Lumière, encore.
Faible, cette fois-ci. Falote. Mais rassurante tout de même, parce que c'est la sienne. La lumière d'Andrea.

– Merci, meermin…

Son petit golem avance devant nous, pour la première fois depuis notre arrivée dans ces souterrains (comment, d'ailleurs?) on y voit quelque chose – je préfère ne pas repenser aux arcs électriques de Vassili, leur éclat froid et cruel, leurs morsures brûlantes dans mes chairs. Qu'est-ce qu'il pèse lourd, d'ailleurs. Ou c'est moi qui ai vraiment besoin de me mettre au sport… Milan, Oslo, North n'auraient eu aucun problème à le porter. Ce sont des personnes fortes, qui savent se battre, leurs pouvoirs illustrent bien ça d'ailleurs. Moi, qu'est-ce que je peux bien faire? À quoi est-ce qu'un artiste peut servir dans ce genre de situation? Si un ennemi surgit, là, maintenant, avec Andrea qui insuffle la vie à l'argile et Vassili toujours assommé, qu'est-ce que je vais faire pour les protéger?
J'appelle l'eau en silence, mes sens tendus comme une baguette de sourcier. Où qu'elle soit, je la trouverai, je l'appellerai à moi, échevelée, grondante.

Comment as-tu fait pour te rappeler de ça ? Tu ne te souviens pas. Ta vie entière est constituée de déjà-vu et d'impressions étranges. Il n'empêche, tu finis par tapoter l'épaule de Kees, et par tendre le doigt dans la direction de ce qui pourrait être, à priori, une sortie. Ta voix est coincée dans ta gorge. C'est à peu près tout ce que tu es capable de faire pour l'instant, tendre le bras t'a paru être une épreuve insurmontable.

– Ah! Vassia?

Mais c'est qu'il est réveillé, l'autre con. Le soulagement le rendrai presque plus léger à porter. Son bras se tend, un instant, son doigt indique un passage qui s'ouvre, découpé par la lueur vacillante du petit golem qui nous devance.

– Par là? Tu… Tu connais ces souterrains, Vassili?

C'est pas que je me méfie, mais… je me méfie. Vassili n'est pas exactement le plus fiable quand il s'agit de, et bien, d'à peu près tout. Ce n'est pas la première fois que je le vois pointer une direction au hasard avec aplomb, certain de savoir où il est, pour finalement se perdre encore plus qu'il ne l'était déjà. Je m'arrête, me tourne vers Andrea.

– Je… je sais pas, Drea. Je suis totalement perdu. Tout ce que je sais, enfin, que je sens, c'est qu'il y a de l'eau pas loin. Beaucoup d'eau. Peut-être un accès vers les égouts, mais ça nous avance pas à grand-chose. Tout ce que je veux, c'est sortir d'ici. Avec vous. Et prendre un bain.

Un moment de vague, avant que tu ne remues un peu pour que Kees te lâche. Te revoilà les pieds sur terre, tu cilles, bascules - mais ne tombes pas. C'est un bon début. Tu es épuisé, mais ce serait contre-productif de vous épuiser tous les trois. Il faut que vous remontiez à la surface, il faut que vous viviez. Tu dois vivre pour retrouver... pour retrouver Cursa. Tu t'engages sans un mot dans la galerie.

Vassili vacille mais tient bon. Une main sur le mur, il retrouve son équilibre, commence à avancer, suivi du golem d'Andrea qui continue à luire. J'espère qu'elle ne se fatigue pas à le maintenir animé, mais sa lumière est chaleureuse, rassurante, bien plus que celle qu'un téléphone ferait.

– Dans la… là-bas. La nausée remonte, je ne veux pas repenser à ce qu'on laisse derrière nous. On avait un peu de lumière qui venait du plafond, un lampadaire peut-être, ou la Lune. Ça veut peut-être dire qu'on est proches de la surface… Dans tous les cas, il faut qu'on aille vers le haut.

Je m'engage à la suite de Vassi, hésite un instant. Quand Andrea arrive à côté de moi, je pose une main dans le bas de son dos pour lui murmurer:

– On a beaucoup de choses à se dire et… je suis désolé qu'on ne trouve pas le temps d'en parler. Mais… je t'aime, Andrea Castiglione. S'il-te-plaît, n'en doute pas, n'en doute jamais.

Les mains en coupe, je reprends la marche. Petit à petit, l'eau vient s'y condenser, je n'ai même plus besoin d'y penser. On aura peut-être besoin de se désaltérer, ou de se laver…

… ou de se défendre.