche. Ma main serre celle d'Andrea dans le noir.
– Il y a… beaucoup d'eau, pas loin. Mais ouais,  je préfère ne pas y toucher tant… qu'on en a pas besoin.
La mise en garde de Cursa me fait frissonner. Riley. Où est-elle d'ailleurs? Est-ce qu'il ne faudrait pas la retrouver? Réunir le cercle autour d'elle?
– Je sais pas. Tu es sûr que tu t'en sens capable? Et puis… est-ce que c'est pas un peu risqué, de s'exposer à la lumière? Ça va attirer l'attention sur nous. La priorité, ce serait plutôt de nous barrer d'ici.

Cette salle ne t'inspire rien. Mais ce n'est pas comme si tu avais des neurones, mon pauvre Vassili. Tu hésites un peu, avant d'entrer. Tu as un mauvais pressentiment, mais quelque chose te pousse à avancer.

– Vassi-
Eeeeeeet il est déjà entré dans la salle. Godverdomme.
– Meermin, je vais lâcher ta main d'accord? Je reste là, je ne pars pas. Tu peux tenir mon épaule si tu veux.
Une dernière pression avant de délier mes doigts des siens. Les ombres sont si épaisses que sans son contact j'ai l'impression de la perdre. Dans un murmure, je lui souffle:
– Ti amo.
Mes mains se rejoignent en coupe devant moi. On a beau être dans l'obscurité la plus profonde, je ferme les yeux un moment, j'imagine mes mains remplies d'eau, comme si je venais de la puiser à une fontaine, un lac de montagne. Il fait si humide dans ces souterrains que je sens immédiatement des gouttes perler dans le creux de mes paumes. La grande quantité d'eau de tantôt est toujours là, mais bien plus lointaine maintenant… et même si ça me tue de l'admettre, Vassili a fait preuve de bon sens: jouer à détourner un fleuve dans ces galeries n'est pas une bonne idée.
Avec un soupir, j'avance à mon tour pour retrouver l'autre ahuri. On a promis de ne pas se séparer, et on ne peut pas continuer à fuir. Advienne que pourra.

Tu t'arrêtes.
Alors c'est ça.
Alors c'est là.
Tu plisses les yeux pour mieux distinguer, avant de décider que non. Tu as déjà compris, Vassili. Cursa ? tu appelles. Instinct.

– … Cursa? Vassia, qu'est-ce que tu…
La nausée.
L'odeur me prend à la gorge, tord mon ventre, je peux sentir mon cœur s'accélérer, cogner dans mes oreilles à m'en rendre idiot, BOUM BOUM BOUM BOUM, l'eau que je tenais au creux de mes paumes s'écrase sur mes chaussures, BOUM je ne vois r ien mais je BOUM sais qu e l a tête BOUM me ǝ u ɹ n o ʇ

oh non.
non.
non.
non.
non.
non.
non.
non.